Les 19 septembre et 24 octobre, les travailleurs de Viome à Thessalonique tenteront une nouvelle fois d’empêcher la vente aux enchères de leur usine. Cet été, Makis et Vasilis, l’un ouvrier, l’autre membre du collectif de soutien d’Athènes à l’usine autogérée, ont répondu à nos questions.
Déclarée en faillite en 2011, l’usine Viome est d’abord occupée pendant
un an par ses travailleurs qui réclament le paiement de leurs salaires.
En 2012, les salariés redémarrent l’activité à leur compte et remplacent
la production de colles pour carrelage par la fabrication de savons et
lessives écologiques. Depuis plus de six ans, une vingtaine de
travailleurs gèrent collectivement l’entreprise et se battent contre la
vente aux enchères du site.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi votre usine est régulièrement mise aux enchères ?
Makis : Le terrain où se trouve l’usine appartenait à l’entreprise Filkeram & Johnson, la maison mère de Viome. Du fait de la faillite de l’entreprise, il sera vendu aux enchères afin de régler les dettes envers les fournisseurs. Mais nous ne toucherons rien alors que l’entreprise a aussi énormément de dettes envers nous. Nous occupons 1/5 du terrain correspondant à l’espace qu’occupait l’ancienne filiale. Nous produisons les produits que vous connaissez et résistons en même temps à la vente aux enchères de ce 1/5 de terrain où nous nous trouvons.
Vasilis : Les enchères consistent en une tentative de cession/vente des biens immobiliers de la société mère – Filkeram & Johnson – ainsi que de l’immobilier de la coopérative. Cela risque ainsi d’entraver le fonctionnement et l’expérimentation de l’autogestion à l’usine Viome. Il s’agit d’une procédure légale qui permet aux créanciers/débiteurs de l’entreprise en faillite de réclamer leurs prêts par la vente de biens mobiliers et immobiliers.
Comment êtes-vous parvenus à les empêcher jusqu’à présent ?
Makis : En assurant une forte présence dans les tribunaux afin d’empêcher la venue d’acheteurs potentiels. Parallèlement, nous avançons notre proposition auprès des ministères concernés : nous demandons la légalisation du fonctionnement de l’usine en nous rendant le terrain, qui est de toute façon retenu par l’État à cause des impayés de Filkeram & Johnson sur la TVA.
Vasilis : Ayant comme objectif stratégique de continuer la production de cette usine occupée, l’assemblée des travailleurs et le mouvement de solidarité qui la soutient sont constamment en alerte et en lutte. Nous avons réussi jusqu’à présent à rendre les enchères infructueuses. Nos principaux moyens pour empêcher la vente sont les appels à des résolutions solidaires de la part des syndicats et des collectifs, des campagnes d’information sur internet et dans des espaces sociaux très fréquentés, des piquets dans des ministères ou d’autres institutions concernées. À cela s’ajoute notre présence massive lors des ventes aux enchères aux tribunaux de Thessalonique et au ministère du Travail à Athènes.
Quand est-ce que sont les prochaines enchères, et quels en sont les enjeux ?
Makis : Prochainement, il y a deux séances de vente aux enchères en septembre et en octobre. Vu que le prix du terrain a beaucoup baissé, il y a un risque qu’un acheteur potentiel tente de nous expulser. Plus le prix de vente baisse plus les investisseurs capitalistes s’y intéressent.
Vasilis : La chute des prix de l’immobilier – 30 millions d’euros lors de la première vente aux enchères contre 10 millions aujourd’hui – finit par inciter de façon importante les acheteurs potentiels. Compte tenu du soutien de l’État et des gouvernements aux investisseurs privés, de leur hostilité à l’égard du caractère social et ouvrier de l’autogestion, mais aussi du message émancipateur de la reprise d’unités de production en faillite par les travailleurs, le danger est de plus en plus grand. Les 19 septembre et 24 octobre 2019 se dérouleront la suite des trois enchères stériles du 4e tour/cycle qui ont eu lieu les 13, 20 et 27 juin 2019.
Comment s’organise la solidarité ?
