par F.G.
« La France tient par ses policiers et ses gendarmes. »
Emmanuel Macron
La Macronie est un théâtre où les propos et les actes de ceux qui nous gouvernent délimitent assez précisément l’espace d’une scène où, bientôt un an après l’arrivée de la bête à picots, le dégoût très sûr qu’ils ont suscités en nous n’écarte pas l’hypothèse que la suite sera peut-être d’apothéose. À l’heure, en tout cas, où, un an après l’avoir ouverte, nous refermons sur l’inconnu cette chronique d’une année éprouvante, ce qui prélude à ce qui vient – la survie vaccinée – semble déjà attester de la pertinence de quelques débuts de vérité qu’elle énonça tout au long de son marathon koronesque, sans préjuger de la catastrophe qui semble déjà pointer.
Le premier round de la sainte croisade vaccinatoire de la Macronie restera dans l’histoire de ce pitoyable règne l’exemple le plus parlant de son incompétence. Et ce n’est pas peu dire tant elle en a accumulé, en un an, des bourdes, des mensonges, des coups fourrés, des à-peu-près, des rodomontades et des infamies. Mais là ce fut grandiose. Authentiquement. Au point qu’en une semaine, la belle France est devenue la risée du monde et que Jupiter, son tout-puissant, à peine rentré de La Lanterne, s’est mis en tête de corriger le tir en jouant sur son registre favori : celui de l’accélération. Du coup, le très lent Véran-Tanplan et Castex Le Rocailleux se virent in petto contraints de changer de braquet et d’élargir le champ, sur la base du volontariat, en vaccinant, en plus des heureux résidents des établissements de type EHPAD, le personnel soignant, les pompiers et les aides à domicile de plus de cinquante ans ainsi que les personnes vulnérables en situation de handicap résidant en foyers et en maisons d’accueil spécialisés. Partant de très bas – la charmante Mauricette de Sevran et quelques autres, pour faire concis –, la courbe a vite monté pour atteindre 0,63 % des Français, soit 423 000 personnes à demi-vaccinées (une dose sur deux) à ce jour. Inutile de dire que l’affaire n’est pas dans le sac, d’autant que le sac est plein de surprises.
C’est ainsi qu’on a appris, par Le Canard enchaîné, qu’un cabinet de consultants basé à New York – McKinsey – avait été sollicité par la Macronie pour l’assister – moyennant, semble-t-il, émoluments de 2 millions d’euros par mois – dans le « cadrage logistique » et la « coordination opérationnelle » de son déjà foireux plan de vaccination. Sous-missionné par l’État, le même cabinet – au sens de latrine – avait piloté au printemps dernier une « stratégie des tests » dont on sait qu’elle fut assez lente à porter ses fruits. Il est vrai qu’au vu de la tarification, on peut comprendre que le prestataire de service lanterne un peu. Task force is task force, but business is business. Pour les non-initiés, on ajoutera que ce nid de sangsues ultra-libéral conseille, par ailleurs, l’État dans les politiques de paupérisation de l’hôpital public qu’il met en œuvre et sur lesquelles McKinsey et ses semblables prospèrent.
Hormis les caprices de Korona, qui aime les variantes et s’amuse à muter comme il l’entend, l’autre surprise à venir, toute proche et de respectable calibre celle-là, est à coup double : la gestion, déjà chaotique, des stocks de vaccins et le risque, déjà avéré, de ruptures d’approvisionnement. On a encore en mémoire – et comment l’oublier – le scandale des masques, marqueur avéré de l’incompétence du ramassis d’incapables en charge des affaires depuis le début de la crise sanitaire, mais tout laisse à penser, au vu de ce qu’on suppute, qu’ils pourraient faire pire.
Vous n’aurez pas manqué de remarquer, d’ailleurs, que les décideurs n’ont pas l’air très en forme en ce début d’année de libération supposée. Il est vrai que ce qui se joue dans cet avenir immédiat, c’est, en plus de notre sort, le leur. La constance avec laquelle le lagardérien JDD, organe dominical sous perfusion macronarde, titre, presque chaque semaine, sur la remontée sondagière de Jupiter est devenue si grotesque qu’on en est rendu à se demander si ses fiévreux rédacteurs ne confondraient pas, avec la même constance, sa courbe de popularité avec celle des testés positifs qui, elle, effectivement monte en flèche. À voir Castex le Rocailleux et Véran-Tanplan faire, à l’entrée de l’année nouvelle, le dernier bilan de la situation, on aura compris que plusieurs doutes les habitaient, et de sévères. Au point que, Darmanin (de jardin) étant absent du plateau, les deux bonhommes nous apparurent pour ce qu’ils étaient : deux clowns tristes que le présent dévore si pleinement qu’ils faisaient peine à voir. « Tuer un ministre, disait Albert Cossery, quelle sottise ! C’est un honneur rendu au néant ! » Personne ne songera jamais à abattre Abbott et Costello, qui sont l’expression même du néant. Un néant plein écran.
