EDF Harcèlement Justice Travail
Employé d’EDF, Jean-Michel B est harcelé depuis plus de dix ans. Ce salarié a relayé sur son compte Facebook les enquêtes de Blast sur le management toxique chez l’électricien, pour interpeller les syndicats. La direction en a profité pour le traduire en conseil de discipline, devant lequel il passe demain, pour le licencier…
En avril dernier, à peine lancé, Blast publiait une longue enquête révélant les discriminations à EDF et les méthodes d’harcèlement d’une partie du management contre de nombreux salariés, à l’œuvre depuis des années. Plusieurs témoignages accompagnaient et complétaient nos révélations.
Depuis, de nombreux salariés se sont manifestés pour témoigner auprès de Blast et faire savoir qu’ils vivaient la même situation. Parmi les premiers à réagir, Jean-Michel B… Ce cadre de la DRH a créé une association (Ethique en actions) pour justement faire remonter les dossiers d’harcèlement et de discriminations. A la suite de nos échanges, nous avons publié une interview, celle d’Elodie, membre de l’association et elle-même salariée, handicapée et mise en invalidité victime des harceleurs et de leurs pratiques délétères.
Juillet, nouvel épisode, mauvaise nouvelle…
Début juillet, nouvel épisode. Elodie, toujours elle, a une mauvaise nouvelle : Jean-Michel B va être traduit en conseil de discipline en vue de son licenciement. Sa faute ? Avoir… posté sur son compte Facebook deux messages relayant nos enquêtes sur EDF. Alors que le groupe dirigé par Jean-Bernard Lévy n’a jamais officiellement réagi à notre enquête sur son management pathogène, il semble en revanche qu’il s’en serve pour se débarrasser d’un salarié gênant, harcelé…
Nous avons recontacté Jean-Michel B. Il souhaitait témoigner publiquement. Raconter à visage découvert tout ce qu’il a vécu depuis qu’il a rejoint les rangs de l’électricien public, ce qu’il a découvert des petites magouilles de certains qui lui ont valu une bonne part de ses déboires ; dénoncer les grandes centrales syndicales aussi, qui dans de trop nombreux cas d’harcèlement et de discriminations refusent de protéger les salariés victimes…
Dans tous les témoignages recueillis par Blast, ces salariés évoquent l’inaction des représentants syndicaux, pour la plupart. Pire, pour certains d’entre eux, pourtant syndiqués, la situation s’est aggravée après leur avoir parlé dans ce cadre ! « J’ai reçu un appel d’un des principaux responsables de mon syndicat, nous a ainsi raconté un de nos témoins, il m’a averti qu’il porterait plainte contre moi pour… harcèlement si je continuais à lui envoyer des mails pour lui demander d’agir ».
J’ai accepté et j’ai été auditionné le 15 septembre
Jean-Michel B avait également une autre demande à formuler : savoir si l’auteur de cet article accepterait d’être témoin devant le conseil de discipline. J’ai accepté et j’ai donc été auditionné le 15 septembre dernier. Le même conseil de discipline doit se réunir ce mardi 5 octobre. Pour rendre sa décision.
Dans l’attente, voici son témoignage (à la suite).
Jean-Michel B : « EDF massacre des salariés »
« Je suis rentré en 1992 chez GDF (Gaz de France) dans un service qui faisait de l’inspection anticorrosion. J’étais jeune technicien, j’avais un BAC +2. GDF m’a fait suivre une formation en anticorrosion et pendant 9 / 10 ans, je me suis déplacé dans toute la France pour réaliser des expertises.
Après je suis devenu adjoint ingénieur de chantier, pour une réhabilitation d’un ouvrage dans le sud de la France, toujours chez GDF. La Drire (la Direction régionale de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement, ndlr) avait émis une interdiction d’exploitation. Il y avait eu des gros problèmes sur le chantier, des malfaçons, des magouilles… GDF cherchait aussi quelqu’un originaire du sud pour aller négocier avec les collectivités locales et les agriculteurs, parce qu’il fallait de nouveau entrer chez eux pour refaire les travaux.
Après la réhabilitation, je suis remonté en région parisienne à la direction des relations sociales d’EDF-GDF, dans le service de formation professionnelle commun aux deux entités. Quand il y a eu la séparation des deux entreprises, on nous a demandé de choisir, et j’ai choisi EDF. Entretemps, j’avais eu une formation de coordonnateur SPS (sécurité et prévention de la santé) qui me permettait de diriger de gros chantiers. J’avais été détecté « haut potentiel », donc on m’a fait faire une formation de cadre à Paris. Tout se passait bien.
En 2006, la mère de mes enfants a un gros problème médical. J’ai informé EDF en leur disant que j’accepterais les nouvelles missions que l’entreprise me confierait si l’état de santé de mon épouse s’améliorait, sinon je ne pourrais pas rester en région parisienne avec deux enfants en bas âge et une femme handicapée. J’ai contractualisé tout cela avec EDF : je me suis engagé à finir la mission en cours pour créer la nouvelle structure de formation, et en contrepartie EDF devait s’engager à me trouver un poste dans le sud, à proximité de mes parents qui s’occupaient de mes enfants, dans le cas où l’état de ma femme ne s’améliorait pas.
EDF a accepté. Je termine ma mission, et là les soucis ont commencé. EDF n’a jamais respecté l’accord. J’ai menacé EDF de médiatiser ma situation et de raconter tout ce que j’avais vu sur les chantiers. Comme l’entreprise ne m’a pas cru, j’ai menacé de dormir sur le site dans un sac de couchage et de faire venir la presse. Le lendemain, j’étais transféré à Marseille.
Plus de poste chez EDF !
