26 mai 2019 Par Caroline Coq-Chodorge
Deux cents personnels soignants se sont retrouvés, le 25 mai, à la Bourse du travail à Paris, pour parler de leur mouvement de grève qui s’étend, dans l’indifférence du gouvernement. Une manifestation nationale est prévue à Paris le 6 juin. Les médecins appellent à leur tour à un débrayage.
C’est une grève qui s’étend à bas bruit, dans l’indifférence du gouvernement. Le mouvement a débuté le 18 mars aux urgences de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris. Il avance résolument, gagnant d’abord les vingt-deux des vingt-cinq services de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), puis le reste de la France. Soixante-cinq services d’urgence ont aujourd’hui rejoint l’appel du collectif inter-urgences, et 61 services sont en réflexion sur les 500 services d’urgence des hôpitaux publics.
C’est déjà un accomplissement : une grève longue, tenue par des soignants de terrain, la plupart des grévistes étant réquisitionnés pour assurer la continuité des soins. Mais cette grève n’a pas encore fait suffisamment parler d’elle : en plus de deux mois, la ministre de la santé Agnès Buzyn est parvenue à l’ignorer. « Ce n’est pas lié aux conditions de travail », a-t-elle déclaré contre toute évidence.
Devant l’hôpital Saint-Antoine. © DR Pour donner une nouvelle ampleur au mouvement social, deux cents infirmières et infirmiers, aides-soignantes et aides-soignants, venus de toute la France, se sont réunis samedi 25 mai, à la Bourse du travail à Paris. L’assemblée générale a débuté par les témoignages des différents services. Ils se ressemblent, apportant tous le même écho d’un système de santé au bord de la rupture.
À Toulouse, aux urgences de l’hôpital Purpan, la grève est partie du décès d’un patient d’un arrêt cardiaque, « dans des conditions indécentes », fustige l’infirmière Julie Tirello : sur un brancard, dans un couloir, hors de la vigilance d’un seul infirmier dépassé par l’afflux des patients. « La direction minimise, pour elle c’est un simple incident. Elle nous infantilise, nous ridiculise. On a manifesté devant l’Agence régionale de santé, on a été gazés. Mais on continuera à se battre pour la qualité, la décence, la dignité. »
À Aix-en-Provence, les soignants décrivent des locaux « conçus pour 90 patients par jour, mais qui en accueillent jusqu’à 200. Nos boxes, tout petits et sans fenêtres, sont prévus pour accueillir un patient, mais on trouve de la place pour deux, dans les odeurs, l’absence d’intimité. Notre matériel n’est pas entretenu. On a récemment reçu de nouveaux brancards, mais sans scratch. On les appelle les toboggans : on ramasse les patients qui ont glissé toute la journée. » À Angers, jeudi dernier, « on a encore joué à Tetris avec les brancards. On a entassé les patients dans les couloirs de bureaux administratifs, sans surveillance ».
Tous racontent le turn over ahurissant des soignants et leur précarisation. « Je suis aux urgences depuis trois ans, raconte l’infirmière toulousaine Julie Tirello. J’ai vu 80 % du service partir, je suis déjà une ancienne. Pourtant, je viens tout juste d’être prise comme stagiaire. » Pour elle, les CDD à répétition sont enfin terminés : elle commence le stage d’un an qui doit la conduire à une titularisation dans la fonction publique hospitalière.
