- 19 nov. 2020
- Par Livia Garrigue
- Édition : L’Hebdo du Club
« J’essaie de créer des espaces respirables » : c’est ainsi que Mačko Dràgàn, anarchiste niçois de 30 ans, décrit sa technique pour survivre en plein covid et raz-de-marée autoritaire. Fervent contempteur de l’Etat policier qui tente d’imposer son ultime loi sécuritaire (loi « sécurité globale »), Mačko conte depuis des années la Nice alternative, ses micro-résistances à l’ordre capitaliste et au monde des caméras de surveillance. Parlons dystopie covidienne, complotisme, police, mais aussi et surtout solidarité et anarchisme bookchinien.
« Démocratie floutée » ; « qui nous protège de la police? » ; « plus de Taha, moins de Benalla »… Contre la loi sécurité globale et notamment son article 24, qui vise à interdire la diffusion d’images de policiers, des milliers de citoyens ont défilé dans plusieurs villes de France mardi soir. Dans le Club, les contributrices et contributeurs contestent, ripostent, nous arment des outils pour comprendre, à la manière du texte des familles de victimes et de blessé·e·s de violences policières, qui dénoncent le renforcement de l’impunité pour les forces de l’ordre et l’« insécurité totale pour tous » ; ou encore du billet contestataire des élèves de l’Ecole nationale supérieure de la photographie а Arles. Mais aussi des commentaires et témoignages de personnalités et victimes de violences recueillies par David Dufresne — Adan Danon, Julia Cagé, André Gunthert, Sofia Chouviat, Frédéric Lordon, Genevieve Legay… —, la tribune relayée par la Quadrature du Net, les vignettes d’Atterrissage Chelo pour mieux saisir en quoi la loi menace la confiance démocratique en entravant tout contre-pouvoir, la réflexion paradoxal de Geoffroy de Lagasnerie pour qui effacer les visages peut aider à prendre conscience de l’ordre policier comme système, et enfin le florilège de slogans dans le portfolio de Baptiste Dupin. Manif anti-loi Sécurité globale © Baptiste Dupin
« La proposition de loi Sécurité Globale vise à rendre invisibles les violences de l’État, et, dans le même temps, à augmenter et dissimuler ses capacités de surveillance. C’est dans ces deux sens que l’on peut parler de regards dérobés : celui que l’on subtilise au citoyen, et celui qui se cache pour mieux l’épier. » C’est là la substance de la loi panoptique, résumée par Jean C. Il y a quelques semaines, le contributeur Mačko Dràgàn publiait un documentaire intitulé Pourtant la ville t’appartient, un film pour enrayer la machine technopolicière, coréalisé avec l’équipe de Télé chez moi. Pour contrer la vision sécuritaire et utilitaire de la ville portée par l’ordre policier — les « smart cities » policières, ces « cités fliquées, techno-surveillées, grillagées, privatisées, gentrifiées » écrit Mačko — le documentaire donne la parole à ceux qui peuplent et vivent réellement la ville : « les prolos, les précaires, les artistes, les feignasses, les doux-rêveurs » ainsi que les « va-nu-pieds malpropres, précaires et mal-éduqués qu’il faut protéger d’eux-mêmes ».
« J’essaie de créer des bulles respirables » : c’est ainsi que Mačko Dràgàn, cet anarchiste niçois de 30 ans, décrit son occupation principale et sa technique pour survivre en plein covid et raz-de-marée autoritaire. Auteur d’un récent billet sur « Hold Up », le documentaire qui crée la discorde dans nos colonnes, fervent conteur et contempteur de l’ordre policier à son échelle, Mačko m’a semblé tout indiqué pour parler covid, police, complotisme, mais aussi solidarité et anarchisme bookchinien (lire ici« Moi, je suis anarchiste » pour tout comprendre, mais aussi ce documentaire et ce billet sur Murray Bookchin). De parler espaces respirables donc, et de lui consacrer cet Hebdo du Club.
