Le nickel est l’enjeu des tensions en Nouvelle-Calédonie

Durée de lecture : 6 minutes 14 décembre 2020 / Sylvie Nadin (Reporterre)

Le nickel est l'enjeu des tensions en Nouvelle-Calédonie

Blocages, altercations, incendies… la Nouvelle-Calédonie a été le théâtre de nombreux conflits la semaine dernière. En cause, la vente l’usine de nickel de Vale, poumon économique de l’île. Et aussi la question non résolue de l’indépendance du territoire.

  • Nouméa (Nouvelle-Calédonie), correspondance

Depuis une semaine, la Nouvelle-Calédonie, collectivité française située dans le Pacifique sud, est en proie à de vives tensions. En jeu : la reprise de l’usine de nickel de l’entreprise minière brésilienne Vale. Lundi 7 décembre, de violentes confrontations ont eu lieu à Nouméa. Voitures brûlées, caillassage, un Nouméen qui se rendait au travail raconte : «J’ai vu la fumée, des gros cailloux jonchaient la route, on était bloqués dans nos voitures, j’avais peur de prendre une pierre sur mon pare-brise». Il a été obligé par les forces de l’ordre de faire demi-tour. Il travaille sur les quais Ferry, où les manifestants se sont rendus pour empêcher le départ de la navette maritime qui amène les salariés de Vale au complexe industriel situé dans le sud. Les forces de l’ordre et les pompiers ont dû intervenir. La journée s’est terminée avec 47 interpellations et huit blessés.

Les manifestants ont répondu à l’appel du collectif Usine du sud = usine pays et de l’Instance coutumière autochtone de négociation (Ican). Ces deux groupes, soutenus par le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), sont mobilisés depuis plusieurs semaines autour de la question de la reprise de l’usine du Sud, adossée au gisement de Goro, un des principaux gisements de nickel du territoire.

Qui va reprendre l’usine de nickel?

Le groupe Vale a annoncé qu’il se retirerait de Nouvelle-Calédonie à la fin de l’année. Il aurait perdu plusieurs milliards avec cette usine. Selon l’association Survie, une offre de reprise a été déposée par la Sofinor (Société de financement de la Province Nord) et par un partenaire industriel sud-coréen, avec un projet d’actionnariat public calédonien à 56%. Mais elle a été écartée, au profit de l’offre du consortium Prony Resources, mis sur pied par Antonin Beurrier, le directeur de Vale en Nouvelle-Calédonie, consortium financé en grande partie par le négociant international Trafigura. Les indépendantistes s’opposent à la reprise par Trafigura, un négociant en matières premières basé en Suisse. Trafigura est aussi connu pour avoir été à l’origine d’une pollution importante en Côte d’Ivoire. Or, alors que plusieurs axes routiers continuent d’être bloqués sur le territoire et que plusieurs altercations avaient lieu, Vale a annoncé par communiqué mercredi 9 décembre avoir cédé l’usine à un consortium calédonien et international, dont fait partie Trafigura.

De vives tensions lors des manifestations

La station essence située à la Coulée, au Mont-Dore Sud, a été incendiée. Aucun blessé n’est à déplorer.

Les tensions se sont alors encore accrues. Les manifestants ont continué les barrages, tandis que d’autres Calédoniens, majoritairement loyalistes, montaient des «contre-barrages». Durant la nuit de mardi à mercredi, une station-service située au Mont-Dore Sud, sur la commune voisine de Nouméa, a été incendiée. Les usines et les mines sont restées bloquées à travers le territoire. La Serpentine, ce convoyeur qui permet d’acheminer le minerai du site de Kouaoua, sur la côte est du territoire, a été incendiée.

Jeudi 10 décembre, des manifestants ont pénétré dans le site industriel de Vale, classé haut risque industriel, équivalent de Seveso II seuil haut en France métropolitaine. Adélie Garaud Ballande, à la communication de Vale NC, raconte : «Une cinquantaine de militants étaient présents au niveau de l’entrée du site, puis plusieurs personnes se sont introduites en différents points, les gendarmes ont vite été débordés. Nous avons dû arrêter en urgence l’usine d’acide, ce qui n’avait encore jamais été fait, et évacuer près de 300 personnes.» Le site est aujourd’hui «un cimetière de voitures incendiées», des bâtiments ont également été brûlés mais les infrastructures à risque n’ont pas été touchées. «Le GIGN est arrivé et contrôle désormais le site, la situation est actuellement maîtrisée. Les militants sont toujours là mais ils ont dû se retrancher», décrit-elle. Aucun blessé n’est à déplorer mais les gendarmes ont dû utiliser leurs armes et des coups de feu ont été tirés. «Il y avait un risque industriel très grave. On parle de produits chimiques, d’acide, de possibilité d’explosion!» Au sujet de la reprise, Mme Garaud Ballande indique : «Si la cession ne se fait pas avec le consortium, l’usine fermera, il n’y a pas d’autre alternative. Nous devons vraiment trouver un partenariat avec nos opposants, nous leur tendons la main, à eux de la prendre maintenant. 3.000 emplois sont menacés si l’usine ferme sans compter les 200 entreprises sous-traitantes.»

La population veut son mot à dire

Un compromis semble cependant difficilement imaginable. Mickaël Forrest, secrétaire permanent en charge des relations extérieures au FLNKS, est inflexible : «À l’heure actuelle, on ne peut pas trouver un accord», dit-il à Reporterre. «On ne veut pas de Trafigura. Quand on parle de droit commercial international, il y a des règles. Ce n’est pas un pays de non-droit, un pays dans lequel on va piller les ressources au nez et à la barbe des populations locales.» Le ministre des Outre-Mer de la France, Sébastien Lecornu, a lancé vendredi un appel au dialogue avec le FLNKS, le collectif et l’Ican. «L’État français est prêt à poursuivre un dialogue en bilatéral avec nous. C’est une opportunité qu’il faut saisir», se réjouit Mickaël Forrest. Un projet pourrait se construire dans les prochains jours, selon lui.

Samedi 12 décembre, les mobilisations se sont calmées, les barrages ont été levés. «Notre demande est très simple», explique M. Forrest. «Nous sommes dans un processus de décolonisation, dans la phase critique de l’accord de Nouméa et il faut absolument que les intérêts de la population concernée soit au centre des décisions.» Car au-delà du rachat de l’usine, la question de l’indépendance du pays est au centre des mobilisations. Le 4 octobre dernier, le deuxième référendum sur l’indépendance a été remporté par les non-indépendantistes avec 53,3%. Ce résultat illustre bien la coupure entre deux parties de la population. Le troisième référendum, le dernier prévu par l’accord de Nouméa, devrait avoir lieu d’ici 2022.

Nina Julié, élue non indépendantiste de la ville Mont-Dore, s’est rendue sur les barrages pour soutenir les opposants aux manifestants. «Cela va bien au-delà du conflit de l’usine, raconte-t-elle. On a l’impression que l’usine a servi de prétexte. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La situation est extrêmement anxiogène.» Plus de 10.000 Montdoriens ont été bloqués avant qu’une discussion ait lieu samedi entre la mairie, l’association Citoyen mondorien et les représentants de la tribu de Saint-Louis, qui bloquaient la route. Le samedi, les barrages ont été levés et, dimanche, les équipes municipales ont déblayé les carcasses de voitures brûlées et les arbres couchés sur la voie. La maire de Nouméa, Sonia Lagarde, a pris la décision d’annuler les festivités de Noël, les spectacles gratuits quotidiens et la fête de la lumière, qui sont pourtant suivis par de très nombreux Nouméens chaque année. Le cœur n’est pas à la fête.

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