On peut se marrer, bien sûr – et pourquoi s’en priverait-on –, mais en sachant que, si le rire est le propre de l’homme, l’humour demeure par excellence la politesse du désespoir. Certains événements, comme celui que nous vivons en tentant d’échapper à Korona, ont cette particularité de nous faire toucher du doigt toute l’étendue d’un désastre. Ce désastre, nous le voyions venir, certes, nous le théorisions même, mais sans accéder vraiment à la perception brute de ce qu’il révélerait de l’inhumaine condition de l’homme postmoderne tel que la déraison d’un capitalisme néo-libéral agissant comme secte était en train de le fabriquer, y compris, surtout, dans sa manière de concevoir le réel. Partant de là, le néant d’Abbott et Costello est devenu, sous nos yeux, la norme d’un pouvoir lui-même si déconstruit qu’il est désormais incapable de cacher sa vraie nature en s’inscrivant, par exemple, dans une histoire, celle de l’État moderne dont il dit incarner la continuité. Qui pourrait nier aujourd’hui que le fait que Jupiterminator – qui a trouvé le moyen de s’auto-doter, en cette année mortuaire, d’un budget floral d’agrément de son palais de 600 000 euros – ou que Lilly Marlène, ministre de la « citoyenneté », se faisant « influenceuse » en vantant son lissage brésilien sur un réseau « social », témoigne mieux que tout, in fine, du rapport que cette médiocre caste de crétins peu dotés entretient avec l’histoire, mais aussi avec l’État.
On sait qu’il se pourrait que l’on fasse grincer quelques dents libertaires en nous engageant sur un terrain que l’invariante doxa anarchiste a cessé de penser depuis longtemps à partir d’un constat nietzschéen assez juste – l’État serait le plus froid des monstres froids –, mais qui ne permet pas d’en saisir les transformations incessantes depuis que d’autres se chargent de le démanteler en n’en conservant que sa police dans un rôle de milice du capital et de ses forfaitures. De même que la question n’est plus tant de déconstruire les anciens concepts d’une fausse – ou incomplète – émancipation, mais d’endiguer le flot croissant des déconstructeurs du social et du vivant, autrement dit de conserver – ou de réinventer – des formes de vie bonne, il est peu probable qu’on puisse en finir, aux cris d’ « À bas l’État », avec l’obsessionnelle volonté de destruction néo-libérale, opérationnelle depuis des décennies, des politiques publiques de protection sociale qui ont aussi pour fonction, face aux malheurs du temps, de maintenir des filets de vie décente. Si cette crise sanitaire de grande ampleur nous a révélé une vérité, c’est celle du niveau de déliquescence presque absolue auquel le monde de Jupiter avait conduit l’État « social » et, en même temps, au renforcement de son appareil policier un peu ingénument conçu comme garde prétorienne devant être par avance absoute de toutes ses turpitudes. Ingénument, parce que s’il était aussi malin qu’il prétend être à coups de citations pompées dans les fiches de son staff, le roitelet devrait savoir qu’aucun mur policier ne résiste pour l’éternité aux vents de l’histoire. Et qu’il arrive que les vents tournent.
Admettre publiquement – en privé, ça s’entend plus – que la déliquescence de l’État « social », concrètement constatable dans cette crise sanitaire au long cours, puisse nous plonger dans une sorte d’affliction, voire de chagrin, c’est, dans certains milieux de la « critique critique », s’exposer aux gémonies. De l’affliction pour l’État ? Eh oui, de l’affliction. C’est comme ça, camarades, nous sommes des êtres sensibles et contradictoires. Notre camp est ainsi fait qu’il a des adeptes que rien ne trouble, jamais. Qu’on puisse se risquer à évoquer un sentiment de telle nature devant l’état de délabrement absolu d’un pays qui, quoi qu’on en pense, n’était pas le pire en matière de santé publique, les confirmera dans l’idée, déjà acquise, que nos faiblesses théoriques méritent leurs sarcasmes. À vrai dire, on s’en fout. Et ça fait longtemps qu’on s’en fout. La vie comme on la vit ne saurait se passer des sentiments qu’elle suscite au gré des jours : l’affliction et la colère.
