vendredi 2 novembre 2018, par
TEMPETE TROPICALE : NOTES RAPIDES SUR LA VICTOIRE DE BOLSONARO AU BRESIL
Jair Bolsonaro, le président qui vient d’être élu au Brésil, est un monstre issu de la crise. Pour la bourgeoisie brésilienne et en particulier les grands propriétaires terriens, il s’agit de maintenir quoi qu’il en coûte les profits. Alors elle a plébiscité un candidat qui revendique haut et fort l’utilisation de méthodes terroristes pour gouverner. Le Brésil n’est pas une exception de ce point de vue, il représente plutôt l’avant garde d’un mouvement mondial. La bourgeoisie n’a plus rien à lâcher.
En nous penchant sur l’économie du Brésil depuis le début des années 2000 nous pouvons avancer les deux temps de la tragédie. Il s’agit de notes, prises a chaud, pas d’une analyse synthétique.
1. Quand le soja va tout va… (du début des années 2000 jusqu’en 2013)
L’économie Brésilienne, au cours des décennies 90/2000 s’est recentrée sur la production de matières premières, au détriment de la production industrielle qui a décru. La part de l’industrie dans le PIB est ainsi passée de 48% en 1984 à 24% en 2009 . C’est un pays exportateur de soja, de bœuf, de sucre…
Ces monocultures sont produites sur des territoires immenses par des millions de travailleurs agricoles, au service d’une infime minorité de grands propriétaires. Quelques chiffres : 15 000 personnes possèdent seules près de cent millions d’hectares. Les petits propriétaires (qui possèdent moins de 100 hectares), représentent 4,5 millions de personnes pour 70 millions d’hectares.
Comme toujours, qui dit monoculture dit mort de l’agriculture vivrière. Cela veut dire que la faim [1] est toujours là. Elle guette à la porte, au moindre éternuement du prix des matières premières répercuté sur les salaires des travailleurs agricoles, c’est à dire des paysans sans terre. Car la terre sert à fabriquer du sucre, du soja, qui part pour l’export, de l’éthanol pour donner à manger aux voitures ( 80 % du parc automobile du Brésil fonctionnait en 2011 avec l’éthanol)… Pas à nourrir une population qui paie cher ses haricots, ses quelques produits de bases qui la nourrit jour après jour, et mal. La famine de l’Irlande du XIXe siècle n’est pas si loin.
Dans la période 2002-2010, le prix des matières premières était historiquement haut. La production agricole brésilienne a bondi, et avec elle le besoin de main d’œuvre : plus de bras, plus de chocolat.
La demande de main d’œuvre plus la hausse des prix de vente plus les luttes des travailleurs agricoles a produit une élévation importante du salaire minimum dans ces secteurs, mais cela ne dérangeait pas trop les grands propriétaires qui faisaient d’immenses profits.
Surtout que le PT au pouvoir s’est bien gardé de mettre en œuvre la réforme agraire qu’il avait promis. Tout au plus a t-il parfois moins réprimé les mouvements de sans terre. Et encore, cela n’est pas vrai pour la présidence de Dilma Roussef, la présidente qui aura le moins légalisé d’occupations.
L’argent tiré de la terre par les paysans, et donc gagné par les grands propriétaire, ceux-ci l’ont notamment investis dans des obligations d’état, avec des intérêts faramineux, autour de 9 %. Le gouvernement PT a utilisé l’argent de ces emprunts pour rembourser par avance le FMI. Il s’agissait bien sur de symbole, mais cela lui a permis de communiquer sur la « fin de la dette »… Loin bien loin des réalité d’un budget de l’état ou le service de la dette était le premier poste de dépense avec 35 % du total en 2009, et en nette augmentation depuis.
LA HAUSSE MASSIVE DES MATIERES PREMIERES A AINSI PRODUIT UN CERTAIN BOOM ECONOMIQUE PROVISOIRE.
Les programmes sociaux mis en œuvre par le PT et financé -modestement- par la hausse des matières premières et l’emprunt, sont restés très limités. Mais ils ont permis a un certain nombre de familles très pauvres de scolariser leurs enfants, de manger un peu mieux. Cela, plus l’élévation du salaire minimum sous Lula ( bien qu’il n’y ai que peu contribué directement) a énormément joué dans le soutien du Nordeste ( nord est du Brésil, producteur de canne à sucre ) au PT depuis 2006 et la réélection de Lula. Le voici, le visage de la « gauche sud-américaine ». Ce fameux modèle pour les partis comme la France Insoumise ou Podemos : quelques miettes lancées aux plus pauvres pour acheter la paix sociale et cela uniquement quand la bourgeoisie le lui permet. Surtout, légalisme et désarmement des prolétaires, ce qui les livres pieds et poings liés à l’abattoir. Car ne l’oublions pas : le PT est arrivé au pouvoir porté par un vaste mouvement, ouvrier et paysans. Ce mouvement, il l’a « canalisé ». C’est un euphémisme pour dire qu’il a acheté une partie des dirigeants, réprimé les luttes, en ne lâchant que le minimum.
