mercredi 2 février 2022, par Courant Alternatif
L’année 2020 nous a permis de découvrir l’attestation dérogatoire de sortie, l’année 2021 le pass sanitaire, et 2022 inaugure l’ère du pass-vaccinal. Sous couvert d’impératifs sanitaires, toutes les politiques de contrôle social deviennent nécessaires, tolérables, voir désirables, comme nous le rappelle la rubrique Big Brother (p. 18) !
Cette crise sanitaire qui nous colle aux fesses depuis déjà trop longtemps n’est que pain béni pour les capitalistes. Alors que dans les média les spécialistes s’écharpent sur les risques viraux, le patronat engrange des bénéfices faramineux [1] et acte encore plus rapidement la suppression des quelques miettes de la redistribution qu’il avait bien voulu nous concéder. Les récentes déclarations de Macron sur son projet d’en finir avec les études gratuites n’en sont que la dernière illustration en date… L’exploitation du travail s’intensifie à l’aune du retour de la croissance.
Attaqués de toutes parts et violemment réprimés à la moindre occasion, comment contrer cette vague constante d’offensives capitalistes ? Les Antilles nous donnent une bonne indication du niveau de conflictualité qu’il est nécessaire d’atteindre pour ne pas se laisser écraser (p. 31) et mener une résistance de classe conforme à l’intensité de la guerre de classes (et non sanitaire) qui se mène ici et là.
En métropole, les faibles espoirs ravivés le 13 janvier par la grève « historique » de l’Éducation ont été battus en brèche le 27 janvier, quand la journée d’action pour l’augmentation des salaires orchestrée par une intersyndicale interprofessionnelle à fait pschiiit... Alors que dans le même temps, des luttes locales résistent ou gagnent sur les salaires, comme relaté dans Insubordination salariale (p. 29). Cette situation montre bien le fossé entre le pays réel et ses élites, fussent-elles de gauche, syndicales ou populaires.
L’ambiance globale des luttes hexagonales est plutôt morose… Mais heureusement, on pourra voter ! Ceci dit, les mêmes élites s’inquiètent du désintérêt croissant pour « le scrutin préféré des français (sic) », et s’affolent à l’idée d’une abstention massive. Elle rend le résultat incertain et fragiliserait de toute manière le pouvoir sorti des urnes, à l’image du referendum calédonien boycotté par les indépendantistes (p. 33). Pour réveiller l’intérêt électoral, il faut entretenir le spectacle. Ainsi pendant que la gauche se dilue dans le vaudeville du casting de la primaire populaire, la droite surenchérit aux extrêmes et s’invente un « Peuple » sur mesures au bénéfice du capitalisme industriel comme financier (p. 16).
La situation sociale à l’international, quoique très contrastée, pourrait sembler plus intéressante. La pandémie n’aura pas empêché certains peuples bâillonnés depuis des décennies de sortir dans la rue. On peut citer le Soudan, où le nombre des victimes de la répression sanguinaire du général Abdel Fattah al-Burhan n’éteind pas un mouvement populaire structuré en assemblées de quartier. L’Inde, où après les luttes paysannes historiques et victorieuses de décembre, une grève générale d’ampleur est prévue les 23 et 24 février. Le Kazakhstan, où la hausse du prix de l’énergie a transformé des contestations locales en un mouvement de masse inédit. Réprimée rapidement par le président Kassym-Jomart Tokaïev et son allié moscovite avec plus de 200 morts et des disparus, la contestation a fait trembler le pouvoir en place. Mais les enjeux économiques et stratégiques des hydrocarbures priment sur tout.
Au Mali, c’est un mouvement populaire sans précédent qui défit l’impérialisme français et la CEDEAO (p. 20). Au Cameroun, ce sont les jeunes qui entrent en dissidence politique contre le régime autocratique de Paul Biya qui ne fêtera peut être pas ses 40 ans de règne (p. 23). Si ces luttes ne sont pas pour autant des victoires, elles expriment un renouveau des problématiques de classes. Elles ne doivent cependant pas rendre sourd aux bruits de bottes qui résonnent de plus en plus fort sur la planète, car le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage (p. 14). C’est la leçon dont ne se remet toujours pas la Libye, 10 ans après son saccage par les forces de l’ONU sensées protéger les civils réprimés par le pouvoir kadafiste (p. 25).
Bien loin de ces bouleversements fracassants du monde, c’est aussi dans le quotidien de nos luttes, même les plus modestes, que nous parviendrons à poser les questions de classes et de révolution plus que jamais nécessaires. Pour cela il faut déboulonner les discours dominants, réactionnaires comme modernistes, en contestant les impératifs du capital, repeints en vert, pour ce qu’ils sont : des choix politiques imposés et non des nécessités vitales. C’est pourquoi il nous a semblé important de parler de luttes auxquelles nous contribuons en Bretagne (Dossier p. 5). Ces dynamiques de terrain indispensables à la reconstruction d’une identité de classe et d’un imaginaire radical, sans lesquels tous les programmes révolutionnaires ne sont que des testaments sans héritier.
Ce décryptage des luttes, du local au mondial, est d’autant plus indispensable que nous avons peu d’espaces pour débattre, s’exprimer et s’organiser afin de créer un réel rapport de force contre la bourgeoisie.
C’est une étape obligée dans la reconstruction d’une conscience de classe nécessaire au dépassement des révoltes logiques, pour ré-insuffler dès à présent un désir révolutionnaire à même de fissurer le carcan de l’idéologie capitaliste.
Douarnenez
janvier 2022
Notes
[1] Les entreprises du CAC 40 ont rendu aux actionnaires près de 70 milliards d’euros en 2021, soit une hausse de 15% par rapport au précédent record historique de 2007… (La Tribune 27 janvier 2022).
Les mêmes pronostiquent 2 000 milliards de dividendes dans le monde en 2022.
Entre mars 2020 et la fin de l’année 2021, la fortune des cinq Français les plus riches a augmenté de 173 milliards d’euros. C’est plus que ce qu’a coûté la crise du Covid en 2021. Cet enrichissement massif concerne la quarantaine de milliardaires que compte la France. Sur cette période « les richesses des grandes fortunes françaises ont bondi de 86%, soit un gain de 236 milliards d’euros ». A titre de comparaison, elles avaient augmenté de 231 milliards d’euros entre 2009 et 2019. (Oxfam)
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