Politique Reportage
Perpignan, ville de plus de 120 000 habitants, est la plus grande ville passée sous le giron du Rassemblement national, lors des municipales de 2020. Localement, une poignée de retraités tiennent à bout de bras associations et collectifs militants mais ne réussissent pas à faire face à Louis Aliot, artisan de la dédiabolisation du parti.
16 avril 2022 à 20h48
Perpignan (Pyrénées-Orientales). – Dans les rues de Perpignan, le centre-ville est baigné par des chants religieux catalans, crachés par les nombreux haut-parleurs disséminés dans la ville. Presque aussi nombreux que les caméras de surveillance. On y entend des prières, des sermons, une célébration de la « piété populaire » et de « la bonne Sainte Claire qui délivre de tout mal ».
En Catalogne, ce 15 avril, et comme chaque Vendredi saint, la procession de la Sanch déambule dans la ville. Hauts capirotes et longues robes noires vont de l’église des dominicains à la Cathédrale Saint-Jean-Baptiste en passant par l’église Saint-Matthieu.
Tout devant, le pénitent de rouge vêtu fait sonner la cloche. Et derrière les processionnaires souffrent. Pieds nus, des croix de bois posées sur les épaules, des représentations de Jésus de taille réelle hissés au-dessus de la foule et les cheveux des femmes couverts de dentelles blanches et noires… Pour revivre « la quête d’expiation qui animait les flagellants de Saint-Vincent-Ferrier », précise un tract de la ville, renommée « Perpignan la rayonnante » par le nouvel édile, Louis Aliot, l’un des vice-présidents du Rassemblement national (RN).
La procession catalane est une institution religieuse qui prend place dans les rues de la ville méditerranéenne depuis les années 1950. Et Louis Aliot – qui fait partie d’une organisation politique qui prévoit l’interdiction du voile dans l’espace public – y tient tellement qu’en 2014, il revêtait lui-même la capuche, la cagoule et les habits de pénitent. De quoi faire sourire les antifascistes du coin qui moquent « une laïcité à géométrie variable ».
Procession de la Sanch à Perpignan, le vendredi 15 avril. © Khedidja Zerouali
Ici, tous se rappellent la crèche dans la mairie ou le changement de logo de la ville. Exit la représentation du Castillet, monument du centre-ville, en rouge et or. Désormais, un écusson catalan, entouré d’un liseré bleu-blanc-rouge et surplombé par saint Jean-Baptiste, saint patron de la ville, fait office de logo.
De quoi faire enrager les catalanistes de la ville. « Il gère sa mairie comme ça, à petits coups de com’ », souffle un Perpignanais à la barbe longue, à la terrasse du café de la Source. Et Julien Berthélemy, secrétaire départemental de la CGT, d’ajouter que le maire, tambour battant et installation frénétique de drapeaux dans la ville, tente « de donner une image nationaliste de la ville ». « Pour lui, ici, c’est une vitrine de ce que le Rassemblement national veut faire au niveau national. » D’autres parlent d’« un labo » et tous s’accordent à dire qu’entre « l’extrême droite » d’Aliot et « la droite extrême » des maires précédents, les différences sont peu nombreuses.
La mairie RN porte plainte contre une militante
« Ici, c’est un département pauvre, les gens sont désespérés. L’extrême droite, plutôt que de proposer des solutions, remet la faute sur l’Arabe, l’immigré, c’est bien simple », se désole l’une des figures des antifas locaux, Josie Boucher, principale de collège à la retraite, présidente de l’Association de solidarité avec tous les immigrés (ASTI) et membre du collectif pour une histoire franco-algérienne non falsifiée – « Un nom un peu pourri, j’avoue, mais ça dit bien ce que c’est », s’amuse-t-elle.
Les réfugiés ukrainiens n’ont pas grand-chose à attendre des fascistes. On sait ce qu’ils pensent des réfugiés.
Josie Boucher, lors d’un rassemblement en soutien des Ukrainiens.
