3 juillet 2021 Par Emmanuel Riondé
L’appel à se mobiliser contre l’extrême droite samedi, à Perpignan, en marge du congrès du RN, a rassemblé autour de deux mille personnes. Un « succès » mitigé mais dont beaucoup se contentent.
Perpignan (Pyrénées-Orientales).– Il y a une quinzaine d’années, une mobilisation nationale contre l’extrême droite dans la ville où le Rassemblement national (RN) tenait son congrès aurait très probablement réuni bien plus de monde. Mais au terme d’une éreintante année Covid, en début d’été, une semaine après avoir entendu partout que le RN venait de connaître une sévère défaite, réunir autour de deux mille personnes (trois mille selon les organisateurs à qui les renseignements généraux avaient confié qu’ils attendaient 1 200 personnes), dans une ville aux confins des Pyrénées-Orientales, n’est pas si mal. C’est ce sentiment un peu mitigé qui habitait beaucoup de celles et ceux qui se sont retrouvés ce 3 juillet place de Catalogne au cœur de Perpignan, au terme d’une journée de mobilisation que ses organisateurs avaient voulu « conviviale, festive et revendicative ».
L’appel à se retrouver « ensemble contre l’extrême droite » à l’occasion du 17e congrès du RN qui se tient ces 3 et 4 juillet au Palais des congrès, avait été lancé depuis plusieurs semaines et signé par trente-trois organisations politiques, syndicales, associatives ou collectifs des Pyrénées-Orientales.Un caractère unitaire abouti sur le papier mais aussi, selon les concernés, dans la préparation concrète de la mobilisation qui ne s’est pas limitée à la manifestation : des prises de parole et des concerts étaient organisés en amont et en aval.
Le cortège, lui, s’est élancé en début d’après-midi, traçant une large boucle en ville, à bonne distance du Palais des congrès. Sous l’œil de policiers en civil et en uniforme et avec un service d’ordre CGT à l’ancienne bien fourni. « Même si on n’est pas taillé pour ça, on est quand même nombreux, et pas que de la CGT, c’est important », estimait un quinquagénaire goguenard, ceint d’un brassard SO. Manifestation des gauches en marge du congrès du RN à Perpignan le 3 juillet. © Jeanne Mercier / Hans Lucas via AFP
Beaucoup plus nombreux en tout cas que les responsables politiques nationaux à la tribune de la conférence de presse organisée le matin. Seul Philippe Poutou du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et Thomas Portes de Génération·s étaient présents. Ni La France insoumise (LFI), ni le Parti communiste français (PCF), ni Europe Écologie-Les Verts (EELV) n’avaient jugé utile de déplacer des cadres parisiens. À leur côté, en plus des représentantes et représentants locaux du PCF, de la CGT, de la Ligue des droits de l’homme, de la FSU et de Solidaires notamment, se trouvait aussi Carles Riera, député de la CUP, le parti indépendantiste siégeant au parlement de Catalogne à Barcelone. Venu en voisin proche, il a rappelé combien « l’antifascisme était un vecteur d’union et d’intégration » de l’ensemble des forces de gauche.
« Nous avons besoin dans ce pays d’avoir des moments et des temps forts pour offrir d’autres horizons et des perspectives émancipatrices. Il est important de ne jamais banaliser l’extrême droite », a pour sa part rappelé Thomas Portes, faisant le lien avec la mobilisation du 12 juin qui « n’était pas une initiative d’un jour ». Le candidat du NPA à la prochaine présidentielle s’est, lui, dit « satisfait de l’aspect unitaire de la mobilisation » avant d’avertir : « On parle de l’échec du RN depuis une semaine, mais en réalité, ce n’est pas vraiment le cas. Ils sont maintenant implantés dans le décor et il faut faire le lien avec ce qui se passe à l’international, en Hongrie, au Brésil… L’extrême droite est bien là, on le voit aussi en France avec les attaques sur les librairies par exemple. »
Aujourd’hui, partout c’est l’extrême droite qui dicte l’agenda politique.
Gaspard et Zoé
Une référence aux actions violentes fréquentes des groupes fascistes à Lyon. Des militants de la Jeune Garde lyonnaise, collectif antifasciste, étaient d’ailleurs présents dans un cortège où se succédaient les troupes de la CGT, celles des autres syndicats mêlés aux organisations politiques – grosse présence du NPA et de Vigilances et initiatives syndicales antifascistes (VISA), très actif dans le département – des drapeaux de l’Union communiste libertaire (UCL), de la Confédération nationale du travail (CNT), et enfin des collectifs, associations et organisations autonomes.
Dans cette petite foule déterminée, rassemblant très majoritairement des militants, Gaspard, 24 ans et Zoé étaient venus de Montpellier « On n’a pas une situation comme à Lyon, confiaient les deux jeunes, mais on reste vigilant. Parce que, vraiment aujourd’hui, partout, c’est l’extrême droite qui dicte l’agenda politique, c’est ça le problème. » Un peu plus loin, Romain et Wilfried, portant leur banderole de l’étoile sportive de Rosallio, un club omnisport « populaire, féministe, antisexiste, antifasciste », se félicitaient de la «bonne ambiance » du cortège tout en regrettant qu’il n’y ait « pas assez de monde ». Mais, précise Romain : « Il ne faut pas oublier qu’on est dans une ville du RN, ici… Et depuis qu’Aliot est aux affaires, on entend beaucoup de gens expliquer qu’il faut lui laisser un peu de temps pour voir ce qu’il fait vraiment. Mais nous, on sait : ça pue maintenant à Perpignan, il a déjà augmenté les effectifs de la police municipale. »
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Secrétaire départemental de l’union départementale CGT, Julien Berthélemy confirme le discret virage autoritaire de la mairie : « Au début, elle ne s’est pas opposée à notre mobilisation et puis ils ont commencé à nous mettre des petites piques. Ils voulaient qu’on arrête tout à 16 heures. Il y a eu des arrêtés préfectoraux étonnants… » En l’occurrence un sur l’interdiction de consommation d’alcool (la CGT avait déployé ses buvettes sur la place de Catalogne) et l’interdiction de transporter des produits pyrotechniques et inflammables, juste sur la durée du week-end.
Dans la matinée, un militant du NPA venu du nord de la France a été interpellé par la police nationale alors qu’il avait rejoint ses camarades dans le local du parti en ville, avant d’être relâché deux heures plus tard. Des petites manœuvres d’intimidation qui n’ont impressionné personne mais qui ont conforté tout le monde : « Cette mobilisation n’est pas massive mais le cadre unitaire a fonctionné et au niveau local, ça va consolider les liens entre les militants qui veulent bosser ensemble », confiait Jean Boucher, l’un des organisateurs, un peu avant la fin de la manifestation. Et dans le contexte actuel, « c’est déjà pas si mal ».
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