Publication
3 juin 2020
S’abritant derrière la crise sanitaire, les industriels ont multiplié les attaques contre les régulations sociales et environnementales et joué de leur proximité avec les décideurs et de l’urgence pour capter des aides publiques sans véritable contrepartie. Plus que jamais, l’absence de transparence et l’accès privilégié dont bénéficie le secteur privé contaminent notre démocratie. Nouveau rapport de l’Observatoire des multinationales en partenariat avec les Amis de la Terre France.
Derrière l’épidémie du coronavirus, il y en a aussi une autre, moins visible : une épidémie de lobbying. Alors que les drames humains et le confinement attiraient toute l’attention, les industriels et les porte-voix du secteur privé n’ont pas perdu de temps pour « ne pas laisser se gâcher une bonne crise ». Tirant profit de l’urgence et d’une situation exceptionnelle, ils ont poussé leurs intérêts auprès des décideurs, parfois avec une bonne dose de cynisme, sur des sujets qui n’avaient rien à voir avec le contexte sanitaire et social.
Ce lobbying a deux aspects. Le premier, négatif, vise à obtenir le report, la suspension, l’allègement ou la suppression de régulations sociales et environnementales. Dans la plupart des cas, les lobbys n’ont fait que recycler de vieilles demandes en les liant fallacieusement à la pandémie. Ils ont par exemple cherché à revenir sur des mesures récentes comme la mise en place de normes climatiques plus strictes pour les automobiles, l’interdiction des sacs plastique, ou encore la séparation entre les activités de conseil aux agriculteurs et de vente de pesticides.
Le deuxième aspect, moins visible mais peut-être encore plus dangereux à terme, consiste à capter à leur profit les aides publiques directes et indirectes mobilisées par les gouvernements dans le cadre de leurs plans de sauvetage et de relance, et d’imposer leur agenda technologique et industriel afin de sortir gagnant dans le « monde d’après ». De l’industrie pharmaceutique à l’agrobusiness, en passant par la voiture électrique et le numérique, de nombreuses entreprises ont adapté leur stratégie et leur communication pour se tailler la part du lion dans les dépenses publiques massives en train d’être engagées, sans véritable contrepartie économique, sociale ou environnementale.
Les professions de foi écologiques et les grands discours sur la solidarité se sont à nouveau multipliés à l’occasion de la crise du coronavirus. Trop souvent, cependant, cette communication « positive » sert surtout aux grandes entreprises à éviter que l’on n’envisage des régulations contraignantes, notamment en matière d’émissions de gaz à effet de serre, ou que l’on remette en cause les mécanismes financiers et fiscaux par lesquels elles et leurs actionnaires s’accaparent l’essentiel des richesses.
Cette situation met en lumière les limites dramatiques des dispositifs actuels de transparence du lobbying en France, mis en place dans le cadre de la loi Sapin 2. Contrairement à ce qu’il en est au niveau européen, il n’y a aucune transparence sur les rendez-vous et contacts entre décideurs et représentants d’intérêts. Contrairement à ce qu’il en est aux États-Unis, les déclarations de dépenses et d’activités d’influence ne sont requises qu’un an après. Enfin, ces dispositifs ne fournissent que des informations rudimentaires, ciblant les formes les plus formelles de lobbying, alors que dans le contexte actuel celles-ci sont devenues encore moins importantes par rapport à l’influence informelle, celle qui s’exerce à travers les relations personnelles des élites, les conflits d’intérêt, les pantouflages et les portes tournantes.
Alors que toute l’économie est devenue plus dépendante des décisions et du soutien financier de la puissance publique, le lobbying et la proximité avec les décideurs sont devenus plus cruciaux que jamais pour les entreprises. Au nom de l’urgence, les lois sont adoptées à marche forcée, avec un niveau minimal de débat public. Des choix importants sont faits dans l’urgence et sans transparence.
Pour ne pas se laisser dérober le « monde d’après » avant
même qu’il ait vu le jour, un dispositif d’urgence de transparence du lobbying – et plus largement de l’ensemble de la réponse politique et économique à la pandémie – est donc un impératif démocratique.
Lire le rapport : Lobbying : l’épidémie cachée (28 pages)
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