Josie Boucher tentera, au début de l’interview, de se retenir de prononcer le terme « fasciste » et abandonnera ses précautions linguistiques bien rapidement. « C’est ce qu’ils sont en même temps, comment voulez vous les définir autrement ? » Si la retraitée fait attention à son langage, c’est que le maire de Perpignan a porté plainte contre elle, pour « injure ».
Elle attend encore de recevoir la plainte, mais doute que le maire se débine. « Et alors là, on utilisera le procès pour redire bien fort ce que c’est que l’extrême droite en France, à Perpignan particulièrement. On va se battre », assure l’habitante de Vinca qui concède faire attention, ne plus trop sortir toute seule dans Perpignan.
L’affaire remonte au 5 mars 2022. Quelques dizaines de personnes se rassemblent, en fin de matinée, devant la préfecture pour dénoncer le tri que la mairie de Perpignan fait entre les réfugiés. Au micro, Josie Boucher rappelle « le coup de com’ » de Louis Aliot, parti en bus à la frontière polonaise pour aller chercher des réfugiés ukrainiens qu’il ramènera dans les Pyrénées-Orientales. Et de préciser qu’elle s’oppose à « ce cirque », ajoutant : « Les réfugiés ukrainiens n’ont pas grand-chose à attendre des fascistes. On sait ce qu’ils pensent des réfugiés. »
Suffisant pour piquer le cadre du RN qui fera voter en conseil municipal, le 24 mars, l’autorisation d’une plainte contre la militante, au nom de la mairie. Cependant, Perpignan ne portera pas plainte contre le journal local qui a retransmis les propos, L’Indépendant. À lire aussi Accueil des réfugiés : le « deux poids, deux mesures » de Louis Aliot à Perpignan 15 mars 2022 À Perpignan, contre le RN, pas la foule mais une unité 3 juillet 2021
Dans la ville, et depuis plusieurs années, quelques retraité·es, des syndicalistes et une poignée de jeunes militant·es sont bien les seul·es à porter la bataille culturelle contre l’extrême droite puisque depuis 2014, aucune opposition de gauche n’est représentée au conseil municipal. « En même temps, on part toujours divisés »,regrette Frédéric Monteil, directeur du cabinet de la présidente socialiste du département, Hermeline Malherbe.
Dans la capitale des Pyrénées-Orientales, tous ceux-là parlent d’une même voix et estiment que Perpignan est un parfait exemple de la stratégie nationale mise en place par l’extrême droite. « Il avance masqué, assure Maryse Martinez, présidente de l’antenne départementale du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP). Il se fait peu remarquer, dans la logique de la dédiabolisation. »
Ils sont nombreux, dans les quelques bars fréquentés par la gauche perpignanaise, à décrire un maire qu’on croise régulièrement dans la rue, qui sourit et serre des mains. À l’époque où il partageait encore une maison avec son ancienne conjointe Marine Le Pen, dans le village voisin de Millas, on voyait régulièrement le couple bronzé se promener l’été, faire leurs courses dans le Carrefour d’Ille-sur-Têt, saluer à tout va, dans une campagne de séduction permanente.
