Réforme du chômage: l’Unédic chiffre les dégâts, les syndicats attaquent

25 septembre 2019 Par Dan Israel

Contester par tous les moyens, y compris juridiques. La CGT, FO, la CFE-CGC et Solidaires vont attaquer devant le Conseil d’État les décrets définissant la drastique réforme de l’assurance-chômage voulue par l’exécutif, a annoncé la CGT mardi 24 septembre. « Nous nous opposons à la politique gouvernementale qui consiste à culpabiliser les privés d’emploi, à faire peser les restrictions budgétaires sur les plus précaires d’entre eux et à accroître la pauvreté », déclare la confédération. Les quatre syndicats ont jusqu’au 26 septembre, deux mois après la publication des décrets, pour déposer leurs recours.

Les changements de règles, qui entreront en vigueur en partie le 1er novembre et en partie le 1er avril prochain, sont majeurs. Première modification : pour être indemnisé par Pôle emploi, il faudra dès novembre avoir travaillé l’équivalent de 6 mois durant les 24 mois précédents, alors qu’aujourd’hui, seuls 4 mois travaillés sur 28 (et sur 36 mois pour les plus de 53 ans) sont nécessaires. Le saut est énorme : il faudra avoir travaillé un jour sur quatre pendant la période de référence, contre un jour sur sept actuellement.

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La seconde vague de la réforme, au printemps, actera une redéfinition sévère des règles de calcul des indemnités chômage. Au lieu d’être calculées (comme elles le sont depuis 40 ans) à partir d’une moyenne des salaires quotidiens touchés par un salarié pendant un an, elles le seront à partir du revenu moyen du salarié par mois, qu’il ait travaillé ou non, et sur une période de deux ans. Pour finir, les salariés qui auront touché un salaire de plus de 4 500 euros brut mensuel verront leur allocation diminuer de 30 % à partir du septième mois de chômage.

Les conséquences de cette réforme seront désastreuses pour de très nombreux chômeurs, et surtout pour les plus précaires d’entre eux. On le pressent depuis que le gouvernement a annoncé ses premières intentions en septembre 2018, et on commence à en mesurer les effets concrets depuis la présentation des décrets mettant en musique la réforme, en juin 2019.

C’est désormais confirmé, par la source la plus autorisée qui soit : l’Unédic, l’organisme (dirigé à parité par les syndicats et les organisations patronales) qui gère l’assurance-chômage. Pour établir ses perspectives financières jusqu’en 2022, l’Unédic a décortiqué ses bases de données et fait tourner ses simulateurs. Bilan : sur les 12 premiers mois d’application à plein de la réforme, d’avril 2020 à mars 2021, les droits au chômage baisseront pour la moitié des 2,6 millions de Français touchant une indemnisation chômage.

Cette évaluation confirme en tous points la première estimation issue d’un document de travail dévoilé par Mediapart début juillet. On est loin des chiffres du gouvernement, qui avait comptabilisé 600 000 à 700 000 personnes impactées par au moins l’une des mesures.

Dans le détail, 9 % des chômeurs qui auraient été indemnisés si les règles n’avaient pas changé ne toucheront aucune allocation durant cette première année. 16 % verront leurs droits diminués (de 20 % en moyenne), 12 % toucheront de l’argent plus tardivement (avec un retard de 5 mois en moyenne), 11 % toucheront leur allocation mensuelle moins longtemps (et la moitié de ces personnes ne la toucheront que pendant moins d’un mois), et enfin 2 % verront leur allocation amputée d’un tiers au bout de six mois.

Le prix à payer pour les demandeurs d’emploi est colossal : les nouvelles règles permettront d’économiser plus d’un milliard dès 2020, puis 2,2 milliards en 2021 et 2,5 milliards en 2022. En fait, ce seront donc 5,94 milliards d’euros qui seront économisés sur le dos des chômeurs en à peine plus de trois ans. Une sommes nettement plus élevée que ce qu’avait laissé entendre en 2018 le gouvernement, qui comptait sur 1,3 milliard d’économies annuelles en moyenne.

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La facture finale est un peu réduite si l’on intègre les mesures plus favorables aux salariés incluses dans la réforme (indemnisation de certains démissionnaires et de certains indépendants), qui coûteront 440 millions d’euros par an et ne concerneront pas plus de 60 000 personnes en tout.

« Les décrets n’avaient fait l’objet d’aucune étude d’impact, ou si elles ont été produites par les services de l’État, elles n’ont pas été partagées avec les partenaires sociaux », a fait remarquer en introduction de la séance de présentation des chiffres Patricia Ferrand, la présidente (CFDT) de l’Unédic. Elle s’est aussi inquiétée du « risque d’aller au-devant de [réactions] qu’on ne maîtrisera pas, socialement ».

Cette crainte est légitime, tant le détail de la réforme, tel qu’il est évalué par l’Unédic, est violent. « Une tuerie », a résumé sur Public Sénat Laurent Berger, le dirigeant de la CFDT, pourtant habitué à mesurer ses critiques envers l’exécutif.

