37, 38, 39… et ça ira !

Article mis en ligne le 7 août 2019
par F.G.

■ Il ne s’agit même plus de « tenir » ; ça tient tout seul. Dans une véhémence où la joie d’être ensemble fait déjà vacance et joie commune d’avoir tant duré et de durer encore et encore. Car ce mouvement des Gilets jaunes dure dans la tenace conviction que, seul maître de son temps, il fait histoire, histoire de pauvres en guerre contre le pouvoir, contre la terreur qu’il organise, contre le mensonge qui le structure, mais aussi contre son… évanescence. Car tout indique que la Macronie terminera mal. Les « têtus » en jaune n’ont, en effet, rien à perdre puisqu’ils ont déjà tout perdu du contrôle de leur vie et que la survie chaque fois diminuée que leur imposent les maîtres, ils n’en veulent plus. Il ne leur reste donc que la rage au cœur et cette remarquable pertinence dans la constance.

Le texte que nous reproduisons ici émane des Gilets jaunes parisiens de la place des Fêtes. Il dit assez, au samedi 27 juillet de cet été, ce qui ne faiblissait pas. Et c’est là, comme une noria jaune sans fin exprimant un refus obstiné de plier. Ça s’est poursuivi le 3 août, ça recommence le 10, ça se maintiendra les samedis suivants. Jusqu’à la rentrée et après. En clair, ça va… et ça ira ! – À contretemps.


Le 27 juillet, les Gilets jaunes ont marché, partout en France, pour leur 37e samedi de mobilisation.

37… Il y a là quelque chose d’inouï. Pourquoi se mobiliser encore après 37 samedis ? Certains disent qu’on n’y « gagnera » rien. Ils regrettent que l’on s’épuise dans ces éternelles manifestations, appellent à d’autres formes d’action, à hausser le ton, à se structurer, à se refonder, à se réinventer. En bref à changer à tout prix.

Pourtant, loin d’acter un échec, ces 37 samedis sont un véritable tour de force. C’est un accomplissement, et quelque chose dont nous pouvons être fiers. En plein cœur de l’été, nous étions un petit millier à Paris, à défiler tout l’après-midi. Le cortège était étonnamment optimiste, comme habité par la stupéfaction (et la joie) d’exister encore.

Ce samedi, on pouvait lire de la surprise sur les visages des passants. Leurs yeux s’écarquillaient à notre passage. « Quoi, mais bon sang, les Gilets jaunes existent encore ? Ce n’est pas fini toute cette histoire ? »

Eh bien non, ce n’est pas fini. Et c’est précisément ce que veulent dire nos samedis. Que ça ne finira pas.

« Des fidèles à la grand-messe » titrait il y a quelques semaines à notre sujet un journal régional, avec un mépris infini.

« À la rencontre des derniers Gilets jaunes », titrait Libération il y a quelques jours, mandatant pour l’occasion ses envoyés spéciaux à travers les ronds-points comme on enverrait des anthropologues dans des réserves indiennes. Sous la plume du rédacteur, les Gilets jaunes interviewés n’étaient plus des hommes, mais des « bonshommes ».

Le système en place veut que l’on disparaisse. Il désire avec acharnement, depuis le 17 novembre, nous éradiquer. « Alors, c’est pour quand ? » demande-t-il régulièrement. « Il est l’heure de cesser la plaisanterie », clame-t-il. Retour au boulot, retour au monde réel, ou dans la novlangue macronienne, retour à « l’apaisement ». On veut nous fossiliser, nous reléguer aux livres d’histoire, et puisqu’il est impossible de nous nier totalement, on cherche depuis le premier jour à faire de nous de l’histoire ancienne.

– Quoi, mais bon sang, les Gilets jaunes existent encore ? »
– Mais oui, ma petite dame ! Mais oui mon bon monsieur. Ils existent encore. Ils sont là en chair et en os, en bas de chez vous. Et ils chantent, tout de jaune vêtus.

Nous ne sommes pas le dernier village gaulois, ou d’anciens combattants nostalgiques de leurs faits de gloire, comme les voix du système tentent de le faire croire.

37 samedis. Nos têtes se régénèrent à mesure qu’on les tranche. (Il paraît que l’hydre de Lerne est devenue Gilet jaune.)

37 samedis. Phénix des insurrections, nous renaissons de nos cendres.

37 samedis. Que tous les chiens de garde du système s’en donnent à cœur joie, qu’ils sortent l’artillerie lourde. Ils n’y pourront rien. Quelque chose couve et continuera de couver. Quand le feu est dans le vieux bois, on ne peut plus l’éteindre.