Josie Boucher, présidente de l’ASTI. © Khedidja Zerouali
Gautier Sabria, sociologue perpignanais qui a étudié l’extrême droite locale, rappelle que lors des municipales de 2020, Aliot s’était même présenté « sans étiquette ». « Depuis, il essaye de contenter tous ces ennemis, de les caresser dans le sens du poil. Il sait que le monde catalaniste est opposé à lui, alors dès qu’il est élu, il tente de faire son premier conseil municipal en bilingue catalan. Ça ne s’est pas fait, mais ce n’est pas grave, il y a eu des articles dans la presse, il a envoyé son signal. Aussi, il sait que le monde de la culture n’est pas de son côté, alors il a installé quelques panneaux pour faire du graff et il a ouvert les musées pendant la crise sanitaire. »
L’extrême dédiabolisation
Comble de l’ironie, la mairie a même accordé une grosse subvention à l’ASTI, pour les cours qu’ils donnent aux immigré·es. Les quelque deux mille euros ont été aussitôt renvoyés à l’envoyeur. « On ne veut rien leur devoir,tranche Josie Boucher. Surtout que quand on reçoit une subvention, on doit rendre des comptes à la mairie, et on ne voulait n’avoir rien à faire avec eux. »
Les syndicats ancrés à gauche, de la CGT à Solidaires, sont parfois bien en peine pour mener une offensive claire contre cette extrême droite qui se dérobe. « À la ville, on a même des agents qui sont très à gauche, qui détestent tout ce que représente l’extrême droite mais qui nous disent que Louis Aliot, c’est un bon employeur, raconte Marc Anglaret, enseignant de philosophie et secrétaire général de Sud Solidaires dans les Pyrénées-Orientales. Il a titularisé plusieurs dizaines de contractuels et il a mis en place des tickets-restaurants, c’était une ancienne demande des salariés de Perpignan. »
Et Frédéric Monteil d’ajouter : « Il est arrivé après Jean-Marc Pujol qui a perdu Perpignan après avoir perdu le vote de ses propres salariés. Je discute souvent avec l’un des agents de la ville qui m’expliquait que l’ancien maire ne passait jamais dans les services pour les saluer quand Aliot le fait régulièrement. Ils se sentent moins déconsidérés. » L’idylle connaît parfois quelques accrocs, comme lorsque des policiers municipaux de la ville, en garde de nuit, ont fait grève pour réclamer la revalorisation salariale qui leur avait été promise, mais pas de quoi enrayer la machine.
Dans les quartiers populaires de la ville, du rafistolage et des affiches du RN. © Khedidja Zerouali
Dans les locaux de la CGT, Julien Berthélemy, secrétaire départemental, rappelle que son syndicat s’est toujours clairement opposé à l’extrême droite et qu’ils continueront à le faire. Et pourtant, il faut parfois convaincre au sein même de l’organisation : « Aujourd’hui, ce qui divise les travailleurs, c’est le rapport à l’extrême droite. Alors que le problème, c’est le capital. C’est la mauvaise redistribution des richesses, pas les travailleurs noirs ou arabes, les précaires, les étrangers. »
Dans le département qui connaît le plus haut taux de chômage de l’Hexagone, les élections se suivent et se ressemblent. Lors du premier tour de l’élection présidentielle, les Perpignanais ont voté d’abord pour Marine Le Pen, à plus de 33 %. En 2017 aussi, elle était la première à séduire les locaux, avec près de 26 % des voix et récoltant, au second tour, près de 40 % des voix.
Ici, depuis quelques années, beaucoup de gens n’ont plus honte de dire qu’ils sont d’extrême droite. La “décomplexion” est totale.
Michel Chabasse
Une progression de l’extrême droite, de ses idées, qui se sent partout dans la ville. « Cela ne date pas d’Aliot, tempère Michel Chabasse, de la CGT Retraités. Mais ici depuis quelques années, beaucoup de gens n’ont plus honte de dire qu’ils sont d’extrême droite. La “décomplexion” est totale. »
Attablée à l’Atmosphère, repère de gens de gauche dans une ville très à droite, Anna raconte que, dans sa boîte de communication, ses collègues ne se sont pas cachés d’avoir voté pour Marine Le Pen. « Ils ne comprennent pas quand je leur dis que le Rassemblement national, c’est des fascistes. Eux, ils voient leur maire qui ne fait pas grand-chose, qui est propre sur lui, ils ne se rendent pas compte de ce qu’il y a derrière. »
« Et puis, même s’il est calme pour l’instant, on sent une pression dans la ville, avec les flics très nombreux et les caméras partout », ajoute la trentenaire.Surtout dans le quartier populaire de Saint-Jacques, au centre de la ville. Complètement délaissé par les mairies successives, le quartier gitan voit ses immeubles s’effriter, dans la plus grande indifférence des élus.
