Posted on7 août 2020
Nous venons de déposer un recours devant le Conseil d’Etat contre les dispositions du code de procédure pénale qui autorisent la police à utiliser la reconnaissance faciale pour identifier les personnes fichées dans le TAJ (pour « Traitement des Antécédents Judiciaires »). Ce fichier comporte 19 millions de fiches et plus de 8 millions de photos. Il permet déjà à la police, et depuis plusieurs années, d’utiliser de façon massive la reconnaissance faciale en France sur la voie publique, sans aucune justification ni aucun cadre juridique. Il est temps d’y mettre fin.
Nous en parlions déjà l’année dernière : alors que le gouvernement essaie de faire croire qu’il souhaite un débat public avant de déployer la reconnaissance faciale en France, celle-ci est déjà en réalité bien en place. Expérimentée sur la voie publique à Nice l’année dernière, elle est aussi présente dans plusieurs aéroports et gares avec les portiques « Parafe » et sera au cœur de la prochaine application d’identité numérique « Alicem ».
C’est surtout avec le fichier du « Traitement des antécédents judiciaires » que ce déploiement est le plus évident (nous en parlions ici). Ce fichier contient, en plus d’un très grand nombre d’informations, les photographies des visages de toute personne « mise en cause » lors d’une enquête de police. C’est-à-dire non seulement les personnes condamnées, mais aussi celles innocentées par la suite lors de l’enquête et dont les photos sont très souvent conservées malgré elles dans ce fichier. Le TAJ contient aujourd’hui, selon un rapport parlementaire et la CNIL, 19 millions de fiches et 8 millions de photographies de visage.
Le code de procédure pénale, dans son article R40-26, permet explicitement à la police et à la gendarmerie d’utiliser la reconnaissance faciale sur ces millions de photographies. Comme la CNIL l’expliquait dès 2011, ce système permet « de comparer à la base des photographies signalétiques du traitement, les images du visage de personnes impliquées dans la commission d’infractions captées via des dispositifs de vidéoprotection », c’est-à-dire comparer par exemple le visage d’une personne filmée dans la rue par une caméra aux photographies stockées dans le fichier pour l’identifier. Cette technique est d’ores et déjà utilisée pour des affaires courantes et, récemment avec le confinement, de forts soupçons de détournements de ce fichier pèsent sur certaines amendes adressées à des personnes « connues des services de police ».
La création du fichier TES, résultant de la fusion des fichiers des cartes d’identités et du TES passeport, accentue fortement ce risque. En effet, ce fichier, dont l’accès par la police a été grandement étendu suite à la loi Renseignement, regroupera les photographies présentes sur les passeports et cartes d’identité de l’ensemble de la population français. Ces développements pourraient permettre à la police d’aller beaucoup plus loin dans son utilisation de la reconnaissance faciale et de procéder ainsi à une réelle surveillance biométrique de masse. Une analyse détaillée est disponible ici.
La nécessité d’une action contentieuse
La surveillance biométrique est exceptionnellement invasive et déshumanisante. Elle permet un contrôle invisible, permanent et généralisé de l’espace public. Elle fait de nous une société de suspect·es. Elle attribue à notre corps une fonction de traceur constant, le réduisant à un objet technique d’identification. Elle abolit l’anonymat.
C’est pourquoi nous attaquons aujourd’hui ces dispositions du code de procédure pénale sur le TAJ : pour ne laisser aucune place, ni répit, à cette surveillance biométrique. Tout comme nous avons attaqué (et gagné) contre les portiques de reconnaissance faciale dans les lycées de la région Sud. De même contre l’application Alicem. Ou contre la vidéosurveillance automatisée de Marseille. Ou comme lorsque nous avons demandé avec une centaine d’associations l’interdiction de la reconnaissance faciale.
Nous fondons principalement notre recours juridique sur la notion de « nécessité absolue » qui est au cœur de la directive européenne dite « police – justice » (la version « policière » du RGPD). En effet, l’article 10 de cette directive indique que tout traitement de données biométriques (dont le visage fait évidemment partie) et qui est réalisé afin d’identifier une personne n’est possible qu’en cas de « nécessité absolue » et « sous réserve de garanties appropriées pour les droits et libertés de la personne concernée ».
Or, ce n’est évidemment pas le cas pour le TAJ : aucune « nécessité absolue » n’est susceptible de venir justifier un tel dispositif, et rien n’a d’ailleurs été jamais avancé dans ce sens par le gouvernement. Au contraire, quand la ministre de la Justice répond à notre courrier de demande d’abrogation de ces dispositions, elle le qualifie seulement d’ « aide technique » (bien loin donc de toute « nécessité absolue »). Par ailleurs, il n’existe évidemment aucune « garantie appropriée » à ce type de dispositif. Les dispositions qui permettent la reconnaissance faciale à partir des photos du TAJ apparaissent donc en contradiction flagrante avec le droit européen et la loi française qui a transposé directement ces différents principes.
La reconnaissance faciale dans le TAJ est une des pierres angulaires de la surveillance biométrique en France, et c’est pourquoi nous l’attaquons aujourd’hui. Et nous continuerons de dénoncer et d’attaquer les autres déploiement de cette surveillance : non seulement la reconnaissance faciale, mais aussi l’ensemble des autres techniques de surveillance qui continuent de se répandre à travers la Technopolice.
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