La ministre de la santé Agnès Buzyn. © Reuters Presque tous ces services ont éprouvé les limites d’une grève isolée qui conduit, au mieux, à quelques renforts d’effectifs, toujours pris sur les autres services de l’hôpital. Les urgences de Lille ont ainsi connu ces dernières années « trois mouvements de grève : un premier de médecins, qui se sont fait balader de comités Théodule en groupes de travail, et qui n’ont rien obtenu ; deux autres, très difficiles, où la direction est allée jusqu’à porter plainte au pénal contre deux syndicalistes. On ne peut pas s’en sortir si on reste dans son coin », prévient l’infirmier Vincent Porteous. En 2018, un mouvement de grève a secoué les Hospices civils de Lyon pendant quatre mois, sans succès. « On se croyait trop fatigués, mais on est repartis, dit Anna. Ce collectif est important. Il faut témoigner, témoigner, témoigner. Et pointer la responsabilité du ministère. Tant qu’on ne leur fait pas peur… »
Les trois syndicats qui soutiennent le mouvement – Sud, la CGT et FO – étaient représentés, mais peu nombreux. Le collectif de paramédicaux veut rester une émanation du terrain, accepte les soutiens et les conseils du syndicat, mais fait ses propres choix. Ils appellent à une manifestation nationale mercredi 6 juin, et se sont constitués en comité national pour pouvoir entrer officiellement dans des négociations avec le ministère de la santé.
Ils ont adopté une motion qui rappelle les trois revendications du mouvement, immuables depuis le début. Tout d’abord, la « réouverture des lits » d’hospitalisation. Car si tous font le constat de l’augmentation de la fréquentation des urgences, de 5 à 10 % par an, c’est en aval des urgences que cela coince : les patients s’y entassent faute de possibilités d’hospitalisation dans les services. Tous les hôpitaux sont engagés dans un mouvement sans précédent de fermeture de lits, dans le but d’atteindre un taux d’occupation optimal et absurde, car incompatible avec une activité aussi aléatoire.
Les soignants de Saint-Nazaire affirment être à « 98 % d’occupation des lits à Saint-Nazaire, dans un hôpital construit il y a sept ans en partenariat public-privé, déjà obsolète ». La deuxième revendication porte sur les effectifs : le collectif souhaite des renforts à la hauteur des besoins identifiés dans chaque service. Et il pose comme objectif d’atteindre les recommandations du syndicat Samu-Urgences de France. Dans les vingt-cinq services d’urgence de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, il manque 700 postes pour atteindre ce référentiel. Enfin, les urgentistes réclament une augmentation salariale mensuelle de 300 euros.
Est-ce que ces revendications doivent s’étendre à l’ensemble de l’hôpital public ? C’est la position des organisations syndicales, qui appellent à la grève au niveau national, sans grand écho jusqu’ici.
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L’élargissement du mouvement viendra peut-être des médecins aux urgences. Dans plusieurs services, ils ont rejoint le mouvement, comme à Saint-Nazaire : « Certaines soirées, on a 140 patients aux urgences, pour quatre médecins, cela me donne le vertige », témoigne Florian Vivrel, médecin qui partage son activité entre les urgences de Nantes et de Saint-Nazaire. « Pour notre chef de service, qui bataille depuis des mois avec la direction, la grève est la seule manière de sauver le service. »
Mardi dernier, le syndicat médical majoritaire aux urgences, Samu-Urgences de France, a pris acte à son tour, dans un communiqué à l’intention de la ministre de la santé, du « point de rupture jamais atteint par les urgences », de la « saturation des personnels qui n’acceptent plus de travailler dans des conditions désormais incompatibles avec la qualité et la sécurité des soins ». Le syndicat appelle mardi 28 mai à midi à un arrêt de travail pendant cinq minutes.
« C’est symbolique, confirme son président François Braun. Mais travailler avec “en grève” sur sa blouse est aussi tout aussi symbolique. C’est sans doute ridicule par rapport à l’ampleur des difficultés. L’autre option est de renvoyer tous les patients qui ne relèvent pas des urgences vers la ville. C’est une prise de risque importante. Mais il se passe quelque chose : depuis le début de l’année 2019, on a reçu plus de signalements de burn out que sur toute l’année 2018. J’espère que la ministre entend, il faut qu’elle écoute. » https://www.mediapart.fr/journal/france/260519/aux-urgences-la-greve-s-etend-pour-la-decence-et-la-dignite
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