Publié le 18 décembre 2019
Nous y sommes : nous avons passé le 5 et le 17 décembre 2019, nous avons débuté des blocages dans tout le pays ! Première victoire. Néanmoins, nous n’avons pas encore les conditions d’une victoire totale. Certes, le gouvernement pourrait reculer sur la réforme des retraites… Mais que gagnerions-nous ?
Au
mieux, un système de retraite par répartition qui contrebalance des
cadences de travail effrénées. Aucun changement pour la Santé en grève
depuis des mois ; aucun changement pour les précaires intérimaires pour qui « grève » rime avec « perdre son boulot de deux mois et le chômage des deux mois suivants ».
Et que dire de ces cortèges syndicaux où l’on se met bien en rang derrière les lignes de policiers, que dire de ces AG dont la lourdeur bureaucratique plombe nos journées ?
Nous souhaitons ici critiquer pour aller plus loin que nos routines et
nos prêts-à-penser, pour nos camarades, nos ami·e·s, nos copain·ine·s,
et donner envie de s’organiser dans la grève et en dehors.
Au-delà de la retraite : un Pacte des grévistes
La mobilisation actuelle ne porte qu’une seule
revendication : le retrait de la réforme sur les retraites. Ou, au
mieux, la retraite à 60 ans à taux plein. Nous acceptons un terrible compromis avec le capitalisme : « Tuez-vous à la tâche et l’on vous libèrera plus tard, si vous survivez jusque-là ! »
Bon nombre de précaires ne songent ni à la retraite ni à la défendre :
car comment songer à la vie après 60 ans, quand le quotidien est déjà
une bataille ?
Comment songer à une retraite quand la France refuse de te régulariser ?
Et est-ce qu’une victoire sur la réforme des retraites augmentera le nombre de lits dans les hôpitaux publics par exemple ?
Devons-nous rappeler les revendications des secteurs en lutte dans ce mouvement ?
L’éducation et la réforme du bac, la grève depuis des mois dans les
urgences et chez les pompiers, le droit de retrait des cheminots pour
s’opposer à la suppression des agents d’escales, et la liste est encore
longue : tous ces secteurs étaient mobilisés bien avant la lutte contre
la réforme des retraites et nous l’avons comme oublié. Aujourd’hui, nos
camarades de la Santé ne souhaitent pas s’inscrire dans une convergence
des luttes, pour que leurs revendications ne se dissolvent pas dans la
revendication unique.
Nous devons faire ce constat : oui, les revendications issues de nos
combats disparaissent au détriment d’une pseudo-convergence des luttes.
Et tant que cette situation perdurera, tous et toutes, nous perdrons
tout.
N’avons-nous rien appris de Nuit debout et des Gilets jaunes ?
Ces deux mouvements ont produit de multiples tribunes, des pots communs
de revendications dans lesquels chacun·e pouvait piocher.
Pas de représentants et rien à négocier : à nos ennemis de nous convaincre d’arrêter de lutter !
Parce que le mouvement actuel s’inscrit dans une grève générale de plusieurs secteurs déjà en lutte, nous souhaiterions la création d’un Pacte entre grévistes. Nous proposons :
- Qu’un pot commun de revendications soit créé.
- Que chaque nouveau collectif de grévistes rajoute ses revendications spécifiques à ce pot commun.
- Que la grève se perpétue jusqu’à ce que toutes les revendications de ce pot commun soient acceptées.
- Que nous n’ayons rien à négocier : car c’est aux patrons et à leur gouvernement de se plier à nos exigences.
Par ce pacte, chaque secteur en lutte pourrait compter sur les autres pour porter ses revendications. Les salarié·e·s d’entreprises privées, d’associations pourraient rentrer dans la bataille en se sachant soutenu·e·s par de plus gros secteurs. Nous sortirions de l’unique revendication sur les retraites et attirerions de nouvelles personnes dans la grève. Et en gagnant, nous gagnerions tout, sur tous les fronts, au même moment.
Au-delà des syndicats, de leurs cortèges et de leurs AG
Aujourd’hui, comme si le mouvement contre la loi Travail et les
Gilets jaunes n’avaient jamais eu lieu, nous déléguons aux
intersyndicales la responsabilité de déposer un trajet de manifestation
et de l’amender selon le bon vouloir de la préfecture. Et nous allons
gaiement dans ces cortèges sans proposer grand-chose d’ailleurs.
Ce problème est criant à Paris : la grève des transports et le « culte du chiffre »
de manifestant·e·s, que les centrales syndicales portent, nous obligent
quand on est en région parisienne, à monter sur Paris, en bus à pied à
vélo, et à s’épuiser sans construire localement.
Plusieurs appels proposaient de manifester dans nos villes et villages, à
ne pas rejoindre un seul grand cortège, mais à déambuler avec plusieurs
cortèges pour multiplier l’impact économique et être vu·e·s de partout…
Devons-nous rappeler l’inutilité d’être un million sur un boulevard bordé de flics ?
Giletjaunons la grève ! La spontanéité est ce qui nous manque le plus.
Des assemblées générales de grévistes se sont mises en place par
secteur de travail ou interprofessionnel, par lieux de travail ou par
zone géographique. Ces AG ont permis au 5 décembre de naître et à la grève de durer.
Mais pour légitimer ses actions, tout doit y être voté, parfois à l’extrême :
« Est-ce que l’AG autorise telle action qui ne se fera peut-être pas ?
Est-ce que l’AG autorise tel·le·s personnes à être dans telle ou telle AG lointaine ?
Et moi, qu’est ce que j’y fais, oh pauvre humain corruptible ? »
L’on délègue sa responsabilité à une haute instance, l’Assemblée locale
souveraine, Petit Dieu de la Révolution, Porteuse de la vérité
collective et Dé-faiseur de rois.
Non : l’organisation collective doit se fonder sur des petits groupes
porteurs d’actions et de revendications. Ni déesses ni maîtresses de
nos destins collectifs, les assemblées doivent être de simples caisses
de résonance de toutes les mouvances qui la composent, avec leurs
contradictions : nous ne devons pas chercher de consensus. Et entre
nous, disons : « Qui aime nous suive ! » plutôt que : « Qui est pour, qui est contre, adjugé vendu ! »
Enfin localement, les unions locales syndicales doivent laisser de la
place aux autres groupes affinitaires, jusque dans l’organisation
matérielle et financière des bourses du travail (plan d’impressions,
financement des tracts, etc.).
En résumé sur ce point :
- Des millions de cortèges partout ! Pas des millions de moutons quelque part !
- Nous sommes ensemble… en n’étant pas d’accord entre nous, et en le disant bien fort !
Notre horizon : nous organiser partout par nous-mêmes, pour nous-mêmes
La grève générale n’est pas une modalité d’action anodine : elle n’a pas pour finalité la victoire dans un secteur précis ni sur une loi précise. Arrêter le travail toutes et tous ensemble au même moment abolit nos habitudes, nos règles, nos lois et nous oblige à reconstruire autre chose.
Mais que voulons-nous construire ?
N’oublions pas que le blocage des raffineries n’aura d’impact que dans deux mois, quand les stocks de pétrole en réserve seront vides. Il nous faudrait tenir jusque-là, et alors que ferions-nous ?
Macron et son gouvernement pourraient ne rien lâcher, et dans ce cas notre seule victoire possible ce serait de profiter de la grève pour tout changer, sans leur avis.
Si nous revenons au travail, ça sera pour le transformer.
Sortons des rapports marchands et mettons en place de la gratuité dans un maximum de secteurs.
Note
Autogestion partout !
Commentaires récents