mardi 22 septembre 2020 par Renaud Garcia
Défendons la nature, combattons l’ »écologie »
Voici les notices de Notre Bibliothèque Verte, rédigées par Renaud Garcia, et consacrées cette fois à Elisée Reclus et à ses compagnons du mouvement impressionniste.
« Et si nous sommes, qui sommes-nous ? », se demandait-on dans l’avant-propos à Notre Bibliothèque Verte (ici).
Sans doute des « écologistes » devions-nous conclure à regret. Ce mot d’« écologie » étant le seul mot nouveau apparu en politique depuis 50 ans, et le seul à rassembler aux yeux du grand public les « écolos » dans toutes leurs nuances et contradictions. Du moins tant que les mots de « nature » et de « naturistes » n’auront pas remplacé ceux d’« écologie » et d’« écologistes ».
Car l’écologie est un contre-sens politique. Tout d’abord le nom d’une science fondée et nommée comme telle par Ernst Haeckel (1834-1919), un biologiste darwiniste, en 1866, dans sa Morphologie générale des organismes. Oikos : demeure, habitat, milieu ; logos : science, discours. « Science des êtres vivants dans leur milieu ». Haeckel était en outre et en vrac un dessinateur remarquable, un militant libre-penseur, eugéniste et raciste, dont les nazis reprirent les pires idées. (Cf. André Pichot, La Société pure. De Darwin à Hitler, Ed. Flammarion, 2000).
Ça commençait mal. Qu’en plein siècle du machinisme et de l’expansion industrielle se développent des sciences vouées à l’étude du vivant – biologie, écologie – avait quelque chose de sinistre. Comme la géographie, ces études servaient d’abord à faire la guerre. Mais la guerre au vivant, qu’elles n’étudiaient que pour mieux le vaincre.
Aussi, nos véritables anciens ne sont pas les scientifiques écologistes, mais les naturiens (voir ici) et naturistes politiques, ces anarchistes et libres-penseurs, contemporains de Haeckel, tel le géographe Elisée Reclus (1830-1905), végétariens, nudistes, partisans d’une vie saine et du retour à la terre, porteurs d’une vue critique et contradictoire du machinisme et de l’industrialisme. Cette vue fut exprimée par le groupe des impressionnistes avec qui Reclus entretenait des liens, et notamment avec Camille Pissarro (1830-1903), son compagnon anarchiste ; l’un des fondateurs du mouvement, le maître de Cézanne et Gauguin.
Ce que les naturiens ont de plus frappant et qui les réunit dans notre estime, c’est de ne pas s’être contentés d’une critique parcellaire, ni négative. Les naturiens surtout, ont porté la critique radicale (et non pas extrémiste), à un point qui n’a pas été dépassé depuis. Au-delà de l’anti-capitalisme et de l’anti-productivisme qui sont les mots de code des industrialistes de gauche. Leurs échecs, leurs impasses, leurs contradictions, restent les nôtres. Mais aussi leurs réussites. La plus heureuse étant d’avoir forgé ce nom de « naturiens » pour nommer de façon positive et générique, les défenseurs du vivant politique dans un milieu vivant. Autrement dit nature et liberté, indissociables l’une de l’autre. Et si nous sommes, nous autres, ces mêmes défenseurs du vivant, un siècle plus tard, qui sommes-nous donc, sinon des naturiens.
Ou plutôt, suivant l’usage des désinences en – iste pour désigner en français les adeptes d’un courant, des naturistes. On n’a pas dit des « nudistes ». Nous n’avons pas à être plus naturistes que les naturels des peuples premiers – y compris nos ancêtres les Gaulois -, qui, un peu partout, se promenèrent ou se promènent encore en pagnes, kalimbés, dhotis, paréos – et même – en braies et en culottes.
Reclus et les impressionnistes ont porté la conscience déchirée et la vision de cette catastrophe, la « révolution » industrielle. Jamais la nature ne fut mieux exaltée que sur ces toiles de « plein air », éclatantes des lumières et couleurs d’un monde à l’agonie. Et c’est bien cette vie splendide et révolue que les foules viennent béatement et douloureusement contempler au musée d’Orsay, et lors des grandes expositions. Mais déjà le Progrès arrive gare Saint-Lazare et les locomotives, les fumées, les immeubles, les habits noirs, les grises teintes urbaines, envahissent les toiles. Le moment est passé, la nature aussi. Il faut vivre avec son temps.
Reclus, les naturiens, les naturistes, furent si bien écrasés et occultés que lors de la résurgence du mouvement de défense du vivant, dans les années 1960, les militants se rangèrent sous l’égide de la science et de « l’écologie », respectable, rationnelle, scientifique en somme ; et non pas du côté de la défense de la nature, toujours suspecte de sensiblerie, de sentimentalisme et d’émotions irrationnelles, politique en somme.
Plutôt que de lire Giono, Charbonneau, Ellul (voir ici), ils firent de la biologiste Rachel Carson (1907-1964), la fondatrice du mouvement « écologiste », et de son livre Printemps silencieux (1962), le modèle de la démonstration « scientifique » (« écologiste »), de l’agonie du vivant. Notre sensibilité, notre expérience de la disparition des saisons et des animaux n’ont de valeur aux yeux de la technocratie dirigeante et du Monde, son organe central, que si elles sont « validées » par les climatologues du Giec et contresignées par des milliers de scientifiques qui nous prodiguent – à nous, leurs victimes depuis deux siècles – des « appels à sauver la planète » (Cf. Le Monde, 13 novembre 2017). Aussi n’est-il pas surprenant que le parti et les associations écologistes soient, par une apparente contradiction, infestés d’ingénieurs, de cadres et de scientifiques.
« Ecoutez les scientifiques ! » nous enjoint Greta Thunberg, leur petit automate, promue par leurs soins « porte-parole de la jeunesse écologiste », alors qu’elle n’est que leur commande vocale auprès de la jeunesse écologiste. Les mêmes prétentions « scientifiques » nourrissent les impostures des « collapsologues », inventeurs d’une pseudo-science, et celles du petit cluster d’anthropologues, sociologues et philosophes, qui, 100 000 ans plus tard, re-découvrent sous les auspices d’un Descola (Par delà nature et culture, 2005), l’animisme et Les Formes élémentaires de la vie religieuse (Durkheim, 1912). Les uns comme les autres abondamment et complaisamment célébrés par Le Monde qui reconnaît les siens, membres du clergé scientiste et de la classe technocratique. Plutôt se transformer en « écologistes » et coller des labels « vert » ou « écologiste » sur toute innovation technologique ou contrainte politique, que de renoncer à diriger la société industrielle qu’ils ont menée à la faillite. Leur industrie, leur science, leur écologie.
Si vous voulez défendre le vivant, nature et liberté ; combattez la science écologique et mortifère.
Ne le répétez pas – ça nous ferait du tort sur les réseaux sociaux – mais nous les anti-industriels, nous ne sommes pas des écologistes ; nous sommes des naturistes.
(Pour lire les notices, ouvrir le document ci-dessous.)
Lire aussi :
- Notre Bibliothèque Verte 1 : Epicure et Kaczynski
- Jacques Tati et Jaime Semprun – Notre Bibliothèque Verte
- Kropotkine et Zamiatine – Notre Bibliothèque Verte
- Ray Bradbury et son « Feu de joie » – Notre Bibliothèque Verte
- Tolstoï et les naturiens – Notre Bibliothèque Verte
- Simone Weil et Georges Bernanos – Notre Bibliothèque Verte
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