On y installe quelques échafaudages pour qu’un drame ne vienne pas entacher l’image de la ville vitrine du RN… En attendant que le processus de gentrification arrive à son terme. La mairie, elle, affiche son mépris de ce quartier, en quatre par trois. En octobre 2021, des affiches montraient une rue du quartier rongée par les déchets avec le slogan : « Ça suffit. »
Police partout
Pour Françoise Attiba, co-présidente de la Ligue des droits de l’homme (LDH), le racisme anti-gitan n’y est pas pour rien : « Quand il fait chaud, comme ça se fait dans le Sud, les personnes âgées sortent dans les ruelles et s’assoient sur de petits bancs. Quand la police passe, on leur enjoint de rentrer chez eux et il est même arrivé qu’on les gaze, comme nous l’ont rapporté des anciens de là-bas. Ce n’est pas propre au RN, ici le racisme contre les gitans fait largement consensus. Ça m’a choquée quand je suis arrivée ici. » À lire aussi Présidentielle 2022. Dans les Pyrénées-Orientales, où l’État rétrécit 25 janvier 2022 À Perpignan, l’héritage fragile de l’antifascisme 16 août 2021
Selon Frédéric Monteil, la discrimination de Saint-Jacques et de ses habitants est pensée. « Le maire envoie ses policiers municipaux faire la chasse aux pauvres. Les commerçants du marché se voient embêtés pour chaque camion un peu mal garé, pour chaque mètre dépassé. Ils veulent tuer ce marché et ce n’est pas tout. Les citoyens sont sous contrôle policier permanent, à ce niveau-là, c’est presque du harcèlement. »
Avant même l’arrivée du RN à la mairie, les maires de droite successifs avaient installé un contrôle policier accru dans les rues de Perpignan. Selon les chiffres du ministère de l’intérieur, en 2020, la capitale des Pyrénées-Orientales était déjà l’une des communes de France avec le plus de policiers municipaux par habitant, au coude à coude avec Nice.
À l’arrivée d’Aliot, il y avait déjà un policier municipal pour 756 habitants et il en a encore embauché davantage. En tout, la police municipale compte quelque deux cents agents « pour un budget de onze millions d’euros », insiste Louis Aliot, qui n’a pas délégué la gestion de la police municipale à l’un de ses adjoints et préfère faire cavalier seul sur son cheval de bataille.
Depuis son élection, l’édile a aussi fait ouvrir près de quatre commissariats. « Des coquilles vides,balayent, en chœur, les antifas. Que de la com’ il n’y a jamais aucun flic dans ces commissariats. » Le nouveau poste du quartier de la gare n’est ouvert que de 11 heures à 15 heures. Pareil pour celui du quartier du Vernet.
Francoise Attiba, coprésidente de la l’antenne locale de la Ligue des droits de l’homme. © Khedidja Zerouali
Pire, la Cigale, ancien hôtel-restaurant longtemps fréquenté par les nostalgiques de l’Algérie française transformé en hôtel de police qui ne semble jamais être ouvert. « Je passe devant régulièrement et je ne l’ai vu ouvert qu’une fois », assure Maryse Martinez. « Il n’y a jamais aucun policier dedans, c’était que de l’affichage », lâche Anne-Marie Delcamp, coordinatrice du Réseau Éducation sans frontières (RESF). « Une enseigne avec rien dedans », complète Frédéric Monteil. Et pourtant, ce commissariat aura coûté cher à la mairie, autant en termes d’image que de rebondissements juridiques, comme l’ont expliqué nos confrères de StreetPress.
En 2019, le conseil départemental s’était positionné pour racheter les murs de la Cigale, afin d’en faire un centre d’accueil pour mineurs isolés. Les propriétaires avaient accepté l’offre, le projet d’y installer un centre d’hébergement était sur les rails. « Le lieu est parfait, il y a douze chambres, une salle commune qui peut accueillir des cours de langue, pas trop de travaux à faire et en plus c’était en centre-ville, près des écoles et des services publics. Bref, là on peut accueillir dignement ces jeunes pour leur permettre de s’intégrer », explique Frédéric Monteil.