Blogueur depuis l’élection de Macron, arrivé dans le Club pour dénoncer à l’époque un « hold up démocratique », Mačko (prononcer « matchko », mot qui signifie « chat » en serbe), Philémon de son vrai prénom, signe cette semaine son 140ème billet. « Graphomane insomniaque » comme il se décrit, Mačko raconte, deci delà, depuis presque quatre ans, les micro-résistances à l’ordre capitaliste et policier, au monde des caméras de surveillance en somme, et ses tourments de gauchiste dans une ville de droite. Ses écrits révèlent une Nice alternative, populeuse, joyeuse souvent. Et puis, en vrac, il narre la danse pour dire l’errance et la migration, sa relation compliquée avec la CAF, la visite fantoche et robotique des encravatés du gouvernement dans une région dévastée par la tempête, les soubresauts de la dystopie covidienne (ici ou là), son agression par des militants de l’ultra-droite venus casser de l’antifa (ensauvagement!), les procès de Cédric Herrou ce « brigand de la Roya » du délit de solidarité, l’avenir écologiste et libertaire comme s’il y était déjà, le sexe féministe, la détestation du travail salarié, son expulsion locative programmée, le verdissement des cités ou « l’écologie punk », son bar « où l’on s’autogère » dans un billet qui ressemble à une taverne de François Villon et à une oasis démocratique. Mačko Dràgàn
Agitateur, ce toutologue saltimbanque aime créer la bisbille dans les commentaires. Cet éditorialiste « de la street», contrairement aux commentateurs rémunérés du petit écran, injecte de l’humour, de l’autodérision, du doute partout où il le peut. Travailleur de l’ironie, Mačko manie la taquinerie avec brio pour mieux chatouiller les politiques et démasquer leurs aberrations. Exemple : un billet récent adressé directement à Christian Estrosi (« l’ami du jogging, du béton et des caméras, le grillageur fou » ; « l’ex-sarkozyste devenu néo-macroniste, le plus grand bouffeur de rateliers du 06 ») qui parvient à faire rire quand tout n’est plus que covid, désolation et Etat policier (le billet évoque l’arsenal sécuritaire proposé par le maire de Nice qui « défend l’idée de positionner un policier armé dans chaque école »).
Mačko raconte sa vie de « punk à chat » un tantinet séditieux dans « Ma vie dans des fiches », une autobiographie insolite placée du point de vue des Renseignements Généraux. Il imagine les mentions figurant sur ses fiches : de militant de l’« ultra-gauche, mouvance anarcho-autonome » à « hippie » inoffensif qui crée son réseau d’amis et d’assos, en passant par « tendance manouche itinérant » et par « bipolaire instable », son parcours, Mačko est encore celui qui en parle le mieux, à l’instar de tous les textes où le « je » révèle le politique dans le quotidien et l’intime. À Nice, las d’entendre parler de collectifs éparpillés, de concerts solidaires condamnés à l’atomisation et à l’invisibilité, il a co-créé Pilule rouge avec son groupe d’amis, un collectif et un guide qui recense la myriade d’initiatives de la scène alternative niçoise. « J’essaie de montrer une autre image de ma ville et de ma région » m’avait-il confié. Hyperactif de la solidarité, travailleur bénévole sur divers fronts, Mačko fait aussi partie des initiateurs du journal « de la presse pas pareille » Mouais, le « mensuel dubitatif », qui tient aussi son blog dans le Club.
Mardi, pour se parler, il a fallu trouver un créneau entre la préparation des repas pour les réfugiés de Vintimille et la manif anti-loi sécurité globale. L’entretien s’est finalement déroulé en pleine manif, émaillé de salutations, d’échos de slogans et d’éclats de gilets jaunes.
***
L. G: Que vous inspire la loi « sécurité globale », qui semble tout organiser pour la police puisse voir partout sans être vue, vous qui chroniquez les dérives sécuritaires et la « technopolice » (la mise sous surveillance de l’espace urbain à des fins policières) ?
