Fin novembre, Mediapart a saisi la procureure de la République de Paris de menaces, violences, provocations, intimidations et diffamations à l’encontre de membres de sa rédaction, proférées dans des vidéos d’extrême droite toujours accessibles.
Edwy Plenel Journaliste, président de Mediapart Journaliste à Mediapart
« On devrait décapiter les journalistes de Mediapart » ; « Ils méritent une bonne correction fasciste » ; « Y’ a des gens chez Mediapart qui devraient commencer à renifler que cette radicalité de droite finira par les rattraper ; on ne collabore pas impunément » : prononcées dans des vidéos postées sur des chaînes de la plateforme YouTube ou dans leur fil de commentaires, ces phrases ne sont même pas les pires que l’on peut entendre dans la bouche de plusieurs militants d’extrême droite spécialisés dans la diffusion de la haine en ligne.
Par un courrier adressé le 24 novembre 2021 à Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, nos avocats, Mes Olivia Levy et Emmanuel Tordjman, ont signalé à la justice huit vidéos dont les propos et les mises en scène « mettent en danger la sécurité physique des journalistes de Mediapart ». Trois de nos collaborateurs sont particulièrement visés, menacés et diffamés : Lucie Delaporte, journaliste au pôle politique ; Mathieu Magnaudeix qui co-anime notre émission quotidienne « À l’air libre » ; Usul, vidéaste dont nous accueillons les chroniques depuis 2016.
« La diffusion massive de ces vidéos comptant plusieurs centaines de milliers de vues, voire plus d’un million pour certaines, écrivent Mes Levy et Tordjman, crée un risque réel d’atteinte à la sécurité de Lucie Delaporte, Mathieu Magnaudeix et Usul, et plus généralement de tout salarié et/ou membre de Mediapart. La gravité des faits et les risques en résultat justifient que des investigations soient mises en œuvre pour identifier les auteurs et/ou complices des infractions dénoncées au titre du présent signalement afin d’y mettre rapidement un terme. »
Les propos visés par ce signalement caractérisent en effet les infractions suivantes :
- Provocations, sans qu’elles soient suivies d’effet, à commettre des atteintes volontaires à l’intégrité de la personne et des agressions sexuelles, définies par le livre II du Code pénal, telles que prévues et réprimées par l’article 24 alinéa 1er, 1° de la loi du 29 juillet 1881 ;
- Diffamation commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap, telle que prévue et réprimée par les articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 ;
- Provocations à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, telles que prévues et réprimées par l’article 24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881 ;
- Harcèlement moral tel que prévu et réprimé par l’article 222-33-2-2 du Code pénal.
Outre des appels explicites à s’en prendre physiquement à nos trois collaborateurs, ces huit vidéos comportent de façon insistante et répétée des attaques ciblées, d’une violence inouïe, visant notre consœur Lucie Delaporte qui la diffament à raison de son sexe et portent atteinte à son honneur et à sa considération. Nul hasard évidemment puisqu’elle suit avec constance les activités de l’extrême droite et a enquêté sur ces « youtubeurs de la haine » et leur « néofascisme débonnaire » (lire son enquête ici et tous ses articles là). De son côté, Usul était revenu dans une chronique de Mediapart sur les propagateurs de cette haine en ligne, raciste et suprémaciste (voir ici).
Cette « blanche de gauche », « il faudrait que tout à coup il y ait la Gare du Nord qui déboule dans son salon à celle-là, pour voir comment elle se range idéologiquement », peut-on entendre dans l’une des vidéos à propos de Lucie Delaporte. « C’est ça ce qui me donne envie de les éclater », surenchérit l’un des intervenants à propos de Mediapart. La dernière vidéo concernant notre collègue, diffusée en ligne le 21 octobre dernier, sur la chaîne d’un youtubeur ancien membre d’un groupuscule néonazi, la dénigre en tant que femme, cible d’appels au viol répétés. L’un des participants aux échanges, ex-membre du Front national, y propose sous les rires de ses comparses de créer une cagnotte destinée à financer « le viol » de notre collègue, « au moins trente mille balles pour la baiser ». À plusieurs reprises, les uns et les autres font référence à des armes à feu, parlant de faire, aux journalistes, « d’authentiques fractures du museau, ça va leur faire bizarre ».
Quant à Mathieu Magnaudeix, son portrait est isolé sur une photographie ancienne de la rédaction de Mediapart avec ce commentaire : « Tu googelises Mediapart et tu vois un cuck avec les jambes croisées et une petite écharpe au premier rang. Tu sais pas qui est un homme qui est une femme ». Dans le langage de ces nouveaux fascistes, Mediapart est appelé « Mediacuck », de l’expression « cuckservative » supposée décrire les personnes soumises aux femmes et aux minorités.
Dans un premier temps, les avocats de Mediapart ont mis en demeure éditeurs et hébergeurs – en l’occurrence la chaîne YouTube, qui appartient à Google – de supprimer ces vidéos. Or, seule l’une d’entre elles, sur huit au total, a été supprimée. Les infractions dont elles sont constitutives se poursuivant en toute impunité, Mediapart a donc décidé d’effectuer un signalement formel à la justice, après les avoir fait constater par huissier. Ce choix est certes juridique – une plainte en diffamation n’aurait pas mis fin aux menaces et aux violences, ne débouchant sur un procès que dans longtemps – mais il est surtout politique : nous estimons qu’il est du devoir des pouvoirs publics de protéger le métier de journaliste et la liberté de la presse.
Malgré un appel commun de trente-neuf sociétés de journalistes, le 17 novembre 2021 (« Stop aux menaces de l’extrême-droite visant les journalistes »), suivi d’une prise de position ferme de la ministre de la culture (« Attaquer la presse, c’est attaquer la démocratie »), complétée par une enquête de Mediapart sur la violence politique à laquelle sont confrontés les journalistes travaillant sur l’extrême droite, il n’y a eu, à ce jour, aucune prise de position, directive ou initiative du ministère de la justice, alors que, via les parquets, le pouvoir exécutif est, en France, maître de la politique pénale. Notre signalement est donc un appel à la procureure de la République pour que la justice prenne ses responsabilités, en engageant les investigations et poursuites qui s’imposent.
« Au-delà des intérêts de nos clients, ce sont les fonctions de journalistes qui sont visées, c’est-à-dire l’un des piliers essentiels de l’État de droit, écrivent Mes Levy et Tordjman dans leur lettre à la procureure de la République. Il appartient donc au ministère public, en charge de la défense de l’intérêt général, de se saisir des faits, objets du présent signalement, afin que soient identifié les auteurs et complices de ces graves infractions et qu’il soit rappelé que l’expression, d’où qu’elle vienne, ne saurait avoir pour effet de porter atteinte à la liberté d’informer le public sur des sujets d’intérêt général ».
Dûment enregistré par le parquet de Paris, notre signalement a été transmis au Pôle national de lutte contre la haine en ligne. Nous sommes impatients d’en connaître les suites. Dans cette attente, nous redisons toute notre solidarité à nos deux collègues Mathieu Magnaudeix et Usul et, surtout, à notre consœur Lucie Delaporte dont ces attaques violentes rendent encore plus difficile, par l’intimidation et la menace, le nécessaire travail sur l’extrême droite.
Commentaires récents