Or, la mairie de droite, alors dirigée par Jean-Marc Pujol, a soudainement décidé de préempter l’ancien hôtel. Quand le RN est arrivé aux manettes, Louis Aliot a poursuivi la bataille juridique avec le département. L’imbroglio est allé jusqu’au Conseil d’État qui a donné raison au département en décembre 2021.
« La mairie a acquis La Cigale illégalement. Le propriétaire ne peut pas reprendre son bien, donc ils doivent nous transférer le bien, et le département les rembourse. Maintenant, on a fait appel au tribunal de Perpignan pour récupérer le bien, mais ça va encore mettre un peu de temps… » Des années durant lesquelles les mineurs isolés vont continuer d’être baladés d’appart-hôtels en hébergements citoyens. À lire aussi Le maire RN Louis Aliot lors de l’inauguration de l’exposition en mémoire « aux victimes oubliés de la guerre d’Algérie, harkis et pieds-noirs assassinés par le FLN », le 19 mars 2021 à Perpignan.. A Perpignan, Louis Aliot veut «rééquilibrer les mémoires» de la guerre d’Algérie 22 mars 2021
L’histoire du restaurant, intimement lié à l’OAS, est sans doute l’une des raisons pour lesquelles la mairie a tout tenté pour récupérer le lieu. La nostalgie de l’Algérie française est d’ailleurs l’un des seuls sujets sur lequel Louis Aliot avance à visage complètement découvert.
« En même temps, la réécriture de l’histoire franco-algérienne à Perpignan est une ancienne histoire. Les maires de droite, Pujol et avant lui Alduy y avaient déjà bien participé », souffle Josie Boucher. Dans une même phrase, empreinte de colère, elle rappelle la stèle dressée pour l’OAS, les drapeaux français en berne le jour où les Algériens fêtent les accords d’Évian, l’exposition « révisionniste » mise sur pied par la mairie RN, les gerbes portées au mur des disparus mis en place par le Cercle algérianiste, « qui vient d’ailleurs de recevoir une subvention de 100 000 euros » ou encore les nombreuses réinterprétations de l’histoire du Centre de documentation des Français d’Algérie, ouvert depuis une dizaine d’années.
Josie est elle-même arrivée d’Algérie à 14 ans. C’est en entrant en troisième, dans un collège en France, que la jeune femme s’est rendu compte des atrocités que la France a fait subir aux Algériens. Depuis, et surtout depuis qu’elle est à la retraite, elle consacre une grande partie de son temps à rappeler la violence de la colonisation et de la guerre dans une terre catalane où ceux qui parlent d’Algérie, du cercle algérianiste à la mairie, sont d’abord ceux qui aimeraient qu’elle soit toujours colonisée.
Dans les manifs, toujours les mêmes
Si la retraitée, membre du NPA, ne se laisse pas démonter, elle avoue craindre les résultats du second tour. Au niveau local et national. La réponse antifasciste n’est plus à la hauteur depuis longtemps, selon elle : « On est toujours les mêmes aux manifs, toujours les mêmes dans les collectifs. Et surtout, on n’est pas du tout assez. Ce n’est pas vrai de dire que quand le RN arrive au pouvoir, cela fait naître la contestation. Ici ça l’a plutôt anesthésiée. Ça sera pareil si Marine Le Pen arrive au pouvoir, ça sera l’écrasement de toute contestation, la division de la classe ouvrière, bref la catastrophe. Ceux qui disent le contraire ignorent tout de l’Histoire. »
Le lendemain de notre entretien, elle est allée manifester aux côtés des habitué·es, contre Marine Le Pen. « Et il y aura sûrement peu de monde. À chaque manifestation, j’ai toujours la même peur, celle qu’on fasse la démonstration de notre faiblesse. »
Ce samedi 16 avril, en réponse à un appel national, à peu près deux cents militant·es se sont donc retrouvé·es sous le soleil de la place de la République, « contre l’extrême droite et ses idées, pas de Marine Le Pen à l’Élysée ».
