Alors que plusieurs milliers de soignants ont été contaminés par le Covid-19, les salariés que le gouvernement considère comme la deuxième ligne dans la bataille contre le coronavirus payent un lourd tribut, et commencent aussi à compter leurs morts. En cause : la faiblesse des mesures de protection prises par les employeurs et la volonté du gouvernement de freiner le moins possible l’activité économique.
La RAPT compte son premier mort lié au Covid-19. Celui d’un « encadrant en centre Bus », annonce la RATP group sur son compte Twitter lundi 30 mars. Un agent de maîtrise « à l’ancienne », longtemps syndiqué à la CGT, proche de la retraite, qui avait grimpé les échelons un à un. De source syndicale, 70 agents seraient malades du coronavirus, dont deux dans un état sérieux.
Jeudi dernier, c’est Aïcha Issadounène, déléguée syndicale de 52 ans chez Carrefour Saint-Denis qui succombait du coronavirus. « Elle a surtout été la victime de cette course au profit insupportable qui envoie les travailleuses et les travailleurs les plus précaires en première ligne, sans aucune protection, pendant que la direction, elle, se porte bien, au chaud avec masques et tests de dépistage », explique, très en colère, l’union départementale CGT du 93 qui est intervenue pour obtenir la fermeture du supermarché dimanche 29 mars. Aïcha Issadounène est la seconde déléguée de la fédération CGT du commerce et des services à mourir. Une semaine plus tôt, décédait Alain Siekappen, responsable sécurité de 45 ans au centre commercial d’O’Parinor à Aulnay-sous-Bois. Deux disparitions dans le même département.
Ce lundi matin, une cinquantaine de salariés du Carrefour de Vitrolles ont fait valoir leur droit de retrait en apprenant que deux de leurs collègues, dont un hospitalisé en réanimation selon la CGT, étaient positifs au coronavirus. Ils exigent la désinfection du magasin, la fermeture de rayons non essentiels et des masques. Vendredi dernier, ce sont 26 salariés de l’entrepôt logistique de Carrefour à Ploufragan dans les Côtes-d’Armor qui ont protesté contre le refus de leur direction de leur distribuer des masques fraîchement arrivés. Le lendemain, ils recevaient un courrier les menaçant de retenues sur salaires et de sanctions.
À Roissy Charles de Gaulle, un intérimaire de 60 ans travaillant pour Fedex est décédé mardi 24 mars. La CGT Intérim a déclenché un droit d’alerte dans plusieurs entreprises de travail temporaire actives sur le site, afin d’imposer une enquête et des mesures de protection pouvant conduire à la fermeture du lieu de travail. Plusieurs salariés du hub de Fedex – qui emploie plus de 500 intérimaires sur 2500 personnes – seraient malades du coronavirus selon le syndicat. De leur côté, les syndicats CGT, UNSA, CFDT, CGC et STAAAP de Fedex avaient déjà saisi l’inspection du travail. Lundi 30 mars, Manpower, Adecco et trois autres sociétés annonçaient mettre fin à l’envoi d’intérimaires sur le hub de Fedex.
Des contaminations par milliers dans les entreprises
Toujours dans le secteur aéronautique, Sud-Aérien dénombre une centaine de cas avérés ou suspectés parmi « les salariés de la Piste qui montent ou sont montés sans protection dans les avions fraîchement arrivés ». Plusieurs d’entre eux sont hospitalisés et sous respirateur, affirme le syndicat, qui dénonce une absence d’informations en commission santé, sécurité et conditions de travail chez Air France, depuis le 19 mars. Peu de protections et trop tardivement, déplore encore Sud-Aérien. Et pas de décompte complet du nombre de salariés malades tous métiers confondus.
« La population postale est plus touchée en moyenne que l’ensemble de la population française » a alerté Sud-PTT lors d’un conseil d’administration extraordinaire du groupe La Poste le 26 mars. Avec les seules informations fournies par ses militants, le syndicat avance le chiffre de 129 cas avérés et 500 suspicions à cette date. Soit 55 contaminés pour 100 000 postiers, contre 33 pour 100 000 dans la population générale. Par ailleurs, il souligne un pic de contagion chez Chronopost avec 39 personnes malades du coronavirus, portant le ratio à 650 cas pour 100 000 dans cette filiale du groupe.
La question du nombre de malades est sensible à La Poste. Alors que la direction expliquait ne pas pouvoir recenser les cas de personnes contaminées par le Covid-19 à cause du respect des données personnelles (RGPD), le syndicat Sud-PTT a découvert un document interne faisant état de 167 cas et 311 agents placés à l’isolement au 25 mars, exclusivement au réseau (guichet), qui compte pour un quart des effectifs du groupe. Depuis plus de trois semaines, l’ambiance est particulièrement tendue à La Poste. En l’absence de protections et d’informations durant la première quinzaine de mars, les droits de retrait se sont multipliés, particulièrement à la distribution du courrier où le risque de se faire vecteur de la contagion s’est ajouté à la peur d’être sois même infecté. Depuis, la direction a limité les sorties en tournée des facteurs à trois journées par semaine, mais réfléchit à augmenter le nombre de jours de distribution après l’intervention des patrons de la presse quotidienne.