M. D: Il y a deux ans, si mon « moi » du futur était venu me voir en me décrivant dans le détail ce qui se passe aujourd’hui, et notamment cette loi, je ne l’aurais pas cru. Dans la dérive autoritaire du moment, une part de moi est curieuse de voir ce qui va se passer. Mon interprétation de cette loi et plus généralement de cette période politique, c’est que nous, les gauchos, sommes K.O. On est sur le goudron. On a perdu une bonne partie de nos combats en termes de liberté et d’égalité. L’extrême droite prospère partout dans les médias, la police a une influence incroyable sur le gouvernent, ce texte de loi a l’air d’avoir été écrit par la frange la plus fascisante de la police…
Mais la période prouve aussi que leur système ne tient pas. C’est le seul espoir que je vois. Actuellement, on perd nos luttes, on est inaudibles, mais d’un autre côté, à plus long terme, la puissance de frappe qu’ils développent pour nous contrer est le symptôme que tous les faits invalident ce qu’ils font depuis trois décennies. La loi prouve l’existence même des violences policières que nous dénonçons : si celles-ci n’existent pas, pourquoi interdire de les filmer ? Du point de vue du covid, ce moment nous démontre que démolir les services publics et le système de soins entraîne des catastrophes. L’apparition du virus prouve que la déforestation, la logique consumériste appliquée au vivant, est dramatique. Et si on n’avait pas démoli l’intégralité de notre système de recherche, on aurait pu mieux gérer la situation. Enfin, en termes de stratégie politique, l’autogestion et la responsabilisation des gens n’a même pas été envisagée : on préfère apporter des réponses sécuritaires.
En ce moment, la liberté d’expression est hypocritement encensée par le pouvoir. Je me souviens de votre billet sur vos amis condamnés en justice pour des slogans anti-police. Est-ce que ce n’est pas là la plus grande tartuferie de cette loi, qui attaque la liberté d’informer ?
La liberté d’expression, ils s’en servent comme d’un mantra, mais ils n’en veulent pas. Ce sont nous, les gens de gauche, qui passons notre vie à défendre la liberté d’expression, qui faisons des gardes à vue. Comme beaucoup de potes, je suis fiché, ils ont mon ADN, des photos de tous mes tatouages. Pascal Praud, lui, a carte blanche sur Cnews pour tenir ses propos séparatistes et soutenir les identitaires. Les défenseurs de la liberté, de l’égalité et de la fraternité sont traqués et surveillés, et ceux qui bafouent l’idéal démocratique autorisés à répandre leur haine des libertés publiques…
Quelle est la genèse et la démarche de Pourtant la ville t’appartient, le film « pour enrayer la machine technopolicière », qui interroge différents rapports à la ville et à l’espace public, à rebours de la « technopolice » ?
Nous avons fait un numéro de Mouais sur l’espace public, qui donnait à voir des façons très variées de considérer celui-ci. Face à la technopolice, le film était l’occasion de donner à entendre les conceptions de la ville qu’ont les banlieusards, les toxicos, les squatteurs, les sans abris, sans être misérabiliste. Les flics et la municipalité ne connaissent pas la ville comme eux la connaissent. Dans le film, ces gens racontent la manière dont ils ont été dépossédés de la ville. Les flics cherchent à nous voler la ville, et je n’avais jamais eu sous les yeux les images de cette dépossession. C’est ce que disent mes amis SDF : même les endroits où ils pourraient être tranquilles sans déranger personne, on ne leur laisse pas. Quant à notre appartement dont on va être expulsés, mes colocs et moi, j’estime que 40 ans de vie collective devrait avoir une valeur. La vie commune devrait avoir une valeur juridique, elle ne devrait pas compter pour rien, dans un procès équitable.
Dans le documentaire, Félix Tréguer de la Quadrature du Net note que la technopolice est une stratégie pour « dépolitiser la ville ». Dans vos écrits, dans le documentaire, en donnant la parole à des sdf, des squatteurs, aux arts de la rue, aux banlieusards, est-ce que la démarche est de (re)politiser la ville?
Oui, en tout cas c’est une manière de montrer que tout est politique. La formule est un peu bateau, mais c’est vrai. Mon amie Diane, qui tient mon bar de potes où on s’autogère, et qui apparaît dans le docu, dit toujours « Non, pas de politique! ». Mais de la politique, elle en fait. Le bar est politique, nos rues sont politiques, et le film essaie de faire prendre conscience du politique dans ce qu’on fait au quotidien. Les stratégies des SDF pour éviter les flics, c’est de la haute politique, bien plus noble que celle du pouvoir. Le dispositif technopolicier, lui, envisage l’espace public comme un simple lieu de passage (c’est d’ailleurs ce que dit le PDG de Confidentia [société privée de cybersécurité qui a permis à la ville de Nice de tester la technologie de reconnaissance faciale dans l’espace public, ndlr] dans le film, pour lui, ça n’est rien d’autre que ça). On n’y dort pas, on n’y boit pas des coups, on n’y fait pas la fête. Pour moi, agir contre cette conception, c’est déjà politique.