Le simple fait de faire passer de 4 à 6 mois le seuil d’entrée dans le régime, et de supprimer la possibilité pour les demandeurs d’emploi de recharger leurs droits s’il retravaillent durant la période d’indemnisation, impactera négativement 710 000 personnes entre novembre 2019 et octobre 2020, estime l’Unédic. « Et ces personnes sont plus jeunes que la moyenne des allocataires, elles disposent de droits plus courts, avec des salaires plus bas », a précisé Pierre Cavard, le nouveau directeur général de l’organisme, nommé après la démission surprise de Vincent Destival mi-juin. 200 000 personnes ne toucheront carrément rien de Pôle emploi.

Le cumul petit boulot-chômage sera bien moins accessible

Le nouveau mode de calcul de l’allocation mensuelle sera encore plus redoutable, puisqu’il fera chuter les droits de 850 000 nouveaux chômeurs, de 22 % en moyenne par rapport aux règles de calcul qui s’appliquaient jusqu’à présent. La facture sera particulièrement salée pour les 190 000 personnes qui auront travaillé moins de la moitié du temps de la nouvelle « période de référence » de deux ans (ou trois ans pour les plus de 57 ans, au lieu d’un an actuellement). Ils verront leur allocation mensuelle, déjà bien faible, baisser de… 50 %, passant de 868 euros à 431 euros en moyenne !

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« Avec la réforme, les périodes de chômage entre deux emplois seront prises en compte dans le calcul », résume l’Unédic. « Par construction, plus les individus ont un rythme de travail fractionné et plus ils sont touchés par une baisse de l’allocation journalière et par un allongement de la durée des droits », précise l’organisme.

En théorie, le total des sommes touchées pourrait ne pas bouger : des indemnisations deux fois plus faibles seront versées jusqu’à deux fois plus longtemps. C’est ce qui permet au gouvernement d’affirmer que « le capital de droits » reste intact. En intégrant les mécanismes de plancher de cotisations versées, il pourra même être supérieur. En théorie.

Car déjà aujourd’hui, les demandeurs d’emploi n’utilisent pas la totalité de leur capital théorique : ils ne sont indemnisés que 10 mois en moyenne. Et vu le niveau très faible des nouvelles indemnités, il est probable que les plus précaires touchent leur allocation encore moins longtemps, puisqu’ils ne pourront pas vivre avec cette seule ressource. C’est d’ailleurs bien l’objectif affiché du gouvernement.

Pierre Cavard a détaillé un « cas type », celui d’un salarié qui aurait travaillé la moitié du temps sur la période de référence de 24 mois. Si avec les règles actuelles, ce salarié touchait 1 080 euros par mois (ce qui correspond à la moyenne des sommes versées par Pôle emploi), il n’aura plus droit qu’à 670 euros mensuels une fois la réforme entrée en vigueur en avril.

Mais là où aujourd’hui la somme lui aurait été versée pendant un an, elle pourrait bientôt l’être pendant deux ans maximum. Pour autant, l’Unédic rappelle qu’augmenter la durée de la période de référence, de 12 mois à 24 ou 36 mois, « est dans la majorité des cas défavorable à l’allocataire », puisque l’évolution des rémunérations est en moyenne à la hausse.

La modification des règles de calcul cache une autre très mauvaise nouvelle pour les travailleurs précaires. 40 % des économies attendues de ce point de la réforme viendront de la forte réduction des possibilités de cumuler petit boulot et allocations chômage.

Aujourd’hui, si un demandeur d’emploi retrouve un job moins payé que son travail antérieur, Pôle emploi continue à l’indemniser partiellement. Demain, ce ne sera plus possible dans la plupart des cas. Le directeur général de l’Unédic a ainsi donné l’exemple d’un salarié touchant une indemnité de 500 euros, qui retrouve un boulot payé 400 euros par mois. Là où il toucherait aujourd’hui 220 euros d’allocation chômage en plus de son petit salaire, cela ne serait plus possible dans la majorité des cas après la réforme.

Soumis à ce traitement de cheval, l’Unédic devrait, sans surprise, se désendetter bien plus rapidement que prévu, à un rythme presque jamais vu. Là où il affichait un déficit de 3,4 milliards d’euros en 2017, il retournerait l’équilibre « au second semestre 2020, soit quelques mois plus tôt qu’en l’absence de réforme », et serait bénéficiaire de 5,25 milliards en 2022. Soit un excédent supérieur de 2,1 milliards à ce qui était prévu initialement…

Face à ce constat imparable, le gouvernement présente une parade plutôt faible. Il assure que les prévisions de l’Unédic sont peu pertinentes, car il faut prendre en compte les « effets de comportement » de la réforme, puisqu’elle va, assure-t-il, pousser les chômeurs à reprendre le travail plus vite. « Il y aura des effets de comportement, convient Pierre Cavard. Mais ces effets sont progressifs et assez lents, et il n’y a pas de consensus sur leur ampleur ou sur la qualité de l’emploi qui sera retrouvé. » Au contraire, l’Unédic incite à « prendre en compte l’effet report vers d’autres dispositifs (prime d’activité, RSA) », jusqu’ici ignoré par l’exécutif.

https://www.mediapart.fr/journal/economie/250919/reforme-du-chomage-l-unedic-chiffre-les-degats-les-syndicats-attaquent?page_article=2

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