37. Nous sommes et resterons le cauchemar des partisans de l’ordre (qui sont, toujours, les partisans de l’ordre établi).

37. Nous sommes une mauvaise herbe coriace aux racines invisibles qui repousse, deux fois plus rigide, chaque fois qu’on essaye de l’arracher.

Pourquoi, donc, continuer à manifester ? Parce que, d’ores et déjà, nos samedis sont des jours émancipés et arrachés à la monotonie des semaines. Ils ont une couleur et une odeur spéciales, faites d’adrénaline et d’excitation. Ils nous permettent de nous souvenir de notre combat, de constater ensemble dans les cortèges que notre détermination est intacte. En ce sens, ils ont bien quelque chose de rituel. Comme une grand-messe révolutionnaire.

37. 37. 37. Nous sommes une cargaison d’explosifs oubliée dans un vieux hangar en bois sec, un été de sécheresse.

Nous sommes les braises sur lesquelles vous soufflez à chaque nouveau scandale, à chaque coupe budgétaire, à chaque bavure policière. Gilets jaunes d’hiver ; Gilets jaunes d’été. L’automne arrive, nous revenons intacts, la fleur au transpalette.

Les Gilets jaunes se déclarent en état de révolte permanent. Nous prouvons chaque samedi que notre mouvement n’est pas éphémère. Nous ne rentrerons pas chez nous. Les manifestations du samedi sont une façon d’acter symboliquement qu’il n’y a pas de retour en arrière possible. Que tôt ou tard, l’embrasement viendra. Tant que cette société n’aura pas sombré, des Gilets jaunes défileront. Nous conservons vivante à tout moment l’étincelle d’insurrection qui allumera la première mèche.

Car nous sommes un signe avant-coureur. Ce qui passe sous vos fenêtres encadrées par des fourgons de CRS hurlant « Macron démission ! » n’est pas un cortège. C’est une prophétie. L’annonce d’un grand bouleversement.

Samedi, le doyen du cortège avait 74 ans. C’est un monsieur qui bat le pavé depuis décembre, toujours armé de son mégaphone, dans lequel il hurle sans relâche : « Macron en prison ». Le plus jeune était un collégien de 13 ans, tombé par hasard sur une manifestation à la fin du mois de novembre, alors qu’il faisait de la trottinette en direction des Champs. Les Gilets jaunes sont devenus sa seconde famille.

Il y avait des gens issus de toutes les franges de la société, de tous les mondes – tout sauf des cadres dynamiques. Nous sommes une foule hétéroclite, qui rassemble ceux que rien ne paraissait devoir rassembler. Nulle part dans la société française, il n’existe un mélange de populations aussi abouti. Bêtes noires des différents « experts », sur lesquels ils ont toujours plusieurs temps d’avance, les Gilets jaunes ne peuvent être enfermés dans aucune catégorie. La foule est si diverse, si inclassable, qu’elle en paraît étrange, voire suspecte.

« Mais qui sont ces gens ? » se demande le badaud. Il y a des énervés et des idéalistes, beaucoup de gens qui ont souffert. Notre seul trait commun : la soif de justice. Bientôt, vous aurez beau le vouloir, vous n’arriverez plus à nous mépriser.

Cela fait 37 samedis. Et pourquoi pas bien davantage ? Il n’y aurait rien de ridicule à ce que les Gilets jaunes défilent pour leur 200e week-end. Si c’est ce qui est nécessaire pour que le système implose, nous le ferons.

« Travaille, consomme et ferme ta gueule ! » Telle est la formule magique résumant notre société. Ils veulent des citoyens qui se tiennent sages… Mais les Gilets jaunes refusent d’obéir à cette injonction. Ils savent qu’ils vivent dans un monde qui ne peut plus durer. Nous ne luttons pas seulement pour quelques euros sur notre fiche de paye, nous luttons contre un système qui est en train de détruire notre planète.

On ne reste pas chez soi quand sa maison brûle.

La rentrée s’annonce brûlante. Sous le mot d’ordre : « Fin du monde, fin du mois. Mêmes coupables, même combat », la date du samedi 21 septembre s’impose d’ores et déjà comme un nouveau temps fort. Espérons qu’il y aura partout de grandes manifestations à l’occasion de ce 45e samedi.

37. Oui, nous passerons l’été. Cela ne fait plus l’ombre d’un doute. Et si ce 37e samedi avait une signification spéciale, c’est bien celle de proclamer encore une fois que quelque chose d’insubmersible est né.

Soyons fiers de ce que nous sommes !

Les Gilets jaunes de la place des Fêtes (Paris)

http://acontretemps.org/spip.php?article730

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