Qu’est-ce que c’est, la ville, pour vous ?
J’ai grandi dans plein de petits villages du Var, on déménageait beaucoup. Je suis arrivé en ville à 17 ans. Je ne fais pas de grande différence entre ville et village : la ville, c’est des gens qui se connaissent, qui échangent, qui ne sont pas forcément d’accord, qui construisent des choses en commun, font des fêtes, ont des rites communs qui les unissent, qui s’autogèrent. L’autogestion, ce n’est pas une sorte d’étape, quelque chose qui se déclare. C’est déjà pratiqué massivement partout, ça s’observe, au quotidien, dans les villes. Pour moi, la ville c’est ça, un lieu où se forment une multitude de bulles d’autogestion et d’autonomie temporaire, qui se confrontent, se frottent, apparaissent et disparaissent. La ville telle que je l’imagine et telle que je la vis, ça consiste à encourager l’apparition de ces espaces d’autonomie. Comme dans des jardins, où les éléments interagissent entre eux, les insectes avec les plantes, c’est un milieu qui fonctionne.
Dans votre dernier billet, vous écrivez « la lutte est indissociable d’un récit collectif, comme le fut le marxisme, et comme peut l’être aujourd’hui l’anarchisme bookchinien ». Comment l’anarchisme de M. Bookchin peut nous sortir de l’impasse ? Et d’où vient votre anarchisme ?
J’ai d’abord été une sorte d’anarchiste instinctif. Le rejet de l’autorité me vient de l’enfance. Puis dès le lycée, j’ai commencé à lire des livres dans une perspective libertaire puis à découvrir Murray Bookchin, ce qui m’a révélé à mon anarchisme. Par rapport au communisme, l’anarchisme se pratique au quotidien, c’est d’abord une pratique, et ensuite une pensée. Tu peux être anarchiste tout le temps, sans même savoir lire, ce qui n’est pas le cas des autres mouvements de gauche plus théoriques. Par ailleurs, une société communiste peut être une société raciste ou patriarcale. Avec l’anarchisme, c’est impossible, à moins de trahir complètement l’esprit de l’anarchisme. J’ai toujours été révulsé par les inégalités de race, de genre, etc ; l’anarchisme les combat toutes à la fois. Dans les luttes, j’avais écrit un billet sur le fait que j’étais agacé que chacun défende sa chapelle et se tire dans les pattes ; être anarchiste, c’est être féministe, antiraciste, écologiste, tout ça à la fois. Personne ne domine. Enfin, Bookchin reprend beaucoup de thèses marxistes et fait le lien entre un ancien récit collectif et un nouveau. Même s’ils ont été matés par Erdogan et par notre refus de les soutenir, le Rojava nous a montré qu’un tel modèle de société était viable, que ça pouvait marcher. Si cela a été possible dans une zone d’insécurité, de guerre civile, en luttant contre Daesch, c’est qu’on peut le faire en France.
Et comment ça survit, un anar en estrosie, dans une ville laboratoire des dérives sécuritaires ?
Je suis très bien entouré… L’anarchisme, c’est une pratique, pas une théorie, pas une revendication. Ça existe, ça existera toujours. On fait ce qu’on peut pour créer des espaces respirables, une société respirable autour de nous, à petite échelle. C’est ça qui fait que je tiens.
Vous aviez été agressé en bas de chez vous par des militants d’ultra droite niçois qui vous avaient reconnu (ici le témoignage, ici un article de Libération sur le sujet). Avez-vous l’impression que l’ultra droite gagne du terrain à Nice ? Est-ce que la politique municipale, en relayant le discours de l’extrême droite, lui donne un blanc seing ?
Ils sont plus agités qu’il y a quelques années, c’est vrai. Le maire mène une politique ségrégationniste vis à vis des pauvres et des banlieues, et Philippe Vardon, ex-skin du Bloc Identitaire, siège au conseil municipal ; mais pour moi, le blanc-seing donné à l’utlra droite, c’est à l’échelle nationale que ça se passe. Il y a un tel degré de fascisation du pouvoir et des éditorialistes, qu’ils se sentent évidemment encouragés.
Comment se débrouillent le tissu associatif et les acteurs de la solidarité à Nice depuis l’arrivée du covid et des confinements ?
