Discriminations
Droit aux loisirs, à l’éducation, et même à être soigné : l’obligation du passe sanitaire pour les enfants dès 12 ans crée des discriminations. Son imposition sans concertation empêche un débat pourtant nécessaire.
À compter du 30 septembre, les enfants âgés de 12 ans – et 2 mois, pour laisser le temps à une éventuelle vaccination – jusqu’à 17 ans doivent présenter un passe sanitaire pour accéder aux cinémas, piscines, activités culturelles, artistiques et sportives, y compris en plein air. À la veille de la nouvelle mesure, ce responsable des accueils d’une MJC du nord de la France est embêté. Il ne sait pas vraiment si les MJC sont concernées : « A priori, le passe n’est pas obligatoire pour les centres sociaux. Mais après deux ans de protocoles contradictoires et de paradoxes, le flou continue. Si ce n’est pas le cas, que vais-je faire moi, demain, avec le cours de guitare collectif des ados ? Ils viennent juste de s’inscrire… »
Dans le quartier de la MJC, la population est plutôt « peu vaccinée ». Et les inscriptions des jeunes aux activités proposées sont loin d’avoir retrouvé leur niveau d’avant Covid. « Tous les ateliers théâtre, musique, danse, accusent une grosse baisse de fréquentation. Malgré nos efforts, on a perdu la proximité avec notre public. Les parents s’inquiètent surtout de savoir s’ils seront remboursés en cas de nouvelle annulation. Les enfants et ados vivent très mal les ouvertures et fermetures successives. Je les sens frustrés. Ils saturent. »
« L’accès aux loisirs n’est pas un droit accessoire »
Claire Hédon, la Défenseure des droits, reconnaît l’importance de la vaccination dans la lutte contre la pandémie. Mais elle a alerté : « La situation spécifique des mineurs n’est pas prise en compte. » [1] Le passe sanitaire restreint les droits des enfants. « L’accès aux loisirs et à la culture n’est pas un droit accessoire, poursuit-elle. Mais bel et bien un droit fondamental pour le bon développement de l’enfant ».
Chargé de mission pour la Fédération nationale du sport en milieu rural (FNSMR), Guillaume Pasquier ne peut pas encore chiffrer dans quelle mesure la nouvelle obligation de passe sanitaire pour les jeunes en a dissuadé beaucoup de pratiquer. Il note en revanche que « cela pèse vraiment sur le moral des présidents d’associations. Certaines suspendent des activités. À la marge, des activités sont par ailleurs annulées car les animateurs refusent le passe sanitaire ». Autant d’opportunités de loisirs qui s’envolent pour les enfants. « Tout ce qu’on espère, c’est que ce passe disparaisse rapidement, ajoute-t-il. Oui, le Covid est dangereux et tue. Mais ne pas faire de sport, à moyen et long terme, crée aussi un problème de santé crucial. »
« On demande des tests, des dépistages, plutôt que des renvois à la maison »
La restriction de l’accès aux loisirs pour les enfants non vaccinés ne s’arrête pas à la porte de l’école. « L’élève non vacciné ne pourra pas participer aux activités culturelles organisées par les enseignants à l’extérieur de l’école, souligne la Défenseure des droits. Le risque d’une stigmatisation est grand. » Clara Dugault, coprésidente de la FCPE (Fédération des conseils de parents d’élèves), refuse une école de la discrimination. « Nos enfants viennent de traverser deux années difficiles, ils ont terriblement manqué d’activités, et on continue à les priver. Car sur le terrain, je vois mal un enseignant dire à une partie de ses élèves : « Vous, vous ne pouvez pas aller au cinéma ». C’est violent. L’enseignant risque de tout annuler pour ne pas discriminer. »
À l’école, c’est aussi le droit à l’éducation que le passe sanitaire remet tout simplement en question. Dans les collèges et lycées, en cas de Covid dans une classe, la ou le malade est isolé en quarantaine, les élèves vaccinés poursuivent les cours et les non-vaccinés sont sommés de « télé-étudier ». Le principe d’égal accès à l’éducation est rompu. « Aucun enfant non malade ne doit être renvoyé chez lui, martèle la FCPE. On sait très bien que chez lui, l’élève n’aura pas les mêmes chances d’apprendre. Les professeurs seront déjà occupés à faire cours aux présents. On demande des tests, des dépistages, plutôt que des renvois à la maison. »
Le Conseil scientifique a suggéré la même chose. Ainsi, mardi 28 septembre, Jean-Michel Blanquer a annoncé l’expérimentation d’un nouveau protocole sanitaire dans les écoles d’une « dizaine de départements », début octobre. Là, un cas positif entraînera le dépistage de toute la classe. Seuls les cas positifs devront suivre des cours à distance pendant plusieurs jours.
