Afghanistan Diplomatie DroitdesFemmes
Le 3 décembre, le chef suprême des talibans a adressé aux instances afghanes un ensemble de recommandations pour protéger les droits des femmes. Le décret, que Blast s’est procuré, est une énième perche lancée aux Etats occidentaux pour ouvrir des discussions diplomatiques, alors que tous les avoirs monétaires afghans restent à ce jour bloqués aux Etats-Unis. Des liquidités indispensables à une population qui vit la plus grande famine de son histoire, après 43 ans de guerre.
« Le commandement de l’Émirat islamique d’Afghanistan demande aux organisations compétentes […] de prendre des mesures concrètes pour garantir les droits des femmes ». A la lecture de ce préambule, celui du décret officiel publié le 3 décembre, on s’est d’abord frotté les yeux. L’Amir al-Momenin, chef suprême des talibans, de son nom Hibatullah Akhundzada, y énumère toute une série de droits que le régime octroie dorénavant aux Afghanes.
Personne ne peut forcer une femme à se marier
La femme, rappelle le texte, « n’est pas une propriété mais un être humain libre » et son « consentement d’adulte » est nécessaire à toute union. « Personne ne peut forcer une femme à se marier », précise le mollah, fustigeant « l’oppression actuelle » dont elles sont les victimes. Les veuves, quant à elles, ont un droit à l’héritage, à une part fixe dans la propriété de leurs maris, enfants et pères, ainsi que le droit de recevoir une dot de la part de leurs nouveaux maris.
Pour faire appliquer ces nouvelles règles, le commandeur des croyants demande la coopération des ministères, des gouverneurs et de la Cour suprême. A eux de faire preuve, aussi, de pédagogie : ils ont le devoir de faire savoir au peuple afghan que « l’oppression des femmes entraîne l’insatisfaction […] et la colère d’Allah ».
Cette annonce, si elle peut surprendre, est pourtant « cohérente » pour Adam Baczko. « Ça correspond assez à leur ligne brutalement misogyne, juge ce spécialiste de l’Afghanistan chercheur au CNRS, mais quand même opposée à des pratiques tribales. » Depuis septembre, une rumeur selon laquelle des talibans forçaient des femmes à se marier courait dans le pays. Dorénavant, le message est clair, c’est formellement interdit. « Ils sont dans l’application de la loi islamique qui ne tolère pas cette pratique. »
Main tendue
Surtout, la publication de ce décret s’inscrit dans une logique diplomatique plus globale. Depuis leur prise de pouvoir, mi-août, les talibans enchaînent déclarations et décrets. « Ils en ont publié un qui interdit la culture de la marihuana par exemple, pointe Adam Baczko, comme pour suggérer que s’ils voulaient interdire le pavot, ils le pourraient ». Pour notre témoin, les nouveaux maîtres de l’Afghanistan essaient de se forger l’image de leaders d’un mouvement raisonnable, prêts à respecter les conventions internationales. « C’est une énième tentative des talibans de discuter avec l’Occident. On dit qu’ils ne répondent pas à la pression, mais c’est faux », estime le chercheur. Pour le pouvoir désormais en place à Kaboul, l’objectif est très clair : obtenir la reconnaissance du régime, en tant qu’Etat à part entière.
Bien sûr qu’il faut exercer des pressions sur les talibans, mais il faut des mesures ciblées
Cette étape – celle de la reconnaissance – est loin d’être franchie outre-Atlantique. Depuis août dernier, tous les fonds de la banque centrale afghane sont gelés aux Etats-Unis. Le Fonds monétaire international a par ailleurs interrompu ses programmes d’aide dans le pays. « Pendant des années, », expliquait Thomas West, représentant spécial des Etats-Unis pour l’Afghanistan devant le Congrès, le 19 novembre.
« Le régime de sanctions ne renversera pas le régime », assure pourtant Adam Baczko. Pour le chercheur, imaginer que les talibans finiront par partir est illusoire. Pour une raison simple : il n’y a pas de mouvement de résistance interne. De plus, les sciences politiques ont montré qu’aucun régime de sanctions n’a fonctionné, dans l’histoire. « Bien sûr qu’il faut exercer des pressions sur les talibans, reprend le chercheur, mais il faut des mesures ciblées. Cette absence de stratégie devient coûteuse. »
Le peuple trinque
Dans une telle situation – celle d’un régime qui dépendait à 75 % de l’aide occidentale jusqu’à l’été 2021 -, c’est la population qui paie la facture. L’Afghanistan n’a presque plus de liquidités. Quatre mois après le début des sanctions économiques, les Afghans n’ont plus accès à leurs comptes bancaires, les services publics tournent au ralenti et de nombreux commerçants ont déjà mis la clé sous la porte. Les fonctionnaires devaient tous garder leurs postes. Ils ne représentent plus que 20 % de l’effectif du régime précédent. Faute d’argent pour les payer, les talibans ont remercié les autres.
A cela s’ajoutent des conditions climatiques extrêmes, sécheresse et hiver rude, qui menacent la sécurité alimentaire des Afghans. Selon un récent rapport du Groupe de la sécurité alimentaire et de l’agriculture de l’Afghanistan, co-dirigé par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme alimentaire mondial (PAM), plus de la moitié de la population sera confrontée à une crise alimentaire aiguë d’ici mars 2022, soit 23 millions de personnes.
Adam Baczko souligne le cynisme des Etats occidentaux, face à cette situation désastreuse. « On défend les droits humains mais on contribue à cette catastrophe humanitaire en bloquant les aides. Tant que les talibans seront reconnus comme mouvement terroriste par le FBI, les ONG seront toujours dans une hésitation, entre prendre un risque juridique et fournir de l’aide. »
Mi-octobre, l’Union européenne a annoncé qu’elle débloquerait un milliard d’euros d’aide humanitaire. Pas de quoi faire bouger les lignes du gouvernement américain, pour autant. « Le départ des troupes américaines d’Afghanistan a blessé Joe Biden dans sa côte de popularité. Avec la pression actuelle qu’exercent les républicains sur les démocrates, il ne peut pas prendre le risque de se montrer conciliant avec les talibans. »
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