Claude
Guillon analyse l’arsenal législatif mis en place à partir de 1986, par
les gouvernements de gauche comme de droite, lois d’exceptions adoptées
au nom de la lutte contre le terrorisme, sans cesse renforcées et
durcies, responsables de la détention de centaines de supposés
« islamistes » pendant de long mois, souvent relâchés, puis d’opposants
au système capitaliste. Deux décennies « antiterroristes » passées au
crible.
Si l’arsenal pénal permettait de
réprimer avec suffisamment de fermeté tous les agissements susceptibles
de constituer des menées terroristes, son renforcement entendait
renforcer « la subjectivité de l’appréciation des crimes et délits
commis ». En cette période de transition géopolitique, « l’islam se
révélera un substitut providentiel au stalinisme d’État ». Afin de
neutraliser préventivement les groupes terroristes, la loi du 22 juillet
1996 crée le délit d’ « association de malfaiteurs en relation avec une
entreprise terroriste », indépendamment, donc, de la réalisation d’une
infraction, forme pénale du procès d’intention. La procédure judiciaire
est utilisée comme mode de régulation et d’intimidation des groupes
visés.
« Néologisme et sémantique sont les moyens de la lutte des classes. » Afin de construire idéologiquement un ennemi, des désignations sont inventées. Ainsi, le 11 novembre 2008, la ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie parle de « l’ultra gauche mouvance anarcho-autonome » à propos des interpellations de Tarnac. Désormais, n’importe quel individu arrêté avec un fumigène peut être accusé d’appartenance à cette organisation créée par le simple fait d’être nommée.
En septembre 2001, la Commission européenne propose deux « décisions-cadres », contraignantes pour les législations des États de l’Union européenne, définissant comme « terroriste » tout acte de contestation, par exemple lorsque l’auteur les commet dans le but de de contraindre des pouvoirs publics à accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte quelconque. L’incitation, sans être définie, est également réprimée. Ainsi sont requalifiées « terroristes » des infractions à partir du moment où l’autorité décide d’appliquer cette étiquette à leurs auteurs, tandis que les motivations politiques sont déqualifiées et disqualifiées. Un mandat d’arrêt européen est créé, permettant à un magistrat de faire arrêter dans son lieu de résidence un ressortissant européen. C’est la législation de l’État émetteur du mandat, sans recours, qui est prise en compte. Le Conseil de l’Europe adopte la Convention pour la prévention du terrorisme en mai 2005, qui entrera en vigueur en France en août 2008. Claude Guillon présente, comme pour chaque nouvelle législation étudiée ici, les infractions introduites à cette occasion et dénonce la fiction du « contrôle démocratique » : « Le Parlement met en scène la fiction d’une souveraineté populaire, depuis longtemps dissoute dans le mécanisme de la délégation de pouvoir. » Les « démocrates critiques », en admettant la nécessité de lutter contre le « terrorisme » comme s’il s’agissait d’un concept sans tenant idéologique, signent leur défaite et contribuent à renforcer les idées qu’ils prétendent combattre.
« La figure de l’étranger/danger est au coeur des dispositifs sécuritaires, qu’ils visent le « terrorisme » extérieur ou intérieur, c’est-à-dire l’insécurité sociale. L’ « étranger » fantasmé fraude la sécu et les allocations chômage, encombre les écoles de ses enfants (lesquels font baisser le niveau et régner la terreur), casse les prix en travaillant au noir, pratique des cultes bizarres. Il est peut-être le soldat clandestin d’une « guerre des civilisations ». » Dès la présidence Chirac, la « sécurité » s’oppose à la délinquance et au terrorisme, l’identité nationale à l’immigration, mais c’est sous Sarkozy que s’incarnera idéalement « cette association de stimuli idéologiques et émotionnels dans un épouvantail tricéphale – terrorisme, immigration et délinquance des jeunes ». Désormais les mesures « antiterroristes » sont inextricablement liées aux dispositions réprimant l’immigration dite irrégulière : vérification des filiations et fichage des immigrés par tests génétiques, suspicion de tout mariage avec une personne étrangère, fichage biométrique des bénéficiaires de l’aide au retour, répression des militants associatifs assimilés aux passeurs.
Sa conclusion est sans équivoque : « Aucune force politique susceptible d’exercer le pouvoir dans les pays européens n’envisage de rompre avec la politique de terrorisation consolidée dans les dernières décennies. Cette politique continuera donc d’être menée, affectant d’abord les étrangers en situation dite « irrégulière », les Français musulmans soupçonnés de sympathies islamistes et, ponctuellement, des militants, dont on tentera par ce moyen de disqualifier les projets et les actes. Si ses moyens techniques évoluent, ils seront plus insidieux, plus difficiles à identifier, voire à combattre. Pour l’heure le ministre et le terroriste – celui qui pose la bombe dans le métro – cherchent à susciter une identique sidération de la pensée critique, et concourent au maintien du même ordre social. »
Si l’éclairage porté sur ces
législations s’arrête avant la dernière décennie, puisque cet ouvrage
est paru en 2009, nul doute que celle-ci s’inscrit dans la continuité
des précédentes. L’on comprend combien les politiques sont habiles à
tromper, en soumettant les grenouilles à un feu progressif plutôt que de
les ébouillanter.
LA TERRORISATION DÉMOCRATIQUE
Claude Guillon
162 pages – 7 euros.
Éditions Libertalia – Collection « À boulets rouges » – Paris – Mai 2009
http://www.editionslibertalia.com/
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