Menaces sur la vie privée des enfants
Autre problème, le passe sanitaire oblige l’élève à transmettre à son établissement scolaire des informations relatives à la santé. Quid du respect de sa vie privée ? Car la vaccination n’est pas obligatoire. « Cette transmission pose un gros problème de confidentialité, confirme Clara Dugault. Rien n’est dans les clous. On laisse les enseignants démunis. Nous avons demandé à l’État qu’il revoie sa copie rapidement et recrute des infirmières scolaires pour gérer ces données. L’État n’est-il pas le premier garant des droits de l’enfant ? »
De fait, en classe, de nombreux professeurs se retrouvent à poser la question : « Qui d’entre vous est vacciné ? » « Vous imaginez ? s’insurge Laurent Maurin, avocat d’enfants au Barreau de Montpellier. C’est comme si un professeur demandait : « Qui d’entre vous est chrétien ? » Dans une société où le « différent » est si vite stigmatisé, ça me scandalise. » Dans une lettre ouverte, l’avocat a demandé à la Défenseure des droits de saisir la Grande Chambre de la Cour européenne des Droits de l’Homme sur la question du passe sanitaire. Pour « atteinte aux droits fondamentaux » et « atteinte à l’intérêt supérieur des enfants » : « Je suis un avocat plutôt mesuré. Mais j’estime de mon devoir de dénoncer toutes les violences dont sont victimes les enfants, y compris quand elles viennent de l’État. »
Le Syndicat de la médecine générale (SMG) s’émeut tout autant de la circulation non encadrée des données de santé des enfants. « Les QR codes indiquent bien plus d’informations que le seul statut vaccinal, s’inquiète Mathilde Boursier, médecin généraliste et membre du syndicat. Le nombre de doses reçues et les dates d’injections donnent en creux des informations sur l’histoire médicale de l’élève. Certains chefs d’établissements pourront-ils choisir d’inscrire de telles informations dans les dossiers scolaires des enfants ? Quand on sait que les malades sont plus discriminés que les autres, c’est grave. » Plus largement, elle soulève aussi la question de l’agrégation des données de santé des mineurs sur des plate-formes où celles-ci sont certes « pseudonymisées », mais pas complètement anonymes.
