Il n’y aura pas de paysage après la bataille (À propos de l’invasion de l’armée russe en Ukraine)

Publié le 11 mars 2022

Appel à mobilisation des zapatistes (Mexique) face à l’invasion de l’armée russe en Ukraine.

Commission sexta zapatiste.
Mexique.

2 mars 2022.

À celles et ceux qui ont signé la Déclaration pour la Vie,
À la Sexta nationale et internationale,

Compañer@s, frères et sœurs,

Nous vous faisons part de nos paroles et pensées sur ce qui se passe actuellement dans la géographie que l’on nomme Europe :

PREMIÈREMENT.- Il y a une force qui agresse : l’armée russe. Il y a en jeu des intérêts du grand capital, des deux côtés. Ceux qui souffrent maintenant des délires des uns et des calculs économiques sournois des autres, ce sont les peuples de Russie et d’Ukraine (et, peut-être bientôt, ceux d’autres géographies proches ou lointaines). En tant que Zapatistes que nous sommes, nous ne soutenons ni l’un ni l’autre des États, mais celles et ceux qui luttent pour la vie et contre le système.

Lors de l’invasion multinationale de l’Irak (il y a presque 19 ans), avec à sa tête l’armée nord-américaine, il y a eu des mobilisations contre cette guerre dans le monde entier. Aucune personne saine d’esprit ne pensait que s’opposer à l’invasion revenait à se ranger du côté de Sadam Hussein. Aujourd’hui, la situation est similaire, mais pas identique. Ni Zelensky, ni Poutine. Arrêtez la guerre.

DEUXIÈMEMENT.- Différents gouvernements se sont alignés d’un côté ou de l’autre, le faisant pour des motivations économiques. Il n’y a chez eux aucune préoccupation humaniste. Pour ces gouvernements et leurs « idéologues », il y a des interventions-invasions-destructions bonnes, et il y en a de mauvaises. Les bonnes sont celles que réalisent leurs alliés et les mauvaises celles qui sont perpétrées par leurs opposants. Les applaudissements à l’argument criminel de Poutine pour justifier l’invasion militaire de l’Ukraine se transformeront en lamentations quand, avec les mêmes mots, on justifiera l’invasion d’autres peuples dont les parcours n’auront pas l’agrément du grand capital.

Ils envahiront d’autres géographies pour les sauver de la « tyrannie néo-nazie » ou pour mettre fin aux « narco-États » voisins. Ils répéteront alors les mêmes mots que Poutine : « Nous allons dénazifier » (ou son équivalent) et ils multiplieront les « raisonnements » de « danger pour leurs peuples ». Et alors, comme nous disent nos compañeras en Russie : « Les bombes russes, les fusées, les balles volent vers les Ukrainiens sans leur demander leurs opinions politiques ou la langue qu’ils parlent », mais c’est la « nationalité » des unes et des autres qui changera.

TROISIÈMEMENT.- Le grand capital et ses gouvernements « d’Occident » se sont assis pour contempler – et même encourager – la façon dont la situation se détériorait. Puis, une fois l’invasion commencée, ils ont attendus de voir si l’Ukraine résistait, et ils ont ensuite calculé ce qu’ils pourraient gagner d’un résultat ou d’un autre. Comme l’Ukraine résiste, alors ils ont effectivement commencé à allonger des factures « d’aide » qui seront remboursées plus tard. Poutine n’est pas le seul à être surpris de la résistance ukrainienne.

Ceux qui y gagnent dans cette guerre ce sont les grands consortiums d’armements et le grand capital qui voient l’opportunité de conquérir, de détruire/reconstruire des territoires, c’est-à-dire, de créer de nouveaux marchés de marchandises et de consommateurs, de personnes.

QUATRIÈMEMENT.- Au lieu de nous tourner vers ce que diffusent les médias et les réseaux sociaux des deux camps respectifs – et que tous deux présentent comme des « actualités » – , ou sur les « analyses » dans la prolifération soudaine d’experts en géopolitique et de soupirants au Pacte de Varsovie et à l’OTAN, nous avons décidé de chercher et de demander à celles et ceux qui, comme nous, sont engagé.es dans la lutte pour la vie en Ukraine et en Russie.

Après plusieurs tentatives, la Commission Sexta Zapatiste a réussi à entrer en contact avec nos proches en résistance et en rébellion dans les géographies qu’on appelle la Russie et l’Ukraine.

CINQUIÈMEMENT.- En résumé, nos proches, qui de plus brandissent le drapeau du @ libertaire, restent fermes : en résistance celles et ceux qui se trouvent dans le Donbass, en Ukraine ; et en rébellion celles et ceux qui cheminent et travaillent dans les rues et les champs de Russie. Il y a des personnes arrêtées et battues en Russie pour protester contre la guerre. Il y a des personnes assassinées en Ukraine par l’armée russe.

Ce qui les unit entre elles, et elles à nous, c’est non seulement le NON à la guerre, mais aussi le refus de « s’aligner » avec des gouvernements qui oppriment leurs peuples.

Au milieu de la confusion et du chaos qui règnent des deux côtés, iels restent fermes dans leurs convictions : leur lutte pour la liberté, leur refus des frontières et des États-nations, et les oppressions respectives qui changent seulement de drapeau.

Notre devoir est de les soutenir dans la mesure de nos capacités. Un mot, une image, une mélodie, une danse, un poing qui se lève, une étreinte – même provenant de géographies éloignées – sont aussi un soutien qui encouragera leurs cœurs.

Résister, c’est persister et perdurer. Soutenons nos proches dans leur résistance, c’est-à-dire dans leur lutte pour la vie. Nous le leur devons et nous le devons à nous-mêmes.

SIXIÈMEMENT.- Par conséquent, nous appelons la Sexta nationale et internationale, qui ne l’a pas encore fait, à manifester selon ses calendriers, ses géographies et à sa manière contre la guerre et en soutien aux Ukrainien.ne.s et aux Russes qui se battent dans leurs géographies pour un monde de liberté.

De même, nous appelons à soutenir financièrement la résistance en Ukraine sur les comptes qui nous seront indiqués ultérieurement.

De son côté, la Commission Sexta de l’EZLN est en train de faire ce qu’il convient, en envoyant un peu d’aide à celles et ceux qui, en Russie et en Ukraine, luttent contre la guerre. Nous avons également pris contact avec nos proches de SLUMIL K’AJXEMK’OP [1] pour créer un fonds économique commun de soutien à celles et ceux qui résistent en Ukraine.

Sans hésitation, nous crions et appelons à crier et à exiger : Armée russe, hors d’Ukraine.

Il faut arrêter la guerre maintenant. Si elle se poursuit et, comme on peut s’y attendre, si elle s’intensifie, alors peut-être qu’il n’y aura plus personne pour décrire le paysage après la bataille.

Depuis les montagnes du Sud-Est mexicain.

Sous-commandant Insurgé Moises. SupGaleano.
Commission Sexta de l’EZLN.

Mars 2022

source : Enlace zapatista

Note

télécharger le texte en brochure sur le site du Comité de Solidarité avec les peuples du Chiapas en Lutte : Il n’y aura pas de paysage après la bataille

Notes

[1] « terre insoumise » en tzeltal. Nom donné par les zapatistes au continent européen lors de leur débarquement en Europe cinq cent ans après l’invasion du Mexique

https://paris-luttes.info/il-n-y-aura-pas-de-paysage-apres-15794

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