C’est tout le modèle néo-développementiste qu’on retrouve dans de nombreux pays exportateurs qui s’effondre. Il nous faudra revenir sur cet effondrement, tant ce modèle sert de base aux partis dits « populiste de gauche » en Europe. (Voir à ce sujet notre article » Avis de tempête ».)
En dernier recours, il est assez ironique de constater que le légalisme républicain des partis de la gauche est aussi bête aujourd’hui qu’il l’était il y a 170 ans. On relira avec intérêt le « 18 brumaire » de Marx. La bourgeoisie, encore et comme toujours, choisi le camp de l’ordre. Bien sûr, certains secteurs de la bourgeoisie veulent un développement du pays. Ils sont gênés par la politique monétaire au service des rentiers, avec ses taux d’intérêts énormes. Mais l’enjeu du maintien de l’ordre social va bien au delà : la classe bourgeoise nous montre toujours l’exemple de son union dans l’adversité.
2.La chute des cours des matières premières fait sortir le loup du bois. (a partir de 2014)
A partir de 2014, l’économie Brésilienne s’effondre, emporté par la chute du cours des matières premières qu’elle exporte. Quelles sont les solutions, pour un propriétaire terrien, lorsqu’il vend moins cher sa marchandise ?
Réponse : réduire ses coûts, augmenter ses volumes de production. Parmi les coûts réductibles, il y a en premier lieu les salaires. C’est donc la vieille rengaine de la baisse des salaires, de l’augmentation des quotas de travail à la pièce, de la faim. Pour augmenter les volumes de la production, des bandes armées au service des grands propriétaires spolient les petits propriétaires ; assassine les paysans ; réprime dans le sang les sans terres pour récupérer le plus de parcelles possible. Et on déboise a tout va ; massacre les indiens.
Mais une autre conséquence de la crise, c’est la chute des recettes de l’état. Nous écrivions plus haut que le premier poste de dépense c’est la dette. Pour continuer à payer celle ci (notamment les emprunts souscrits a ces mêmes grands propriétaires de l’agro-business) il faut bien rogner sur le reste : les aides sociales. Et puis comme toujours lorsque l’argent ne coule plus a flot, les affaires de corruption s’amoncellent. Tant qu’il y avait du gâteau, il y a avait des miettes pour qui découpait les part. Aujourd’hui « finito la rigolada » !
Alors on crie au scandale, on met en taule les dirigeants, enfin, surtout ceux qui sont opposés aux politiques d’austérité. Et on se met au boulot… Le gouvernement Temer, limoge par un « coup d’état légal » une présidente pas plus corrompue qu’eux même et s’y attelle avec ardeur. Il impose une loi travail qui, comme en France, privilégie les accords à l’échelle de l’entreprise, plafonne « pour 20 ans » la dépense publique, ou encore « assouplit » la loi contre l’esclavage, en rendant possible le paiement en nature (!) Mais il bute sur l’opposition à la réforme des retraites, qui conduit à la grève générale. Les retraites, c’est 25 % du budget de l’état. Le deuxième poste de dépense après la dette. Suivez mon regard… Le gouvernement Temer, historiquement impopulaire, n’est pas en mesure d’aller au bout des attaques contre les ouvriers et les paysans.
L’arrivée du « messie ».
Arrivent les élections. Un candidat, au demeurant médiocre et grossier, éternel représentant du lobby militaire, remarqué pour ses discours racistes, sexistes et pro-dictature, propose à la fois :
L’impunité pour la police ( qui rappelons le, a tué [2] 5144 personnes en 2017, soit cent personnes par semaine et on dénombre 12 686 morts depuis 2015.)
La poursuite et l’intensification de l’offensive contre les paysans qui font déjà l’objet d’attaques massives de bandes armées au service des grands propriétaires (plusieurs tueries de masses en 2017 )
Le démantèlement sur des bases libérales de l’état « social » théorisé par son nouveau bras droit en économie, un « Chicago boy » qui veut s’attaquer en priorité… au système de retraite, et privatiser à tout va pour payer la dette.
En somme le programme intégral de la grande bourgeoisie ! Bien sûr, il a été conseillé, guidé, etc. Ainsi, par exemple, lui qui avait toujours voté contre les privatisations, le voilà qui s’allie avec un économiste néo-libéral…
Il va peu à peu cristalliser tous les espoirs du « parti de l’ordre »… qui en retour le finance, le soutient, utilise pour cela tous ses relais, religieux, médiatiques ( comme Record TV, la chaine évangéliste tenue par le milliardaire Edir Macedo, etc). C’est une force de frappe idéologique énorme, qui, sur un temps très réduit, aura permis de créer un bloc d’adhésion. Gageons toutefois que celui-ci sera de courte durée, tant le pouvoir de Bolsonaro n’a rien à proposer sauf des coups.