Comme le prédisait Josie, on y a croisé les mêmes habitué. es, souvent à la retraite, portant à bout de bras les associations locales d’aide aux migrants et les collectifs. Sur la place, la chorale « HK Falshmob 66 »fait plus de bruit que la manifestation. Habillés de pulls bariolés, affichant les couleurs de la Jamaïque, ils chantent qu’ils veulent « danser encore » et n’ont à peu près rien à avoir avec la mobilisation du jour. « C’est juste qu’on fête notre année d’existence aujourd’hui », explique l’une des choristes. Peu importe, tous chantent ensemble qu’« on lâche rien ».
Samedi 16 avril 2022 à Perpignan, près de deux cents militants se rejoignent pour s’opposer à Marine Le Pen, présente au second tour de la présidentielle. © Khedidja Zerouali
Il y avait aussi quelques responsables syndicaux, une poignée de lycéen·nes et quelques jeunes militant·es, dans la trentaine et dispatché·es dans différents collectifs, qui, réunis, représentent la relève angoissée d’un antifascisme local qui se meurt.
« C’est juste qu’on n’a pas les reins assez solides, explique Gauthier Sabria. On aurait un Ménard face à nous, ce serait plus simple. Aliot contrôle complètement sa communication, il ne fait presque pas de faux pas, alors c’est difficile de renouveler l’opposition. Je me souviens bien du soir de son élection, nous étions plus d’une centaine sous les fenêtres de la mairie, je me suis dit que ça allait enfin prendre mais ce n’est jamais arrivé. »
En même temps, face à nous, on a quelque chose de trop gros.
Gautier Sabria, sociologue perpignanais.
Les jeunes qui ont déserté les collectifs et les associations se retrouvent dans des initiatives alternatives, comme La Locale, espace occupé par quelques autonomes qui organisent la solidarité avec les migrant·es, mettent à disposition un freeshop, héberge des concerts. Il y a aussi une chorale féministe et antifasciste à Perpignan ou un club de foot antifa, Estrella Esportiva del Rosselló, à Corneilla-del-Vercol.
« C’est bien parce que ça emmène de nouveaux gens mais ça ne suffira pas, reprend le sociologue militant. On peut se poser la question de l’impact de ses réponses politiques. Peut-être que ces initiatives font du bien à ceux qui y participent mais elles démontrent aussi un peu de notre impuissance. En même temps, face à nous, on a quelque chose de trop gros, on est dans la ville du numéro trois du RN. »
Ce samedi, Agnès, psychologue et Berta, assistante d’éducation font partie des plus jeunes du cortège, elles ont 29 et 30 ans et sont toutes les deux membres de l’assemblée féministe et anticapitaliste de la ville.
Elles n’ont pas commencé à marcher depuis quelques minutes qu’une vieille dame au pull violet les alpague, en criant : « N’oubliez pas le fascisme islamique. Qui tue en France ? Et en Israël ? » Cela suffit pour que le sang d’Agnès ne fasse qu’un tour. Elle remarque que la vieille dame porte une imposante croix en bois au cou et lui lance : « Vous êtes chrétienne, vous ? Vous n’avez pas honte d’être raciste ? », lui rappelant que l’amour du prochain, ce n’est pas que dans la Bible.
Un homme âgé d’une cinquantaine d’années s’arrête et se joint à la dispute. En s’adressant aux deux jeunes femmes et aux autres, il s’écrie : « Allez dans les quartiers ! Ne soyez pas aveugles ! De quel droit vous nous traitez de fascistes ? » Là encore, Agnès dégaine : « J’y vis dans ces quartiers, j’y travaille ! Je n’ai pas de leçons à recevoir de votre part. »
Quelques mètres plus loin, l’une de ses amies soufflera : « Ils ne se cachent même plus, c’est comme si c’était à nous de nous cacher maintenant. » La manifestation antifa fera un petit tour dans le centre et se terminera moins de deux heures après son début.
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