D’innombrables études scientifiques dénoncent l’extrême toxicité des pesticides mais « l’industrie agrochimie a gangrené à ce point toutes les structures publiques et de surveillance que la consommation de pesticides a continué d’augmenter ».
À la fin de la seconde guerre mondiale, l’Europe se précipite sur les pesticides, avec tout d’abord le DDT, hypnotisée par l’incroyable productivité de l’agriculture américaine. L’Inra est créé en 1946, « d’emblée entre les mains de l’industrie des pesticides ». Si la bonne foi peut prévaloir dans les premiers temps, la parution en 1962 du livre de Rachel Carson, Printemps silencieux, ne permet plus aucun doute. La préface de l’édition française parue l’année suivante, signée de Roger Heim, alors directeur du Muséum et président de l’Académie des sciences, ext on ne peut plus claire : « On arrête les « gangsters », on tire sur les auteurs de « hold-up », on guillotine les assassins, on fusille les despotes – ou prétendus tels -, mais qui mettra en prison les empoisonneurs publics instillant chaque jour les produits que la chimie de synthèse livre à leurs profits et à leurs imprudences ? » Commence alors le temps de la désinformation. Rachel Carson sera accusée d’être une femme, trop sentimentale et peu rationnelle, hystérique, lesbienne car célibataire à 47 ans, communiste, à la solde du KGB,…
« En 1962, la messe est dite. Les pesticides sont des poisons qui attaquent la structure même des vivants. » « Plus aucun spécialiste, plus aucun fonctionnaire de l’Agriculture, plus aucun industriel ne peut décemment ignorer que les pesticides de synthèse posent d’énormes problèmes. » « Mais le principe de base d’un lobby est de mentir, car il sert des intérêts particuliers, pas le bien général. »
Les auteurs expliquent comment les homologations sont contrôlées par l’industrie. Le chlordécone, insecticide mis sur le marché en 1958, est interdit aux États-Unis en 1976, suite à la contamination de dizaines d’employés de l’usine de Hopewell l’année précédente. En France, il reçoit en 1972 une autorisation provisoire d’un an mais qui ne sera revue qu’au bout de quatre, reconduite régulièrement jusqu’en septembre 1989. Interdit, il recevra encore des dérogations, destinées à écouler les stocks, en 1990, 1992, 1993. En 2003, 9,5 tonnes seront encore saisis en Martinique. Les conséquences de « ce vaste acoquinement politico-judiciaire » sont un record mondial des cancers de la prostate aux Antilles, des formes atypiques de maladies de Parkinson, des bananeraies pourries pour des centaines d’années.
Le Gaucho obtient une autorisation de mise sur le marché en 1992. Bien que Bayer s’en défende, des milliards d’abeilles sont victimes de ce néonicotinoïde qui ne sera pas interdit.
Fabrice Nicolino et François Vieillerette racontent les rocambolesques vissicitudes du groupe santé-environnement du Grenelle de l’environnement dont le communique final annonçait la réduction de 50% de l’usage des pesticides en dix ans… « si c’est possible » ! Et malgré les colossaux efforts de l’agriculture industrielle la consommation augmentera de 20% entre 2007 et 2017.
Le plan Écophyto lancé en 2008 relève de la même mascarade : en 2013, la consommation de pesticides a encore augmenté de 9,2% puis de 9,4% en 2014.
« Quand un pays tolère la présence de poisons mortels dans ses sols, ses eaux, son air, ses aliments, il doit en même temps adresser des signes de mobilisation. C’est une vieille trouvaille de la politique : faire semblant. »
L’Anses n’a réalisé aucun test des SDHI sur des cultures humaines, comme si la présence de résidu dans les aliments n’avait aucun rapport avec nous ! En novembre 2017, le glyphosate, herbicide gravement toxique, est de nouveau autorisé en Europe pour cinq ans et trois ans par le gouvernement français malgré ses promesses.
« Le lobby des pesticides est devenu si puissant et ramifié, indifférent aux alertes, si méprisant pour la science non prostituée, qu’il s’est transformé en monstre. » Cet impitoyable tableau d’un scandale sanitaire en cours s’achève par un appel à mobilisation citoyenne lancé par ses auteurs. On peut s’étonner de leur naïveté à penser qu’une pétition, même signées par cinq millions de personnes, puisse peser seule, d’autant qu’ils reconnaissent que « l’industrie des pesticides a désormais échappé au contrôle humain et ne peut plus être réformée. Un enchevêtrement d’accords, de contrats, de confort moral et matériel, de complicités rend l’édifice impénétrable. » Pourtant ce n’est peut-être pas une coïncidence si Emmanuel Macron vient d’annoncer en Martinique une nouvelle interdiction (?) du chlordécone, alors que le seuil des 200 000 signatures vient d’être franchi. Nouvel effet d’annonce qui n’aura pas de conséquences immédiates ? Sans doute. Gage de bonne volonté pour désamorcer la mobilisation ? Peut-être.
Si nous comprenons mal pourquoi limiter à la France cette campagne, nous la relayons toutefois. Alors que la logique de profit « empoisonne » de façon plus vaste et plus complexe la moindre parcelle de nos vies au delà des seuls pesticides, il n’est jamais inutile de s’attaquer à la crétinerie crasse et criminelle.
NOUS VOULONS DES COQUELICOTS
Fabrice Nicolino et François Veillerette
130 pages – 8 euros
Éditions Les Liens qui libèrent – Paris – Septembre 2018
https://nousvoulonsdescoquelicots.org/
Autres titres de Fabrice Nicolino :
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