Des indemnités qui varient en fonction de la situation économique. Ce n’est peut-être pas pour tout de suite, mais c’est une petite musique qui monte ici et là depuis plusieurs semaines. Une nouvelle menace, alors que le décret sur l’assurance chômage qui réduira les allocations de plus de 800 000 demandeurs d’emploi après le 1er juillet n’est même pas encore publié.
« Les emmerdes, ça vole en escadrilles », philosophait Jacques Chirac. Les mauvais coups aussi. En tout cas pour les chômeurs. L’idée qui tente aujourd’hui de se frayer un chemin : faire varier le niveau d’indemnisation du chômage en fonction de l’état du marché de l’emploi. Ce n’est pas tout à fait pour 2021, mais les bases sont jetées. Et le travail pour préparer le terrain a bel et bien commencé.
Ses partisans ont déjà poussé leurs premiers pions. « Instituer un pilotage de long terme des dépenses d’assurance-chômage prévoyant un ajustement de l’indemnisation chômage (conditions d’éligibilité et durée d’indemnisation) en fonction d’indicateurs de l’activité économique », recommande une note du Conseil d’analyse économique (CAE), une institution placée auprès du Premier ministre, et dont la mission est d’éclairer les choix du gouvernement en matière économique.
Datée du mois de janvier 2021, la note a été rédigée par trois économistes parmi lesquels Pierre Cahuc. Pas tout à fait un inconnu : ses travaux au sein du CAE en 2015 ont déjà inspiré la réforme de l’assurance chômage de 2019, notamment sur le changement de mode de calcul du salaire journalier de référence. Celui-là même qui conduira entre 800 000 et 850 000 demandeurs d’emploi à voir leurs indemnités réduites d’au moins 20 % après le 1er juillet 2021.
Le vers est dans le fruit
Aussitôt recommandé, aussitôt appliqué. Avec une belle concordance des temps, la recommandation du Conseil d’analyse économique fait son apparition dans les propositions du ministère du Travail pour les ajustements de la réforme de l’assurance chômage. Le 25 janvier, lors de réunions bilatérales avec les syndicats et le patronat, le cabinet d’Élisabeth Borne présente un nouveau concept : le « retour à meilleure fortune » ou le « retour à bonne fortune ». Cela sonne bien et donne presque l’impression de gagner au loto.
Mais de quoi s’agit-il ? En fait, de l’outil qui mettra fin à l’assouplissement de la réforme du chômage du 1er novembre 2019, pour cause de crise économique et sanitaire. Et signera le dur retour aux 6 mois travaillés pour ouvrir ou recharger des droits aux allocations chômage. Un mois plus tard, la ministre du Travail en justifie le principe. « Ça me paraît logique qu’on tienne compte du marché du travail pour définir les règles de l’assurance chômage. Quand le marché du travail est plus dynamique, vous retrouvez plus facilement un emploi, c’est logique que les règles ne soient pas les mêmes que quand le marché du travail est écrasé », explique-t-elle sur le plateau de BFMTV le 28 février.
Un argument présenté comme du bon sens, mais qui écorne pourtant le caractère assurantiel du système. La personne en recherche d’emploi n’étant plus vraiment indemnisée en fonction des cotisations versées (par elle et son employeur) et redistribuées, mais en fonction de critères extérieurs à son parcours dans l’emploi. Le décret d’application n’est pas encore publié au journal officiel, mais la clause de « retour à meilleure fortune » y sera bien inscrite. C’est ce que la ministre a expliqué aux « partenaires sociaux » le 2 mars dernier.
Ainsi, dès que le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A reculera de 130 000 sur 6 mois et que le nombre de déclarations préalables d’embauche de plus d’un mois attendra le chiffre de 2,7 millions sur quatre mois, les règles changeront. Ce sera le cas pour le retour aux 6 mois précités, comme pour la dégressivité des plus hautes allocations.
Aller plus loin sur les indemnités ?
Mais est-ce le début ou la fin de l’histoire ? La note du Conseil d’analyse économique du mois de janvier évoquait la durée et les conditions d’éligibilité comme éléments de variation, selon la situation économique. Pour les conditions d’éligibilité, comme nous venons de le voir, c’est déjà là. Au moins sur un « one shot » : celui du retour aux règles du 1er novembre 2019. Mais la recommandation ne s’arrêtait pas là. Elle évoquait plutôt un principe général de variation. Le « retour à meilleure fortune » dans le prochain décret pourrait poser un précédent qui ferait entrer la variabilité dans les outils à disposition du ministère du Travail.
Pour la durée d’indemnisation, ou pour le montant des allocations (non évoqué à ce stade dans la note du CAE), il faudra probablement attendre avant de voir des propositions sortir du chapeau. Au moins le temps que la situation économique se stabilise vraiment. Mais tous n’ont pas cette patience. « Et si les droits sociaux étaient variables en fonction de la conjoncture ? On n’a pas besoin des mêmes protections par tous les temps », se réjouissait dans sa chronique François Lenglet, le 23 février sur RTL. Et le journaliste économique de se prendre à rêver : « cela devrait valoir aussi pour l’âge de la retraite, en fonction de la situation économique et démographique ».
Mais les rêves libéraux des uns font les cauchemars des autres. Déjà touchés par une crise, dont le plus dur est à venir, à en croire le ministre de l’Économie, les chômeurs vont subir une restriction de leurs droits dans quelques mois. En attendant une nouvelle offensive gouvernementale.
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