de : joclaude
jeudi 27 août 2020 – 11h40 –
Crise sanitaire : « Pour les dictateurs en herbe, il n’est plus très difficile d’abattre toutes les libertés » Source : MARIANNE Publié le 22/05/2020 à 11:18
Robert Redeker Philosophe, auteur notamment de L’école fantôme (Descléee de Brouwer, 2016) et L’Eclipse de la mort (éditions Desclée de Brouwer, 2017).
Pour Robert Redeker, le Covid-19 pourrait être le début d’une dystopie. Le printemps 2020 a vu apparaître une forme nouvelle de mondialisation : la réduction, partout sur la Terre, de toutes les questions politiques à une seule, qui n’en est pas vraiment une, la question sanitaire. Cependant les Etats se sont emparés de cette question, l’ont intégrée à leur dispositif, pour détruire la politique. Toutes les élucubrations sur la fin de la mondialisation, sur « le monde d’après », font l’impasse sur ce fait majeur : les Etats, à de rares exceptions près, se sont lancés dans le même type de gestion de la crise sanitaire. Tous ont réduit les libertés fondamentales. Tous ont formé des projets de suivi technologique – le fameux « traçage » – des êtres humains comme s’ils s’agissait d’animaux. Beaucoup ont utilisé les drones à la façon de chiens de berger mécaniques. Tous ont transformé leurs habitants en rats de laboratoire sur qui expérimenter les formes nouvelles de gouvernance. L’espace de quelques mois une sorte d’Etat mondial antipolitique s’est dessiné, où le droit fut universellement bafoué par la loi.
LA THÉOLOGIE DU COVID-19 Un basculement se produisit du jour au lendemain : nous vîmes la dépolitisation des peuples, placés en garde-à-vue à leur domicile. Tout d’un coup, nous avions basculé dans un autre monde, ressemblant fort aux Etats policiers, comme si une trappe, sans crier gare, s’était ouverte sous nos pieds. Une caractéristique n’a pas été assez soulignée : assignés à résidence, désintégrés en isolats, les peuples n’avaient plus de rapport à la vie collective qu’à travers la télévision. Autrement dit : ils n’avaient plus d’existence que virtuelle, sur les écrans. La télévision leur communiquait les ordres, les consignes, le prêt-à-croire officiel. Peu de choses dans la société sont aussi dramatiques que le seul-à-seul des personnes ou des familles avec la télévision, au moment où l’on a procédé à l’évanouissement artificiel de toute réalité extérieure. La télévision doublait la garde-à-vue physique, assurée par la police, d’une garde-à-vue mentale.
Force est de constater, pour tous les dictateurs en herbe, qu’il n’est plus très difficile d’abattre toutes les libertés
Que dire d’un temps – le confinement planétaire – qui se signala comme celui de la destruction de toutes les libertés, y compris celle de caricaturer (en France, les auteurs de banderoles ridiculisant Emmanuel Macron, furent systématiquement conduits au poste de police, comme si, au lieu de protéger les Français, les forces de l’ordre étaient en guerre contre eux), de toute parole libre, et de toute opposition ? Ceci : les hommes y firent l’objet de la simulation d’une nouvelle forme d’Etat totalitaire, le totalitarisme sanitariste mondialisé. Il importe d’entendre le mot de simulation dans son sens d’expérience scientifique pratiquée à grande échelle sur toute la population, transformée en cobaye. Force est de constater, pour tous les dictateurs en herbe, qu’il n’est plus très difficile – grâce à la machine à broyer les intelligences pour fabriquer du consentement, de la servitude volontaire, qu’est devenue la télévision – d’abattre toutes les libertés. Plus besoin d’un coup d’Etat à la Pinochet, toujours risqué : la déclaration de l’état d’urgence sanitaire appuyée sur la télévision apparaît désormais plus efficace. Comprenons la simulation à la façon d’une répétition générale. Oui, le confinement fut la « générale », comme disent les gens de théâtre, d’un totalitarisme nouveau. Elle fut une expérience sur les humains zoologisés, la plupart des pays ayant été, pour l’occasion, transformés en parcs humains bien gardés.
Réfléchissant au « discours sur la garde et l’élevage de l’être humain », sur « une politologie pastorale européenne », Peter Sloterdijk signale ces « discours qui parlent de la communauté des hommes comme d’un parc zoologique qui est aussi un parc à thèmes » [Peter Sloterdijk, Règles pour le parc humain (1999), Paris, Mille et Une nuits, 2000, pages 44-45]. Depuis le début du confinement, ces discours sont tenus sans aucune honte par des politiciens, des journalistes et des médecins. Ils sont la matrice du flot de paroles déversé tout au long de cette crise par les ondes du matin au soir. Mais, peut-on se demander, quel est leur usage et leur but ? Une réponse jaillit : celui de créer les conditions de possibilité discursives, ce que Michel Foucault appelait un « épistémè », d’une simulation. La crise sanitaire fut l’occasion d’une simulation grandeur nature : celle de l’utopie du parc humain. Sauvages ou domestiques, les animaux ne sont plus vraiment naturels : leurs déplacements sont de plus en plus souvent suivis par des puces, implantées dans leur organisme. Le zoologique est alors une dépendance de la technique. La tentative s’accélère de transformer les hommes en vivants hightech, zootechnologiques, évoluant sur des territoires changés en parcs digitalement quadrillés. Ainsi travaille-t-on à fabriquer des êtres nouveaux mi-naturels, mi-techniques, surveillés par des drones et par la télévision, suivis depuis des satellites à travers leur téléphone portables. Traçables. La crise sanitaire est l’expérimentation de leur élevage. La simulation expérimentale de l’humain traçable. Cette utopie remplace la politique par la gestion des affaires et la bergerie des flux humains. Elle est une anthropofacture tératologique : l’usinage d’hommes qui ne sont plus des hommes, mais des mixtes de bête et de robot.
La crise de la COVID-19 est l’événement inespéré qui ouvre tout l’avenir à cette superstition propre à installer le peuple dans la position du coupable par nature.Elle est la simulation expérimentale d’un nouvel âge de fer.
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