Ce jeudi 11 octobre, nous apprenons que pour l’institution judiciaire, les deux gendarmes de l’antenne du GIGN de Joué-les-Tours mis en examen pour avoir, le jeudi 30 mars 2017 à Seur, abattu de 5 balles dans le torse notre proche Angelo Garand, n’auraient pas lieu d’être jugés.
Les réquisitions du procureur ont été suivies par une ordonnance de non-lieu en faveur des gendarmes, qui auraient donc tué Angelo en situation de légitime défense. Nous, parties civiles de la famille d’Angelo, dont plusieurs témoins sur place aux moments des faits, allons faire appel de cette décision inadmissible.Depuis le début, nous contestons formellement la version mensongère des gendarmes, seule à avoir été prise en compte, au détriment de nos témoignages, et de nos observations suite aux réquisitions de non-lieu du Parquet.
Nous avions espoir que face aux faiblesses de l’enquête dans ses premiers moments, aux incohérences et invraisemblances lisibles dans le dossier, un vrai procès contradictoire serait publiquement tenu pour confronter les parties en présence.
Nous sommes aujourd’hui dévastés par la décision contraire qui a été rendue, signée d’une autre juge que celle ayant instruit l’information judiciaire, et mis en examen les deux tireurs contre l’avis du procureur de Blois, pour violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.
Nous avons découvert, à travers cette décision, que la juge qui avait mené l’enquête, qui nous avait auditionnés, qui avait décidé il y a un an de la mise en examen juste après s’être rendue sur les lieux des faits, juste après avoir aussi réentendu les deux tireurs, a été déplacée ailleurs sur un autre poste dans le courant de l’été.
Cette décision de non-lieu, prononcée par une juge nouvelle-venue et inconnue, nous assomme, nous écrase et nous nie encore et toujours plus, après tout ce que nous avions déjà eu à endurer. Il est hors de question de nous y résoudre. Plus que jamais, « On court tant qu’on peut ».
Quelques heures seulement après que nous ayons reçu la décision de la juge, l’avocat des mis en examen se félicitait de cette décision dans un journal de gendarmes ; cet avocat est aussi celui du gendarme qui a tué Henri Lenfant, un autre Voyageur de 23 ans, à la fin du mois de septembre. Nos pensées vont à la famille de cette nouvelle victime.
Parce que la mort d’Angelo est intolérable, parce que la justice refuse à ce stade de juger les deux gendarmes auteurs des tirs mortels, et parce que nous contestons radicalement leur version des faits invoquant la légitime défense, notre famille va dès demain faire appel de l’ordonnance de non-lieu.
Avec le collectif Justice et Vérité pour Angelo, nous appelons à un rassemblement samedi 13 octobre à Blois, à 16h place de la République devant le palais de justice.
Nos pensées iront au même moment vers la famille d’Adama Traoré, qui appelle le même jour à une manifestation contre le mensonge d’État et le déni de justice à Paris.
Et comme nous allions le faire alors que nous étions toujours dans l’attente de la décision en clôture de l’information judiciaire, nous invitons celles et ceux qui comme nous s’y reconnaissent à s’associer en nombre à la mobilisation « Justice Dignité ou Rien » du collectif Rosa Parks : « Le 30 novembre 2018, contre le racisme et les inégalités sociales, on disparaît de nos lieux de travail, de nos facs, de nos écoles, des réseaux sociaux, des lieux de consommation. Et le 1er décembre, on réapparaît sur toutes les grandes places des villes, pour exiger Égalité et Dignité pour tous et toutes.
18 mois après, retour sur un deuxième été en lutte
Depuis le dimanche 30 septembre 2018, cela fait 18 mois que notre proche Angelo Garand, un Voyageur de 37 ans, a été abattu sans sommation de 5 balles dans le thorax par deux gendarmes de l’antenne du GIGN de Tours, alors qu’il venait manger en famille chez ses parents à Seur, près de Blois. Chaque 30 du mois, nous revivons la terreur du jeudi 30 mars 2017 : l’assaut vers 13h du commando sur-armé, la famille mise à terre et en joue, les hommes menottés dans le dos sous les invectives, la fouille brutale des lieux, le bruit des balles tirées sans un mot par les gendarmes dans la petite remise où Angelo s’était réfugié. Un deuxième été vient de s’achever, nous rappelant que plus rien ne sera jamais pareil. L’été ne sera plus jamais l’été. Nous l’avons traversé toujours consumés de douleur et révoltés, avec cette conscience aiguë d’être privés à tout jamais d’Angelo, mais aussi d’être portés par notre combat pour sa mémoire et pour notre dignité.