Vasilis : L’Assemblée des travailleurs de Viome participera avec les syndicats de classe (syndicats de base) à la grande manifestation au moment de la 84e Foire internationale de Thessalonique. Chaque année, le Premier ministre y annonce de nouvelles mesures, généralement anti-ouvrières et antisociales, en vue de la présentation du prochain budget. Viome y lancera un nouvel appel au soutien. Également, le deuxième festival Coopenair a lieu à l’usine Viome les 11, 12 et 13 octobre. Il est coorganisé par des coopératives de travail radicales venant des différentes régions de la Grèce. Discuter de la diffusion et de l’extension du travail en coopérative avec nos compagnons permettra de revoir notre stratégie et de décider de nos actions en cours pour que l’usine reste aux mains des employés.
L’activité a été relancée il y a six ans avec une nouvelle production sous le contrôle des ouvriers. Ne pouvez-vous pas reprendre la propriété de l’usine ?
Makis : Non. À la suite d’une décision de justice, le terrain est considéré comme une seule unité. Il est interdit d’en vendre une seule partie, donc le 1/5 où nous nous trouvons. Seul l’ensemble des 150 000 m2 peuvent être vendus, mais le prix reste trop élevé pour nous.
Vasilis : Les travailleurs de la coopérative Viome restent au sein de l’usine avec une demande politique principale : « les usines et la gestion de la richesse aux mains de ceux qui produisent ». Nos positions sont connues et nous codécidons avec la société en lutte et le mouvement de solidarité qui nous entoure. Dans ce contexte, nous avons déposé une proposition visant à réclamer les parcelles appartenant à Viome et leur concession pour un loyer symbolique, en contrepartie des dettes contractées par la sécurité sociale et les impôts de la sécurité sociale. Sachant que le pouvoir et ses agents sont hostiles à l’expérience Viome et que tout est une question de rapport de force, nous ne réussirons que dans la mesure où le mouvement antagoniste large et la solidarité de classe se renforceront.
Est-ce que le retour de la droite au pouvoir change quelque chose pour Viome ?
Makis : Oui, le risque de répression est plus élevé à cause de la connivence qui existe entre le nouveau gouvernement et une partie de l’extrême droite.
Vasilis : Syriza en tant qu’opposition avait utilisé et manipulé les luttes des mouvements sociaux pour accéder au pouvoir et gouverner le pays pendant cinq ans. Viome incluse. Alexis Tsipras était venu à l’usine annoncer une solution pour les unités de production en faillite, abandonnées par les patrons pendant la crise. Son choix de gérer la crise systémique dans le cadre des politiques néolibérales a fait de lui, non seulement un gestionnaire de la situation antérieure, mais également un homme lâche qui n’a pas osé geler les parcelles de Viome contre ses anciens propriétaires qui doivent de l’argent à l’État. Ce choix a également eu pour effet d’éloigner les soutiens de Syriza de la réelle solidarité avec la lutte des travailleurs.
La politique du nouveau gouvernement, telle qu’elle est formulée dans son programme, sera un mélange de néolibéralisme extrême, de privatisations pour le grand capital et les élites, avec en parallèle des attaques contre les droits sociaux et les conquêtes restantes du mouvement ouvrier. En ce sens, la question de Viome rentre dans le cadre de ces choix. C’est pourquoi, comme nous l’avons toujours souligné, le problème de Viome est relatif à la question sociale dans son ensemble. Et sa solution contribue aux luttes sociales.
Comment est-il possible d’aider Viome en dehors de la Grèce ?
Makis : Une des possibilités serait de mettre la pression au gouvernement grec pour trouver une solution rapide aux problèmes de Viome. Par exemple, bombarder de courriers les ambassades grecques ou les ministères concernés, celui du Travail, de l’Économie et du Développement. Il est aussi aidant d’avoir l’appui de quelques parlementaires. Enfin en soutenant Viome par l’achat de ses produits dans votre ville.
Vasilis : Au-delà de la promotion de la solidarité politique et de la sensibilisation du public européen au sujet de Viome, notre réelle force réside dans nos propres produits. Il s’agit de nettoyants naturels et écologiques de haute qualité, distribués aujourd’hui dans plusieurs villes européennes par le biais de réseaux de solidarité et d’espaces de coopération. L’aide des médias alternatifs à cet égard est pour nous bienvenue et plus que jamais nécessaire.
Interview et traduction réalisées par Kostas, un militant libertaire grec vivant en France.
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