C’est un entretien avec Charles Piaget, héros de la lutte des Lip que nous proposons ce soir. Il vient d’écrire un livre « On fabrique, on vend, on se paie » (Editions Sylepse, 2021) qui revient sur la lutte des ouvrières et des ouvriers du fabricant de montres, installé à Besançon.
Lip, combat ouvrier devenu mythique car réussi, c’est dix mois de lutte en 1973, qui débouchent sur l’embauche progressive de tous les employés de mars 1974 à mai 1976. 880 au total, dont une majorité de femmes. Toutes et tous n’avaient qu’un héros et leader, le discret mais solide Charles Piaget qui fera même de l’ombre à Mitterrand en inventant une gauche autogestionnaire.
La lutte des Lip a essaimé et continué durant quatre années, par la création de six coopératives ouvrières jusqu’en mai 1981 où l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir sonnera bizarrement le glas de l’aventure. Et de l’utopie.
En période de disette idéologique et de montée des égoïsmes, les paroles de ce vieux monsieur de 93 ans, catho de gauche, syndicaliste puis anarchiste sont comme un cadeau de Noël, surtout quand il évoque et détaille l’utopie autogestionnaire qui a fonctionné chez les grévistes de Lip. C’était il y a 40 ans…
« La lutte des Lip est connue. Elle a fait l’objet de nombreux livres et films. Je ne raconterai donc pas l’histoire de cette lutte, mais de ce qui me paraît en être l’essentiel. » explique Charles Piaget dont les mots et les images se sont fait très rares.
Une entreprise est rachetée par une multinationale. Banal. Il s’agit de Lip, du nom de son patron Fred Lip, célèbre horloger français qui fait alors jeu égal avec ses voisins suisses. Fred Lip veut se débarrasser de ce qui ne l’intéresse pas, donc licencier des centaines d’ouvrier·es et d’employé·es. C’est également, même en 1973, assez courant. Cependant, cela touchait beaucoup de salarié·es de Lip. L’entreprise, si les Lip s’étaient tus, devenait une simple usine d’assemblage de pièces provenant de Suisse. Le cœur du métier horloger disparaissait : la recherche et le développement, un grand nombre de professionnels d’usinages, de mécanique, de précision, toute l’équipe commerciale. Fred Lip était alors décidé à frapper un grand coup. Il remettait en cause les accords signés en 1968, et particulièrement l’échelle des salaires.
« Cela avait commencé par une préparation psychologique. Fred Lip a réuni l’encadrement, et expliqué que, cette fois, il ne céderait pas. » se souvient Charles Piaget. Si une grève éclate, alors il se retirera dans sa propriété du Lavandou. « Vous vous débrouillerez avec les banques pour les payes. » menace le patron sans se douter que, par ces mots, il met le feu aux horloges.
Ce premier hold up de la mondialisation naissante dans un secteur très concurrenciel s’opérait avec l’accord du gouvernement français de l’époque. Tout se jouait en coulisse, sans informer les salariés, quantité négligeable.
« Tout était programmé depuis 1967 ! Nous le découvrons en 1973. Alors, que faire ? » questionne le leader du mouvement des Lip « Nous sommes tellement habitués à vivre dans un système de classes. Le pouvoir est très concentré. Une minorité de riches, donc puissante, si riche que nous ne réalisons que difficilement l’énormité de ce que cela représente. Des millions de salarié·es travaillent durement pour réaliser toutes les richesses du monde. Aucune richesse n’existe sans le travail de toutes et tous ces salarié·es. Une minorité dirige toute l’économie, décide du présent et de l’avenir de toutes et tous ces salarié·es et de leurs familles. ».
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