Voilà maintenant un an que les deux tireurs, qui ont tué Angelo à très courte distance de 5 balles dans le torse, ont été mis en examen, six mois après les faits, pour violences avec armes ayant entraîné la mort sans intention de la donner ; un an et six mois qu’en lutte, nous survivons à l’impossibilité de faire notre deuil d’Angelo, tant que les circonstances réelles de sa mise à mort demeureront niées par ses auteurs et les autorités responsables, voire même justifiées au prix de mensonges salissant sa mémoire.
Oui Angelo avait été condamné à l’âge de 22 ans, pour une conduite sans permis et une petite bagarre, à ne plus jamais ressortir durablement de prison, cumulant depuis lors près de 13 ans d’incarcération. Oui, en septembre 2016, autorisé à sortir un seul jour de la prison où il était détenu pour vol à Vivonne près de Poitiers, afin d’aller visiter les siens à 2 heures de là, il n’avait pu se résoudre au retour, cédant à la tentation de rester près de ses parents malades et de ses trois enfants. Mais non et non, ni son casier ni son nom de Voyageur ne faisaient de lui un homme dangereux relevant du GIGN, et encore moins un homme à abattre en guise d’interpellation, au prétexte d’une invraisemblable situation de légitime défense, que nous contestons formellement.
Nous avons basculé dans l’horreur absolue d’un monde où nous endossions depuis toujours notre étiquette de Voyageurs, comme si c’était la vie, avec la fierté d’être qui on est face à l’humiliation, la stigmatisation dès l’école, la voie des petits métiers traditionnels barrée, les travaux subalternes, le besoin de se débrouiller pour manger, le harcèlement policier, la sévérité de la justice, la banalité des peines de prison accumulées pour les hommes, des peines de parloir pour les femmes et les enfants, et parfois la mort en cellule ou lors d’un contrôle, d’une interpellation… Tout est brutalement réapparu pour ce que c’est, une féroce discrimination, frappant les minorités précarisées et racisées, français du Voyage ou issus des immigrations et des anciennes colonies, Rroms ou personnes exilées cherchant à sauver leurs vies dans notre pays. Par le sang versé d’Angelo, par sa mise à mort dans un déferlement de violence que rien ne justifiait, nous sommes passés du côté de celles et ceux qui luttent, dans le refus absolu de continuer à vivre comme si de rien n’était tant de barbarie, d’inégalité, dont nous ne voulons plus pour nos enfants.
Depuis les premières heures, nous vivons avec l’espoir qu’un procès ait lieu, où les responsables seront publiquement confrontés, et où nous pourrons dire toute la vérité. C’est bien pourquoi avec l’aide du Collectif Urgence Notre Police Assassine, nous nous sommes immédiatement portés parties civiles dans l’instruction qui doit en décider. Notre deuxième été d’affrontement judiciaire aura été marqué au fer rouge par les réquisitions de non-lieu du parquet de Blois, en faveur des deux gendarmes auteurs des 5 tirs mortels. Scandaleusement mais sans surprise, le procureur recommandait à la juge de clore l’instruction sans poursuites, comme si aucune infraction n’avait eu lieu ; comme si Angelo était mort de rien ; comme si sa vie ne valait rien ; comme si cette Justice qui ne lui avait jamais fait aucun cadeau de son vivant ne lui devait pas au moins le renvoi des deux auteurs de sa mise à mort devant un jury d’Assises. C’est pour nous une évidence, et nous retenions notre souffle dans l’insoutenable attente de la décision, entre les mains de la juge ayant dirigé l’enquête et mis les tireurs en examen contre l’avis du procureur.
Depuis les premiers jours nous vivons mobilisés, aux côtés des autres familles de victimes en lutte pour la Justice et la Vérité. Face au traitement policier et médiatique nous avons aussitôt compris qu’on ne pouvait rester pieds et poings liés dans l’attente de suites judiciaires lointaines et aléatoires, et que nous devions tout faire pour que le plus grand nombre de nos concitoyens sache ce qui s’est vraiment passé, pour Angelo et tellement d’autres avant lui, ou depuis. Comme l’écrivait Didier Fassin en hommage à « La mémoire vive d’Angelo » en février dernier, « Le procès qui pourrait avoir lieu (…) ne devrait pas être seulement celui de deux hommes. Il devrait concerner le dispositif répressif (celui qui use de la force), l’appareil pénal (celui qui punit) et le système carcéral (celui qui enferme) qui, ensemble, conduisent à des tragédies comme celle dans laquelle Angelo a trouvé la mort. » Il s’agit là d’un procès qui n’aura jamais lieu dans l’enceinte d’un tribunal car c’est à l’ensemble de la société qu’il revient de le mener solidairement, en exigeant la fin de ce système injuste. Tout le monde est concerné mais encore faut-il en être informé.
