Alors qu’EDF prépare le chantier de ses nouveaux réacteurs EPR2, le projet est bloqué : l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) exige que le problème des vibrations, qui fragilisent le circuit d’eau primaire, soit réglé. Nouvelle grosse tuile pour l’électricien.
Dans un avis discrètement publié au mois de mars, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) – le bureau technique de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) – demande à l’électricien public d’identifier l’origine des vibrations qui affectent le circuit d’eau primaire des EPR, déjà construits ou en cours de construction. Et de trouver une solution à ce problème, pour qu’il ne se reproduise sur son nouveau modèle de réacteur, baptisé EPR 2. Passée sous les radars, la nouvelle est un énième coup dur dans un dossier à rebondissements. En effet, EDF n’a à ce jour aucune idée pour le résoudre. Par conséquent, on peut d’ores et déjà anticiper de nouvelles années de retard supplémentaires dans le développement d’une technologie, censée plus facile à produire et donc plus compétitive, sur laquelle le groupe dirigé par Jean-Bernard Levy joue très gros.
L’alerte finnoise
Ce problème de vibrations a été mis en évidence dès 2018, lors de tests entrepris en Finlande, sur l’EPR en cours de construction à Olkiluoto. Il affecte en particulier la ligne d’expansion du pressuriseur du réacteur (LEP), un équipement essentiel du circuit d’eau primaire.
Comme le dessin du circuit primaire d’eau est le même sur l’EPR de Flamanville, ainsi qu’en Chine (Taishan) ou en Grande-Bretagne (Hinkley Point), ce problème affecte donc tous les EPR construits ou en cours de construction.
Le risque encouru par ces vibrations, jugées trop importantes ? « Des vibrations excessives peuvent occasionner des dommages par fatigue », précise l’IRSN à Blast. En clair, l’acier des tuyaux pourrait casser et provoquer un accident grave, entraînant potentiellement la fermeture définitive de l’installation !
Sur une jambe…
« Si une rupture intervenait sur la jambe d’expansion du pressuriseur, il y aurait forcément des rejets radioactifs importants à l’extérieur, pour éviter que l’enceinte ne monte en pression, précise une source interne à EDF. Le PPI de la centrale serait aussi activé. »
Pour tenter de limiter le problème, Areva, le constructeur de l’EPR en Finlande, a proposé à l’autorité de contrôle locale de poser un amortisseur sur le pressuriseur. Une solution similaire est également envisagée pour l’EPR de Flamanville. « Ce dispositif sera expertisé par l’IRSN », confirme l’Institut à Blast. Des travaux supplémentaires, à prévoir donc sur un réacteur dont la mise en service n’est pas attendue avant 2023.
Si ce problème de vibrations trop élevées n’est pas encore réglé, EDF avance néanmoins très rapidement sur le dossier des futurs réacteur – les EPR2, qui doivent être construits en France à partir de 2024 -, comme l’a récemment révélé le site d’information spécialisé Contexte. Ce qui a d’ailleurs amené le gouvernement à mandater des cabinets d’audit pour expertiser les coûts de l’EPR, selon La Lettre A, un autre site bien informé. Manifestement, EDF veut être prêt à donner le premier coup de pioche dès le lendemain de la présidentielle de l’année prochaine.
Le coup de pression
Alors que le groupe public a introduit des simplifications, pour réduire les coûts de construction de l’EPR2 (par rapport à ceux de son prédécesseur), les deux réacteurs partagent toutefois le même dessin du circuit primaire d’eau. Ce que l’IRSN reproche implicitement à EDF et à Framatome, la filiale de l’électricien responsable des équipements nucléaires sous pression, dans son avis rendu en mars.
« Framatome considère que le tracé actuel de la LEP (la ligne d’expansion du pressuriseur, pour mémoire, ndlr) pour les futurs réacteurs EPR2 est le meilleur compromis pour prendre en compte les différentes exigences de conception (dilatation thermique, encombrement, résistance mécanique…). Ainsi, le tracé de la LEP apparaît figé alors qu’aucune solution au regard du retour d’expérience disponible n’a encore été définie », regrette l’Institut.
Une nouvelle conception ne doit pas être exclue
« Framatome doit identifier les origines des vibrations élevées et revenir à une situation comparable à celle du parc en exploitation. Une nouvelle conception de la LEP ne doit pas être exclue, quand bien même cela devrait mettre en cause la conception du génie civil », ajoute l’Institut. D’où sa recommandation qui s’apparente à un véritable feu rouge : « L’IRSN recommande que Framatome identifie les origines des vibrations élevées de la ligne d’expansion du pressuriseur observées sur différents réacteurs EPR et présente, à un stade précoce de la conception, les évolutions nécessaires sur les futurs réacteurs EPR2 pour pallier cette problématique de vibrations. »
Un vibrant mystère
À ce jour, l’origine des vibrations n’est en effet pas connue. « Celles relevées sur l’EPR sont vraisemblablement dues à des interactions fluide-structure. Il s’agit de phénomènes complexes qui font toujours l’objet de recherches. Il faut pouvoir comprendre ce qui en est à l’origine pour ne pas les reproduire sur l’EPR2. C’est l’objet de la recommandation de l’IRSN », explique à Blast Karine Herviou, la DGA en charge de la sûreté nucléaire à l’IRSN.
En clair, c’est tout le dessin du circuit primaire d’eau, et même l’architecture du bâtiment réacteur, qui pourrait être modifié pour résoudre le problème. « En fonction de l’origine des vibrations, il est possible que la disposition des gros composants du circuit primaire ou la conception de certains éléments doivent être revues (par exemple des longueurs ou l’agencement de tuyauteries et de leur supportage), précise Karine Herviou. L’IRSN estime que des dispositions appropriées doivent être prises pour limiter ces vibrations, même si cela implique de modifier certaines structures, notamment des voiles intérieurs au bâtiment réacteur ».
Autoriser un tel défaut de conception ? Inacceptable
« Ce problème n’existe pas sur les réacteurs en exploitation. Est-il une conséquence de la puissance de l’EPR (1650 MW), supérieure à celle des réacteurs en exploitation ? », s’interroge Bernard Laponche, ex-physicien nucléaire au CEA et principal animateur du site Global Chance. Mais pour lui, pas question qu’EDF bidouille une solution bancale, pour faire passer son EPR2 sans avoir résolu ce problème. « L’EPR 2 est un nouveau réacteur. Il serait inacceptable d’un point de vue de la sûreté nucléaire d’autoriser la construction de réacteurs de ce type ayant un tel défaut de conception, même s’il est “limité”. Il ne doit pas y avoir de vibration du tout. »
Trois années après avoir identifié le problème vibratoire, les ingénieurs d’EDF et de Framatome vont donc devoir retourner à leur planche à dessin. Des années d’études leur semblent promises, pour régler cette complication. Un calendrier qui parait incompatible avec la mise en chantier d’une première paire d’EPR2 dès 2024. À moins qu’EDF, comme pour l’EPR de Flamanville, n’engage… les travaux sans avoir finalisé le basic design du réacteur, quitte à accumuler ensuite les surcoûts et les retards.
Contactées par Blast, ni EDF ni Framatome n’ont répondu à nos questions.
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