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Quand les enfants dépendent du passe sanitaire de leurs parents pour être soignés
Il y a quelques jours, le SMG a alerté sur le cas d’un bébé de quatre mois qui n’a pu être reçu pour son suivi et ses vaccinations, car ses parents n’avaient pas le passe sanitaire. Les hôpitaux et cliniques le demandent dès l’entrée. « Oui, le passe réduit le droit d’accès aux soins, détaille Mathilde Boursier. Si les parents ou représentants légaux n’en présentent pas, un enfant épileptique, par exemple, ne peut plus accéder à son suivi spécialisé. Un autre ne peut pas se rendre à sa consultation d’anesthésie pour se faire opérer. » La soignante voit ces parents chercher des plans B : « Des services de PMI [Protection maternelle infantile] déjà surchargés, des cabinets de médecine général libérale. Mais tout le monde n’en a pas à proximité. »
Que les enfants dépendent du passe sanitaire de leurs parents pour être soignés est une aberration, selon elle : « L’argument de la contagion ne tient pas. Ce n’est pas parce que les gens sont vaccinés qu’ils ne sont plus contaminés ni contaminants. De plus, les établissements de soin sont habitués à gérer la maladie. La contamination, c’est le risque professionnel des soignants. On le maîtrise tant qu’on peut. Mais si on ne le prend plus, alors on arrête de faire notre boulot, c’est-à-dire soigner les gens malades. »
« On discrimine des personnes déjà discriminées. C’est la double peine »
Le passe sanitaire bouscule les droits des enfants. Qui plus est, probablement ceux des enfants les plus vulnérables. « La carte des plus faibles vaccinations recoupe celle de la pauvreté, de la fracture numérique, de l’accès aux services publics. Ces mesures sont plus dures pour les publics précaires et accroissent les inégalités, relève la Défenseure des droits. On sait que les familles les moins favorisées socialement sont les moins vaccinées. » « Discriminées par la langue, un moindre accès au numérique, à une voiture, à l’information, aux soins », énumère Mathilde Boursier. Le passe sanitaire renvoie chez eux les enfants qui n’ont pas d’ordinateur personnel ni de connexion Internet fiable pour suivre les cours, ceux qui auraient besoin d’activités ressourçantes, d’accès à d’autres modèles et soutiens. « Quelle violence sociale ! déplore Mathilde Boursier. On discrimine des personnes déjà discriminées. C’est la double peine. »
L’obligation vaccinale déguisée empêche la réflexion
Mais que pèsent les restrictions de liberté des enfants face à la lutte contre une pandémie ? « À la FNSMR, on se pose pas la question selon cette logique d’atteinte aux libertés des enfants, reconnaît Guillaume Pasquier. On est plus pragmatiques. La situation est moins pire avec le passe sanitaire que pendant les confinements ou qu’à l’automne dernier, où beaucoup d’enfants étaient dans l’impossibilité de pratiquer. C’était déprimant. Aujourd’hui, notre rôle est d’accompagner la situation qui nous est imposée et dont on comprend les raisons. Oui, certaines familles ont sûrement abandonné le sport, parce qu’avec le passe, c’est compliqué. Mais d’autres ont vacciné les enfants et tout est redevenu simple. »
Le problème est là. Beaucoup de familles vaccinent les enfants, dans l’urgence, pour ne pas restreindre leur accès à l’école, au basket, à la danse, à un suivi thérapeutique. Pas après une réflexion sur les risques et les bénéfices de la vaccination pour eux. La Défenseure des droits a déploré l’obligation de vaccination déguisée derrière le passe sanitaire. Qui a coupé court à tout débat social sur le sujet. « Partout circule l’idée qu’il faut que les enfants soient vaccinés, qu’il n’y a pas d’autre choix, regrette l’avocat Laurent Maurin. Quelle place laisse-t-on à la réflexion, à la critique, à la prudence, au débat ? On nous assène des certitudes qui n’en sont pas. » Les parents le disent à la FCPE : ils sont perdus, ne savent pas quoi penser du vaccin pour les enfants. « Le temps de sensibilisation, d’explication, d’information n’a pas été mené, constate Clara Dugault. Par exemple, beaucoup de parents rapportent que le vaccin perturbe les règles de leurs filles. Personne n’a de réponse sur les conséquences hormonales. Cela crée beaucoup d’inquiétudes dans les foyers. »
Les enfants ont-ils intérêt à être vaccinés ? Laurent Maurin aurait aimé que ce débat ait lieu : « La vaccination ne met-elle pas à mal leur immunité naturelle présente et future ? La société assume-t-elle de faire passer l’intérêt des plus anciens avant celui des jeunes ? Pourquoi les mineurs dès 16 ans n’ont-ils pas besoin d’autorisation parentale pour se faire vacciner ? » Les vaccine-t-on aujourd’hui en prévision d’un variant qui les touchera peut-être demain ? Évincé par le passe vaccinale et l’état d’urgence sanitaire, le débat n’a pas eu lieu.
Audrey Guiller
Notes
[1] Voir le communiqué de presse de la Défenseure des droits.
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