Depuis ce jour-là, je suis marqué au fer rouge. Ma fiche de carrière indique que depuis onze ans je n’ai plus de poste chez EDF ! Depuis onze ans, je suis chargé de mission et on me balade de droite à gauche. Par contre, au niveau professionnel, EDF n’a jamais pu me reprocher quoi que ce soit. Mais je n’ai eu aucune augmentation salariale.
A un moment, à la DRH, il y a eu une grosse mission : l’aide à un directeur pour la réception du nouveau campus de formation à Saclay, puis en prendre l’exploitation. On me l’a proposé, j’ai accepté.
Je suis donc transféré et je travaille avec un directeur de projet de la DRH groupe. On réceptionne le campus, c’est une catastrophe. Je leur conseille de ne pas accepter la réception et de ne pas payer Bouygues parce que rien n’est fini. Les normes électriques n’étaient pas respectées. On m’a demandé de me taire, mais j’ai continué à montrer les crocs.
A ce moment-là, une jeune femme a été nommée pour diriger tous les campus. Je devais être rattaché à elle. Déjà dans la phase de préparation de l’exploitation, je préparais tout, mais c’est elle qui se mettait en avant. Ce qui m’a mis en colère et je l’ai fait savoir. On m’a demandé si je voulais rester, j’ai dit oui, mais ils ont voulu changer les conditions dans lesquelles j’allais devoir travailler, alors que tout avait été déjà prévu dans un accord écrit. Tous mes remboursements de frais étaient annulés.
La responsable favorisait ses amis !
Tout a été fait pour que je refuse, et j’ai refusé. C’est pour cette raison que j’ai saisi les prud’hommes. EDF m’a donc reversé dans mon ancienne fonction de chargé de mission. Et là c’était sur des aspects financiers. Et je découvre avec mon boss, que la responsable du campus de Saclay pouvait faire ce qu’elle voulait au niveau financier. Elle ne respectait pas les règles de passation de marchés et favorisait ses amis.
De plus, il y avait aussi des problèmes d’harcèlement sur des salariés. Les syndicats acceptent de faire un droit d’alerte. Il y a une enquête commune avec la direction. Résultat : constat d’harcèlements, constat de fraudes. La direction vire alors le représentant de la DRH qui faisait l’enquête, et les patrons de la DRH affirment que tout ce qu’on a relevé est faux. Des collègues sont tombés malades, puis ont été placés en invalidité.
Pour ma part, j’ai décidé de faire une alerte éthique. J’ai demandé aussi à d’autres collègues d’en déclencher une. Il a fallu attendre un an pour avoir le constat de mon alerte alors que le délai normal est de six mois ! Ils me disaient que mon alerte est partiellement vraie, alors que tous les chiffres proviennent du logiciel SAP, donc c’est bon ou pas bon, mais pas partiellement bon. La direction éthique avait la pression de la DRH groupe.
Tout le monde se tait
Comme rien ne bougeait, j’ai commencé à raconter tout cela sur LinkedIn et Facebook. Et plein de gens m’ont contacté et m’ont raconté des expériences similaires. Avec un collègue syndiqué ayant la fonction de délégué syndical central adjoint, on s’interroge pour savoir pourquoi les syndicats ne bougent pas au niveau national. On fait des courriers aux fédérations. Tout le monde se tait. Le problème, c’est qu’au niveau national, il y a de la connivence entre la direction et les syndicats.
En 2020, pendant la Covid-19, on a décidé de créer une association. C’est comme cela qu’Ethique en actions est née. Quand j’ai lu vos articles, je me suis reconnu parce que c’est ce que j’ai vécu. Et avec toutes les affaires qu’on remonte, ça confirme bien que c’est pourri de partout.
Le vrai sujet, ce n’est pas moi
Ça ne peut pas durer, EDF massacre des salariés. Moi, je suis toujours suivi par un psy pour m’aider à évacuer. Mais je traverse des périodes difficiles. Je ne dors pas souvent la nuit. Je prends des cachetons…
J’ai été en arrêt maladie pendant trois ans et j’ai repris. C’est une erreur, j’aurais dû accepter d’être placé en invalidité. EDF a cherché toutes les petites excuses pour me mettre la pression, et là l’entreprise a sauté sur cette occasion (les messages Facebook), qui ne tient pas la route juridiquement. Mais le vrai sujet, ce n’est pas moi. Le vrai sujet qui dérange EDF, c’est tous les dossiers que l’on fait remonter avec l’association Ethique en actions.
J’ai été auditionné, dans le cadre du conseil de discipline. On m’a demandé si j’appartenais à un parti politique ! C’est écrit dans le compte-rendu. EDF se croît au-dessus de tout. Pourtant, je suis déjà en procès contre l’entreprise, en cour d’appel. J’ai une attestation de mon ancien patron direct qui explique que la DHR lui avait affirmé que je n’aurai aucune augmentation parce que je détiendrais des biens immobiliers.
Je ne lâcherai rien
J’ai utilisé un compte Facebook qui n’est pas à mon nom. J’utilise un nom composé. C’est un compte que j’utilise pour faire des commentaires politiques. Donc s’ils ont trouvé les messages Facebook, c’est que je dois être surveillé depuis des années… Les responsables de la direction des ressources humaines d’EDF n’ont pas apprécié que je les compare à des généraux de l’Armée rouge !
En fait, on est dans un groupe où on est vite marqué au fer rouge. Ils savent que j’ai des difficultés financières, que je suis obligé de mettre en vente ma propriété. Mais je ne lâcherai rien. D’autant que l’association vient de sortir le dossier Linky, et on a saisi 110 procureurs. C’est sûr qu’on ne va pas se faire la bise !
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