Le boulot associatif continue, on ne s’est pas arrêtés. On peut encore donner de la nourriture aux réfugiés de Vintimille. Pour combien de temps, on ne sait pas, ils l’ont interdit à Calais. On le fait, mais c’est le boulot de l’Etat. On pallie les manques de l’Etat. Ça nous fait perdre beaucoup de temps pour le reste. Et le reste, c’est le plus important : les lieux de culture, de sociabilité, d’entraide et d’échange, qui sont bien plus importants que les pâtes ou le PQ et construisent le monde non-marchand de demain. Ce sont les vrais produits de haute nécessité. C’est sans doute pour ça qu’ils les ont fermé…
Et comment va la Roya, cette vallée dont vous parlez souvent dans vos billets, ravagée récemment par une tempête mais aussi espace symbole de rébellion?
La Roya, c’est une vallée frontière frondeuse, rétive à l’autorité, un peu brouillonne et contestataire, en partie pro-migrants. Cette vallée a un beau potentiel autogestionnaire, notamment du côté de Saorge ou de Breil. Mais c’est « année zéro » dans la Roya, après le passage de la tempête Alex, l’Etat a déjà déserté les lieux et il y a tout à reconstruire. On aimerait pouvoir y construire autre chose. Il y a des débuts d’organisation qui sont encourageants, on verra comment ça se passe. La reconstruction fera d’ailleurs l’objet de notre futur long métrage avec Télé chez moi.
Dans « L’avis des autres », vous dénoncez l’instrumentalisation des « plus fragiles » par le gouvernement, qui se sert d’eux pour imposer des politiques sécuritaires, alors qu’on ne leur donne jamais la parole. Instinctivement, on pourrait se dire qu’on préfère un gouvernement qui fonde sa politique sur la vulnérabilité plutôt qu’un gouvernement qui pratique darwinisme social. Mais le problème, c’est surtout l’hypocrisie non ?
Aucune loi ne va dans le sens des plus précaires. Tout ce qu’ils nous imposent se fait au nom des plus fragiles, mais en vrai, ils les méprisent. Ils ont même réussi à passer une loi pour restreindre l’accès aux logements sociaux aux handicapés : tout ce qui est fragile, ils veulent le démonter. Nous, avec nos boulots de merde, les fragiles, on les connait. Ce qu’on entend dans les bouches du gouvernement ne correspond en rien à ce qu’ils vivent, ce qu’on vit. C’est aussi ça, qui entraine l’essor du complotisme: ce discours dominant coupé du réel. Et les médias prennent aussi leur part de responsabilité.
Votre dernier billet parle notamment de la séquence complotiste autour de Hold Up. Vous écrivez que les deux horizons proposés, celui du gouvernement et celui des complotistes, sont des perspectives « indésirables, qui ne nous proposent rien, aucune lutte, aucun combat ». En quoi ces horizons nous désarment et nous plongent dans la passivité ?
Le premier horizon, celui du gouvernement, nous mène droit dans le mur. Un système ultra capitaliste, autoritaire, qui mange toutes les ressources de la planète : l’impasse est évidente, documentée. L’impasse complotiste, elle, consiste en la création d’un discours de sidération, qui est l’opposé d’un discours de lutte. L’idée selon laquelle il y aurait un grand complot mondial qui voudrait nous soumettre en nous inoculant des nanoparticules dans le sang… quel combat mener avec ça? Ils nous proposent un monde à la Matrix, mais sans être Néo, sans pilule rouge, en étant simplement des blaireaux qui ne peuvent rien faire. Je travaille avec des jeunes car je suis pion en ce moment. Comment les motiver pour créer des assos, bosser dans la permaculture, si on leur dit que tout est déjà plié ? Ces discours trouvent un large écho parce qu’ils ont un aspect rassurant : on accepte qu’on est trop petits, on accepte la fatalité, l’idée qu’on ne peut rien faire face au grand complot mondial. D’une certaine manière, eux aussi organisent notre impuissance et nous dépolitisent. C’est une autre façon d’aller dans le mur.
Comment va Mouais, votre journal alternatif, un an après sa création ?
Avec ce second confinement, on a des difficultés, car on perd nos lieux de diffusion, les espaces culturels, les librairies. Mais la bonne nouvelle, c’est que nous gagnons beaucoup de nouveaux abonnés, un peu partout dans la France !
Commentaires récents