Alors à nouveau en ce deuxième été de lutte, nous avons marché à Paris le 16 juin pour Lamine Dieng 11 ans après. Puis nos pensées solidaires ont accompagné la deuxième Marche pour Adama Traoré à Beaumont-sur-Oise le 21 Juillet. Tant qu’il le faudra nous continuerons de marcher, d’être présents physiquement ou à distance pour toutes les victimes, avec les familles, car « quand on marche pour un, on marche pour tous ».
Fin juillet nous avons organisé notre première soirée-concert à Blois, une autre façon de solliciter le soutien financier indispensable à la poursuite du combat, notamment judiciaire, puisque l’inégalité devant la justice est aussi une question économique. Merci aux groupes SlowD et Gurbetiko et à toutes celles et ceux qui nous ont aidé ce soir-là à ressentir que la solidarité dans la lutte peut aussi passer par la musique, par la danse, par des formes artistiques et festives populaires, porteuses de sens et de chaleureuse rencontre Nous comptons bien continuer aussi dans cette voie.
Durant l’été notre famille a décidé de témoigner, père, mère, soeur, sur les lieux de la mise à mort d’Angelo au domicile parental, pour le ciné-tract « On court tant qu’on peut », rendu public à la mi-août. Merci au collectif Lettres Communes qui l’a réalisé, et à celles et ceux qui nous aidé ou nous aiderons à le relayer. Nous vous renvoyons au communiqué qui l’accompagnait, toujours de pleine actualité. Nous souhaitons maintenant diffuser publiquement ce mini-documentaire localement à Blois, où comme ailleurs, et malgré les actions d’information et de sensibilisation, beaucoup continuent à ignorer ou à minimiser les faits.
Enfin nous avons participé le 8 septembre à une réunion publique à Paris, à l’occasion du procès des meurtriers du jeune militant antifasciste Clément Méric, tué pour cette raison, par ceux qu’il combattait, membres d’un groupuscule néo-nazi. On n’oublie pas Clément qui combattait aussi le racisme et la violence d’État, l’impunité policière, par où Angelo et tant d’autres sont morts ; et par où le fascisme menace toujours de ressurgir, au pouvoir, dans nos vies.
Nous continuerons aussi souvent que nous le pourrons de nous allier aux mobilisations et actions dans lesquelles nous reconnaissons un des visages du combat commun. Seules nos solidarités feront le poids, pour en finir avec tant d’injustice, de racisme, d’inégalités. Ce sont nos solidarités entre familles de victimes de la violence d’État, unies par leurs défunts comme une seule grande famille. Ce sont nos solidarités avec nos soutiens militants et toutes les personnes qui luttent pour une autre société. Ce sont enfin nos solidarités avec celles et ceux qui vivent chacun pour soi le même sentiment de révolte mais désespèrent, ne sachant pas encore ce dont nous sommes capables, de toute la force que nous représentons, lorsque nous sommes ensemble.
Avec notre collectif blésois Justice pour Angelo et tous les groupes, organisations et personnes qui nous soutiennent déjà, ou qui nous rejoindrons, nous continuerons par nos actions à nous adresser localement sur Blois, et partout ailleurs à travers le pays, à l’ensemble de la population, ainsi que nous en ressentons l’impérieuse nécessité. C’est notre devoir, car c’est toute la société qui est concernée par l’injustice et les inégalités qui la traversent. Si nous qui subissons le pire ne le disons pas, qui le fera, qui saura, et comment abattre autrement les barrières qui nous sont imposées, afin de démontrer que nos minorités sont la majorité ?
Nous invitons ainsi celles et ceux qui comme nous s’y reconnaissent à s’associer en nombre à la mobilisation « Justice Dignité ou Rien » du collectif Rosa Parks : « Le 30 novembre 2018, contre le racisme et les inégalités sociales, on disparaît de nos lieux de travail, de nos facs, de nos écoles, des réseaux sociaux, des lieux de consommation. Et le 1er décembre, on réapparaît sur toutes les grandes places des villes, pour exiger Egalité et Dignité pour tous et toutes. »
La famille Garand et ses soutiens,
Le 11 octobre 2018
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