20 octobre 2020
Voici quelques éléments sur celui qu’on soupçonne d’avoir mené campagne contre Samuel Paty, l’enseignant décapité dans les Yvelines le week-end dernier, en particulier sur ses fréquentations antisémites.
Il y aurait beaucoup à dire sur la pertinence des caricatures publiées par Charlie hebdo et sur la façon dont la liberté d’expression peut être abordée en classe, mais rien ne peut évidemment ni justifier ni excuser le meurtre qui s’est déroulé samedi à Conflans-Sainte-Honorine. Bien que l’on sache par avance comment cette agression mortelle va être instrumentalisée, en particulier dans les rangs des islamophobes médiatiques et politiques, pour tirer à boulets rouges sur les réfugiés et sur les musulmans en général, ce meurtre montre aussi à quoi peut aboutir l’activisme politique de personnalités islamistes.
Car l’assassinat particulièrement sordide de Samuel Paty par un jeune Tchétchène de 18 ans, qui a revendiqué son geste par écrit, a ceci de particulier qu’il s’inscrit dans un contexte d’agitation politique locale, et pas seulement suite à une « radicalisation » d’un individu isolé.
Si la sidération face à cet acte est la même que pour d’autres attaques du même type et qu’il était difficile de l’anticiper, les choses s’étant brutalement accélérées par le biais des réseaux sociaux, il est clair qu’il n’est pas « venu de nulle part », mais qu’il est bien la conséquence d’une campagne menée publiquement contre l’enseignant par d’autres individus, dont pour le moment on ne sait pas s’ils étaient ou non en contact avec l’assaillant.
Dès hier, dans la presse, un nom apparait : celui d’Abdelhakim Sefrioui. Dans plusieurs journaux, comme Marianne ou L’Express, un portrait visiblement de source policière circule, rappelant le parcours de cet ancien président de l’association culturelle des musulmans des Ulis et trésorier du « conseil des imams de France », puis actif dans le comité de soutien à la candidature présidentielle de Dieudonné en 2007, dans des manifestations en soutien à la Palestine, derrière le collectif Cheikh Yassine qu’il a fondé le jour de l’assassinat du fondateur du Hamas en mars 2004.
L’individu n’est pas un inconnu des antifascistes, et les camarades du site REFLEXes, qui avait déjà parlé du personnage il y a quelques années, nous l’ont rappelé. Dans la foulée de la création du collectif Cheikh Yassine, et donc de la décision d’instrumentaliser le soutien au peuple palestinien à des fins prosélytes, Sefrioui crée également en 2005 le « Comité sur le Génocide en Palestine », avec deux soutiens indéfectibles de la cause négationniste, Ginette Hess Skandrani et Mondher Sfar, animateurs de l’association Entre la Plume et l’Enclume.
Outre la publication de brochures, ce comité organise également des rassemblements, les derniers samedis de chaque mois. Le samedi 26 octobre 2006, Sefrioui invite le suprémaciste noir Kémi Seba à prendre la parole.
Ce dernier, avec sa Tribu Ka, est encore, dans les milieux antisémites, tout auréolé de ses provocations dans le quartier du Marais ; on se souvient pour notre part de son soutien à Youssouf Fofana, le kidnappeur tortionnaire du jeune Ilan Halimi, assassiné parce qu’il était Juif.
L’opportunisme de Sefrioui ne s’arrête pas là. Gérant d’une librairie religieuse à Paris, il voit, au lendemain des émeutes de 2005, dans le rapprochement avec Dieudonné, une opportunité de se rapprocher de la jeunesse des quartiers populaires, au sein de laquelle le comique bénéficie alors d’un certain crédit. Ainsi, à la même époque, il se rapproche de Dieudonné, non seulement en rejoignant son comité de soutien en 2007, mais aussi en l’introduisant dans les sphères islamistes : ainsi, c’est Sefrioui qui accompagne Dieudonné lors des journées de l’UOIF au Bourget en 2006.
C’est lui aussi qui lui permet de s’inviter dans les mobilisations de soutien au peuple palestinien, très importantes à cette époque, généralement relégué en fin de cortège car les antisémites n’y étaient pas les bienvenus, du moins pour les organisateurs.
Parfois, c’est avec d’autres antisémites que Sefrioui poursuit son action, par exemple avec le Parti des Musulmans de France (PMF), lors de la manifestation du 31 décembre 2008 contre l’opération Plomb durci menée dans les territoires palestiniens.
Le PMF, dont l’objectif affiché était de « libérer les Musulmans de France » de l’influence du parti socialiste jugé « sionisé », a été fondé en 1997 par Mohamed Ennacer Latrèche, qui s’est fait connaitre en 2003 en se rendant en Irak accompagné du leader du groupuscule néonazi belge Nation, ainsi que quelques nationalistes-révolutionnaires français, pour jouer les « boucliers humains ». Il est également proche du négationniste Serge Thion, et a co-publié avec Ginette Skandrani le Manifeste (judéo-nazi) d’Ariel Sharon, un document volontairement falsifié et faussement attribué au premier ministre israélien.