Bien sûr, il y aurait à dire sur la constitution de ce bloc idéologique. Nous n’avons pas encore le recul nécessaire pour cela, bien que nous puissions déjà émettre quelques idées. Par exemple, le poids des églises évangéliques n’est pas étonnant, tant l’idéologie pro-capitaliste des évangélistes, très « esprit du capitalisme » s’adapte bien à la défense d’un ordre social ou la seule solidarité possible c’est la famille ( et quelle solidarité… basée, comme toute communauté capitaliste, sur la subordination et l’exclusion) .
Les grosses ficelles du parti de l’ordre sont toujours les mêmes. Malgré les outrances qui font s’indigner les journalistes et vendre du papier et du clic, rien de nouveau sous le soleil du capital : triptyque église/famille/patrie et le travail jamais loin. Si, tout de même, le niveau de violence verbale est en effet du même ordre qu’Hitler en son temps. Susciter le scandale pour se faire connaitre… (A réfléchir aussi, la manière dont les propos violents, voire d’appel au meurtre sont enrobées d’humour noir et de sarcasmes. Cela n’est pas sans rappeler la façon de faire d’un Beppe Grillo ou d’un Dieudonné.)
Aujourd’hui élu, Bolsonaro représente une grande bourgeoisie qui n’a plus que la violence nue pour défendre sa position sociale.
La déclaration d’intensification guerre sociale, très bien incarné par un personnage qui mime tenir une mitraillette en meeting, ne s’accompagne d’aucune perspective de relance. Pénurie de carotte et pléthore de bâtons. Le prolétariat, les paysans, se laisseront-ils massacrer sans réagir ?
Ce qui est prévisible, c’est la misère, la faim, la répression et la mort : le visage du pouvoir bourgeois. Plus que jamais, nous nous situons du côté de l’imprévu.
L’ordre règne au Brésil. Mais pour combien de temps ? Ses fondations sont friables. Un pouvoir ne tient pas indéfiniment en ne s’adossant qu’à la répression. Ainsi, utiliser l’armée pour maintenir l’ordre, cela s’appelle vite la guerre civile. Et faire la guerre contre sa population, cela ne tourne pas toujours au bénéfice du pouvoir. (Depuis plusieurs mois, l’armée est déjà dans Rio gageons que la perspective d’envoyer l’armée dans toutes les grandes villes, s’il elle peut être effrayante pour nous, n’est pas non plus quelque chose qui enchante les militaires. D’autant que les officiers Brésiliens, formés aux théories contre-insurrectionnelles, savent bien que déclarer une guerre à la population avec la mitraillette dans la main droite sans lui fournir de la main gauche quelques infrastructures et a manger, c’est la défaite quasi-assurée. A noter d’ailleurs à ce sujet que le « mentor » de Bolsonaro, Augusto Heleno Ribeiro Pereira, était le premier commandant en chef de la mission de l’ONU en Haïti… sur ordre de Lula. Cette intervention de l’armée brésilienne en Haiti depuis 2004 constitue le laboratoire des méthodes actuelles de guerre contre la population des favelas. Et cela aussi est a mettre au bilan du PT ).
La période qui s’ouvre est nouvelle. Elle est dure. Le mouvement ouvrier traditionnel n’est plus. Les partis révolutionnaires n’existent plus. Est-ce que pour autant notre classe ne se lèvera pas ? Au contraire. Les capitalistes ont laminés, achetés ou écrasés, l’ensemble des organisations qui servaient de médiations entre les exploités et les exploiteurs… En ces heures ou le Brésil s’enfonce dans la répression, nous persistons à penser que la révolution communiste au Brésil sera à l’ordre du jour de demain.
Finissons par une citation de Gramsci :
« En politique, le siège est réciproque, malgré toutes les apparences, et le seul fait que celui qui domine doive faire étalage de toutes ses ressources, montre combien il prend son adversaire au sérieux. »
Notes :
1 On ne peut que conseiller l’excellent livre de Robert Linhart, Le Sucre et la faim, Enquête dans les régions sucrières du Nord-Est brésilien.
2 Quand on parle de cent morts par semaine, près de 14 morts par jour, cela représente… Le nombre de morts tués par la police en France par an ( selon les chiffres qu’elle donne, mais nous parlons donc de logique équivalente, puisque nous nous appuyons aussi là dessus au Brésil). Selon l’ONG Forum brésilien de sécurité publique. Sur les trois dernières années, l’augmentation est régulière, plus de 20 % par an. Mais ce ne sont que des chiffres, qui peinent à décrire une réalité sanglante. La police a ainsi tué au moins 3320 personnes en 2015, 4222 en 2016 et 5144 en 2017. Sachant que ces chiffres sont collectés auprès de l’état et sont probablement sous-évalué.
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