Extractivisme
par Sophie Chapelle 12 janvier 2021
Le très controversé projet Montagne d’or, une exploitation minière industrielle, risque de voir le jour en Guyane malgré les annonces du gouvernement assurant qu’il était annulé.
Beaucoup pensaient que « Montagne d’or », un projet gigantesque d’extraction minière en Guyane, était enterré. Le gouvernement n’a-t-il pas annoncé son « annulation » en mai 2019 ? Il se trompait. Le 24 décembre dernier, le tribunal administratif de Cayenne a enjoint l’État à « prolonger », dans un délai de six mois, les concessions minières de la compagnie Montagne d’or. La responsabilité de l’État est pointée du doigt par plusieurs organisations. « Le gouvernement a totalement délaissé le procès », déplore Marine Calmet, porte-parole du collectif Or de question [1]. Comment en sommes-nous arrivés à cette situation ?
Le projet Montagne d’or est contesté par une grande partie de la population locale et par les organisations environnementales. Selon le WWF, 1513 hectares pourraient être déboisés, dont un tiers de forêts primaires [2]. Plus de 2000 espèces végétales et animales ont été inventoriées sur le site, « dont 127 protégées », souligne l’organisation. 57 000 tonnes d’explosifs, 46 500 tonnes de cyanure et 195 millions de litres de fuel seraient nécessaires pour extraire l’or durant les douze années de vie du projet, précise l’ONG, ainsi que 140 000 litres d’eau par heure.
Les craintes tiennent également aux risques de catastrophes environnementales que ce type d’extraction pourrait générer. En 2015, un barrage minier avait cédé près de la ville brésilienne de Marina, tuant 19 personnes, rayant plusieurs villages de la carte et déversant 32 millions de mètres cube de boues toxiques aux alentours. En janvier 2019, un autre barrage minier avait cédé dans la même région du Brésil, à Brumadinho, faisant plus de 100 morts, 250 disparus, et provoquant un nouveau désastre environnemental.
Un combat qui semblait gagné… en apparence
Pour réaliser le projet guyanais, la Compagnie Montagne d’or (CMO) avait besoin de prolonger ses deux concessions minières [3], et en avait fait la demande au ministère de l’Économie. Le 21 janvier 2019, sous pression médiatique, Bruno Le Maire décide un « rejet implicite » des deux concessions en laissant sans réponse la demande de prolongation déposée fin 2016 par la CMO.
Le 6 mai 2019, Emmanuel Macron reçoit une délégation de scientifiques de l’IPBES, la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité, et déclare à l’issue de la rencontre que « de manière très claire aujourd’hui, l’état de l’art du projet ne le rend pas compatible avec une ambition écologique et en matière de biodiversité ». Le 23 mai, le conseil de défense écologique annonce que « le projet actuel “Montagne d’or” est incompatible avec les exigences de protection de l’environnement ». Le combat semble alors gagné pour les opposants à la mine.
Extrait du compte rendu du premier conseil de défense écologique (capture d’écran sur le site de l’Élysée)
L’État aux abonnés absents lors de l’audience face à la Compagnie Montagne d’or
La Compagnie Montagne d’or, filiale des sociétés canadienne Orea (l’ancien nom de Colombus Gold) et russe Nordgold, décide de se tourner vers le tribunal administratif pour attaquer les refus implicites de l’État de prolonger ses deux concessions. Lors de l’audience qui s’est tenue le 3 décembre 2020, « aucun représentant de l’État n’a daigné faire le déplacement pour soutenir la légalité du refus de prolonger les concessions », relate Sébastien Mabile, avocat spécialiste du droit de l’environnement. Cette faiblesse de la défense a semble t-il joué dans les deux jugements. Le tribunal relève ainsi que l’État « ne produit aucune pièce justificative », et pointe le « défaut de contestation sérieuse du ministre » ainsi que « l’absence de critiques » [4].
Le tribunal administratif a dans le même temps considéré que la Compagnie Montagne d’or « présente suffisamment d’éléments justifiant de ses capacités techniques et financières pour exploiter les concessions ». La justice française enjoint ainsi l’État à prolonger les deux concessions sous six mois. Alors que le gouvernement dispose de deux mois pour faire appel de cette décision, ce qu’il n’a toujours pas fait à l’heure où nous écrivons ces lignes, Sébastien Mabile interroge : « Emmanuel Macron joue-t-il un double jeu ? Opposé publiquement au projet, l’État n’a pourtant pas défendu ses décisions implicites de refuser de prolonger les concessions. »
Pour rappel, la Convention citoyenne pour le climat a voté à plus de 94 % en faveur de l’adoption d’un moratoire sur l’exploitation industrielle minière en Guyane. Depuis, ce moratoire a disparu du projet de loi Climat, où il a été remplacé par la réforme du Code minier qui ne prévoit pas d’interdire les mines industrielles. Au-delà du seul projet Montagne d’or qui couvre 15 km2, ce sont 3000 km2 de forêts guyanaises qui sont menacés par les permis d’exploration minière.
Sophie Chapelle
Photo : (source)
Notes
[1] Voir cet entretien vidéo
[2] Voir la vidéo réalisée par le WWF France sur le projet Montagne d’or.
[3] Il s’agit des concessions Montagne d’or (15 km2) et d’Élysée (25 km2).
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