À la même période, en janvier 2009, lors d’une nouvelle manifestation pour Gaza, dans le cortège du Collectif Cheick Yassine, on a pu voir Dieudonné et Ginette Skandrani accompagnés de deux figures du GUD « historique », proches de Marine Le Pen.
Le premier, Frédéric Chatillon, a souvent servi de prestataire pour le Front national, pas toujours dans le respect de la loi puisqu’il a même été condamné pour cela[1]. Le second, Axel Loustau[2], est actuellement un élu du Rassemblement national dans les Hauts-de-Seine. Selon le site REFLEXes, Dieudonné a été invité durant cette manif à venir prendre la parole sur le camion-sono du Collectif Cheikh Yassine par Nelly Leboucher, l’épouse d’Abdelhakim Sefrioui. On retrouvera d’ailleurs Chatillon et Skandrani l’année suivante, toutes bises dehors, lors d’une manif de soutien au régime de Bachar al Assad.
En raison de la présence encombrante de Soral aux côtés de Dieudonné, le collectif Cheikh Yassine va s’éloigner pour un temps de la clique d’Égalité & Réconciliation. Pourtant, on retrouve des militants du collectif Cheikh Yassine en lien avec Joss Elise, le garde du corps de Dieudonné, en particulier lors des multiples procès, par exemple celui du 22 septembre 2009, où Dieudonné est co-accusé avec Robert Faurisson.
Ces militants auraient même été à l’origine d’une mystérieuse et fantomatique « Ligue de Défense Musulmane », réponse à la Ligue de Défense juive, une organisation d’extrême droite responsable de nombreuses agressions, en particulier contre des initiatives pro-palestiniennes. Il est d’ailleurs arrivé que Sefrioui se vante d’avoir aidé des militants de Génération Palestine, aux antipodes de ses positions antisémites, face aux menaces de la LDJ : pure invention, puisqu’au contraire les militants du collectif Cheikh Yassine se sont faits refouler du CICP, la maison des associations où se déroulait la soirée.
En décembre 2009, Sefrioui est invité à s’exprimer dans le film documentaire plutôt complaisant réalisé par Francesco Condemi et Béatrice Pignède (aujourd’hui décédée), « Sans forme de politesse : regard sur la mouvance Dieudonné ».
Sefrioui y défend alors une certaine liberté accordée à l’humour, précisant même qu’on « rit de tout sans que cela pose le moindre problème », qu’« il n’y a aucun sacré dans le monde du rire ». Un sens de l’humour accordée par Sefrioui à l’antisémitisme de Dieudonné, mais qui n’est visiblement plus de mise lorsqu’il s’agit de caricatures du prophète de l’islam…
Enfin, en 2010, le collectif Cheikh Yassine fait encore parler de lui en tentant une opération de récupération à son profit de la CIAP (Coordination interassociative pour la Palestine) et de la campagne BDS, heureusement sans succès : puis, la mobilisation de soutien à la Palestine s’essoufflant, nous n’avons plus entendu parler de lui…
Ces alliances en apparence contre-nature entre extrême droite et islamistes ne datent pas d’hier. Dans l’ouvrage collectif La Galaxie Dieudonné ((Certaines informations du présent article en sont tirées.)) les auteurs, militants antifascistes, rappellent que sous Vichy, en France, Mohamed El-Maadi, ancien membre de la Cagoule, avait fondé une revue en langue arabe, El-Rachid, pour diffuser propagande antisémite et appel à une alliance islamo-nazie. Plus récemment, au début des années 2000, c’est donc principalement autour de Dieudonné et des mobilisations en soutien au peuple palestinien que ces rapprochements se sont opérés, toujours avec l’antisémitisme comme ciment, et en toile de fond un terrain à conquérir, celui des banlieues.
D’autant que depuis quarante ans, les gouvernements de droite comme de gauche ont pu mener des politiques « d’appel à l’imam » en préférant, surtout lorsque la tension monte, privilégier ce type d’interlocuteur, plutôt que des associations de quartier exigeant des moyens, ou des initiatives politiques autonomes revendiquant une véritable citoyenneté et l’égalité des droits pour les habitant·e·s des quartiers populaires et la reconnaissance du racisme issu du passé colonial du pays. En favorisant de cette façon le repli identitaire, l’État a pu dans un premier temps neutraliser une contestation gênante, mais il a ainsi sa part de responsabilité dans l’émergence de groupes politico-religieux.
La Horde
- Mis en examen en 2015 pour financement illégal de parti politique, il est condamné en 2019 à une peine de trente mois de prison dont dix ferme et 250 000 euros. Il évite la prison en portant un bracelet électronique. [↩]
- Lui aussi mis en examen lmais pour « escroquerie » dans le cadre du financement de Jeanne, le micro parti de Marine Le Pen, il a été relaxé en juin 2020. [↩]
- https://lahorde.samizdat.net/2020/10/20/a-propos-dabdelhakim-sefrioui-et-du-collectif-cheikh-yassine/
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