À la SNCF, où le plan de transport a été réduit, trois cheminots seraient décédés, selon une source syndicale. Un contrôleur en région PACA autour de la mi-mars, et deux autres agents ces derniers jours. Une information que n’a pas souhaité confirmer ou infirmer l’entreprise, arguant ne communiquer ces informations qu’aux autorités sanitaires et au gouvernement. Mais selon un document que nous avons pu consulter, 402 agents SNCF ont été contaminés par le coronavirus en date du 29 mars, et 1402 autres sont suspectés de l’être. « Le secteur des transports est un vecteur de transmission évident de l’épidémie », avance un syndicaliste cheminot pour expliquer le nombre relativement important de contaminations dans l’entreprise. D’autant que là comme ailleurs, les mesures de protection ont été minimales.
Autre secteur très exposé : la grande distribution et le commerce. « Nous en sommes aujourd’hui à cinq morts : trois en prévention sécurité, Aïcha à Carrefour et une jeune à Mc Do en Meurthe-et-Moselle » énumère Amar Lagha, le secrétaire général de la CGT commerce et services. Les 500 contaminés recensés dans son secteur d’activité la semaine dernière sont devenus un millier. « Nos craintes se confirment. Il faut quinze jours à trois semaines pour que l’épidémie arrive. Nos collègues étaient en première ligne sans protection au moment où Macron s’est prononcé pour le confinement. Il y avait déjà une affluence énorme dans les magasins et aucun d’eux n’était protégé. Nous allons compter nos morts et nos malades sur cette troisième semaine », dénonce-t-il. Particulièrement dans le viseur du syndicat, Carrefour, où le nombre de contaminés dépasserait les 200, selon la CGT Commerce. « Bompard [le PDG de Carrefour] ne peut pas dire que tout va bien », s’insurge Amar Lagha. Son syndicat a décidé de porter plainte contre l’enseigne et contre Muriel Pénicaud pour mise en danger de la vie d’autrui et non-assistance à personne en danger.
Au-delà, il y a toutes les autres entreprises qui tournent encore avec des salariés qui ne sont pas en télétravail, surtout dans l’industrie. Nous avons relaté abondamment le cas d’Amazon et les conditions scandaleuses de travail qui y règnent. Mais combien d’autres dans les secteurs du transport et de la logistique, qui emploient 1,9 million de salariés ? Combien de malades dans le secteur du nettoyage, où à côté de quelques poids lourds existent des milliers de petites entreprises, sous-traitantes des premières ou de grandes sociétés, dans de nombreux secteurs d’activité ? Un décompte global sera bien difficile à produire. Pourtant les conditions sanitaires y sont, ou y ont été, très souvent déplorables.
Un gouvernement et des employeurs responsables et coupables
Partout, des salariés contraints de continuer leur travail mettent en cause le manque de protection aujourd’hui, et leur quasi-absence hier, au début de l’explosion des cas de Covid-19. Mais si la responsabilité des employeurs est criante, celle du gouvernement est majeure. Au début du mois de mars, l’exécutif faisait tout pour dissuader les salariés d’user de leur droit de retrait. « Si la RATP s’arrêtait parce qu’il y a un agent contaminé, on est pas dans le respect du droit de retrait », réagissait début mars la ministre du Travail face à des travailleurs refusant de prendre leur service sans mesures de protection. Aujourd’hui, seulement 30 % des transports de la régie sont en circulation.
Une volonté gouvernementale jamais démentie. L’épisode du bras de fer entamé par la ministre avec les patrons du secteur du BTP pour qu’ils rouvrent les chantiers venant même la confirmer. Autre responsabilité : le refus d’équiper en masques des professions exposées au public, comme les caissières, au non d’une inefficacité prétendue de ce matériel pour protéger. Ce même matériel que le gouvernement réservait jusqu’à peu aux personnels soignants à qui l’exécutif était incapable de fournir des masques FFP2. Des masques chirurgicaux inutiles selon le gouvernement, mais maintenant livrés aux forces de l’ordre et aux gardiens de prison.
Aujourd’hui encore, alors que le nombre de décès en France dépasse les 3000 et que les protections sont encore manquantes dans de nombreux secteurs, Olivier Dussopt, Muriel Pénicaud et même Emmanuel Macron ont pris le temps de reprocher à la CGT le dépôt d’un préavis de grève, couvrant l’ensemble du mois d’avril, par sa fédération des services publics. Un préavis pourtant sans appel à la grève, laissé à disposition des salariés pour leur permettre de réagir à des situations de non-protection. Toujours le déni du risque pris par les salariés, et des choix qui se comptent en nouvelles contaminations et malheureusement en morts supplémentaires.
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