On pourrait effectivement garder l’affliction dans sa poche et s’en tenir à la froideur de l’analyse objective que produit la Théorie. Mais non, on ne peut pas. On ne peut pas parce que ce délabrement, la Macronie l’a poussé jusqu’à l’extrême de sa logique de casse des conquis sociaux. À marche forcée, sans repos et sans honte. Et que ce délabrement organisé jusqu’au moindre détail nous rappelle, chaque jour, que ce que nous avons cédé par paresse ou perdu par faiblesse sous Mitterrand, sous Chirac, sous Sarkozy, sous Hollande, se paye très cher, sous Macron, en vies détruites – plus de 70 000 morts du Korona à ce jour – et en désastres collatéraux : accroissement infini de la pauvreté, plans sociaux en pagaille, destruction programmée des derniers filets de protection sociale, avancée illimitée des politiques de contrôle et de répression, criminalisation des oppositions. L’affliction naît de ce que, chaque jour, cette crise sanitaire révèle que, loin de toute théorie englobante, des vieux crèvent du Korona ou de solitude, des pauvres fouillent les poubelles sur les parkings des centres commerciaux, des jeunes – notamment étudiants – privés de tout avenir s’enfoncent dans la dépression, des soignants d’un rare courage s’entêtent à pallier la ruine d’un système qu’on a organisée et qu’ils écopent chaque jour, chaque nuit, dans la plus froide des solitudes. L’affliction, c’est un mouvement du cœur, d’un cœur si plein de larmes qu’il lui faut actionner la pompe à colères pour ne pas disjoncter.
Mais il est concevable aussi que, sous les coups de butoir répétés d’un ennemi qui dispose de toute la force de frappe nécessaire pour les mater, l’expression des colères perde elle-même de sa puissance émancipatrice pour se diluer dans un contre-systématisme absurde où le rejet des masques et le refus des vaccins définiraient en soi une attitude antisystème. Hors le fait que, pour le système, une telle dilapidation du fonds commun des révoltes, d’abord sociales, qui traversent ce pays depuis plus deux ans maintenant, serait pain béni pour la Macronie, il la conforterait dans l’idée, qui lui va bien, que les gueux sont fougueux en paroles mais étroits d’esprit. Le pire qu’il puisse arriver à une révolte sociale, en effet, c’est de sortir du champ des raisons qui l’ont fait naître. Or, comme c’est arrivé pour Korona, on peut craindre que cette révolte sociale de belle ampleur allumée par les Gilets jaunes finisse par muter – certains signes le font craindre – en autre chose, un « autre chose » de forcément régressif, où le peuple finirait par ressembler à l’idée conjointe que s’en font les progressistes et les populistes, les modernistes et les démagogues : cette masse ignorante et indistincte de gens qu’ils n’ont de cesse de mater ou de caresser dans le sens du poil pour parvenir aux mêmes résultats.
À l’heure où la fatigue commence à se faire sentir, où l’air manque, où la liberté des corps est entravée, où la peur suinte, où tout ce qui faisait le tissu de nos vies, de nos luttes et de nos complicités se voit réduit à néant, où plus rien ne s’invente, où l’on ne fait qu’attendre un retour à la normale dont l’anormalité – l’organisation marchande du monde – a provoqué ce désastre, il est urgent de garder de l’expérience vécue de nos colères ce sentiment de fierté que nous avons ressenti dans les espaces libérés qu’elles ont à jamais ouverts dans nos imaginaires et qu’il faut cultiver. Car, bien vivantes sous la cendre des jours, toutes les conditions sont réunies qui pourraient bientôt dessiner les contours d’un mouvement de grande ampleur contre ce monde de servitude. La Macronie le sait et s’y prépare, en annonçant par exemple la création d’une super-compagnie de CRS dotée de moyens inédits. Chaud devant !
La vie comme chaotiquement elle vaccine, c’est un pari que chacun prendra ou pas, s’il le peut, au gré de ses convictions ou malgré ses doutes. Pour l’instant, l’expectative est totale. Forte est aussi l’impression que le sort des populations est, une fois encore, livré à la même bande d’incapables qui n’a, semble-t-il, prévu ni les doses de vaccin suffisantes, ni les congélateurs adaptés pour les stocker, ni les « vaccinodromes », ni même les seringues nécessaires. La Macronie, c’est l’aile du néant et la cuisse de Jupiter. Double ration à chaque fois !
Freddy GOMEZ
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