Ils racontent comment l’entreprise familiale Thomé-Génot, à Nouzonville, dans les Ardennes, a été pillé par le fonds d’investissement américain avec qui elle a du s’associer, faute du soutien nécessaire des banques. La région, fracassée par la désindustrialisation, est devenue un « Far West, un enjeu pour les enrichissements rapides et sans principes », la plus grande zone franche de France dont font partie 362 de ses 463 communes.
Implanté en Bretagne, le volailler Charles Doux a délocalisé au Brésil une partie de sa production, provoquant la fermeture de 16 sites en France, le licenciement de 600 salariés et mettant en difficultés les 800 éleveurs liés à sa société. Dans le même temps, celle-ci a reçu 2 milliards d’euros de subventions européennes sous la forme de « restitutions à l’exportation » !
Le projet de fermeture de l’usine Peugeot à Aulnay-sous-Bois a été niée jusqu’à l’élection de Nicolas Sarkozy pour ne pas lui nuire. Les actionnaires ont continué à s’enrichir alors que le cours en bourse du groupe a été divisé par huit en cinq ans. Pour soutenir les cours, l’entreprise a racheté ses propres actions à hauteur de 200 millions d’euros en 2011 et 320 en 2013. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) a fait un prêt de 110 millions à PSA, pour son développement… en Russie !
De même, GDF SUEZ qui s’est engagé à réduire ses dettes de 15 milliards d’euros avant 2014 et dont l’action en bourse a perdu 57% de sa valeur, a fait la promesse par la voix de son PDG, Gérard Mestrallet, d’assurer un dividende stable à ses actionnaires et devra débourser 3,5 milliards d’euros par an, soit la totalité du bénéfice attendu.
Ces exemples, soigneusement analysés, sont accompagnés d’encarts, portraits d’acteurs impliqués ou récits d’enquête de terrain, qui illustrent et complètent la démonstration.
« Financiarisation et déréglementation ont partie liée et ont pour résultat de privatiser les profits et de socialiser les pertes, ou d’abandonner la société qui bat de l’aile à son triste sort. » « La finance spéculative est prédatrice, elle prend sans donner. »
Si les fraudes sociales sont estimées à 20 milliards d’euros, 80% sont liés aux cotisations patronales, tandis que celles des allocataires représentent 200 millions, soit 1% ! Et chaque année, en France, 4 milliards d’euros dus au titre des prestations ne sont pas réclamés par leurs bénéficiaires. Les auteurs présentent la fraude fiscale comme un « sport de classe », avec l’annonce de l’exil fiscal de Bernard Arnault en 2013 par exemple, la localisation de 140 des 420 sociétés de son groupe dans des paradis fiscaux. Pour l’Europe, le manque à gagner annuel est estimé à 1 000 milliards d’euros et de 60 à 80 pour la France. « Cet escamotage des fortunes sert d’arme aux membres de l’oligarchie, pour exiger des peuples qu’ils remboursent les déficits et les dettes dus à la spéculation financière débridée et mondialisée. »
Après la transmission de fichiers provenant de la banque HSBC comprenant les noms de 3 000 fraudeurs, 4 725 contribuables demandèrent leur régularisation pour éviter des poursuites mais seuls 68 de ces repentis figuraient sur la liste. La délinquance financière est pourtant de moins en moins inquiétée tandis que les comparutions immédiates avec des peines planchers, tiennent en respect les jeunes en difficultés, et que la contestation sociale est de plus en plus criminalisée.
« Les journalistes libéraux ne mentionnent jamais la violence des riches. Ils inversent le sens de la responsabilité en attribuant l’origine de la violence aux plus démunis et se gardent bien de mettre en cause les dégâts provoqués par les spéculateurs et la fraude fiscale. » Cependant, le thème « tous pourris » est une « posture démagogique qui donne en pâture des individus sans dévoiler les rapports de classe et les mécanismes du libéralisme ».
De même qu’ils avaient analysé la présidence de Nicolas Sarkozy, le « président des riches », Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot ont passé au crible des outils de la sociologie les choix politiques et sociaux de François Hollande. Si celui-ci avait annoncé que son « adversaire, c’est le monde de la finance » dans son discours du Bourget le 22 janvier 2012, il s’est entouré de personnage provenant de ce milieu : Jean-Jacques Augier, Jean-Pierre Jouyet, Matthieu Pigasse, Charles-Henri Filippi, Pierre Moscovici, Emmanuel Macron,… Dans ouvrage qu’il a co-écrit en 1985, intitulé « La Gauche bouge », François Hollande assume déjà, sans langue de bois, un positionnement « moderne et libéral ». Ils reviennent aussi sur les responsabilités des socialistes français dans la mondialisation libérale depuis 1983. « La soumission devant les exigences de l’Europe, le Medef et la finance internationale a été au-delà de ce qui était prévisible. » Le groupe socialiste a voté à 93% pour le texte du Pacte budgétaire, instaurant à perpétuité l’austérité pour les peuples d’Europe et acceptant que la Commission et la Cour de justice européennes orientent les choix budgétaires et la politique économique et sociale des pays, comme la réduction drastique des dépenses publiques, la désindexation des prestation sociales et des retraites sur l’inflation, l’allongement de la durée du travail et la privatisation des services publics, pour réduire à 3% du PIB les déficits publics. Les socialistes avaient déjà ratifié les traités de Maastricht en 1993 et de Lisbonne en 2008. Les auteurs analysent quelques mesures phares du quinquennat : la « flexisécurité », véritable légalisation du chantage à l’emploi par la loi de « sécurisation de l’emploi », autre « escroquerie linguistique », le CICE, Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi, cadeau annuel de 20 milliards d’euros aux entreprise, sans contrepartie et en pleine crise, la taxe à 75% de la tranche des revenus supérieurs à un million d’euros, promesse de campagne, conçue pour être déclarée inconstitutionnelle et être annulée.
Pour éviter les velléités de rébellion, les « catastrophes industrielles et marchandes» sont présentées comme relevant d’une inéluctable fatalité qu’aucune volonté humaine ne peut contrecarrer, aussi naturelles que les tsunamis ou les tremblements de terre. Un seuil de richesse n’est jamais défini, au contraire du seuil de pauvreté. « La compétence et le mérite ont été systématiquement mis en avant pour justifier les avantages des plus riches en déniant l’héritage et le privilège de la naissance. » Le discours patronal est trafiqué de façon à flouer les travailleurs dont les luttes sont présentées comme archaïques, relevant du conservatisme et de l’immobilisme. Les dépenses de publicité sont passées, en France, entre 1997 et 2011, de 8 à 32 milliards d’euros pour « modeler les besoins et les attentes des individus en fonction de la demande économique ». La démocratie a été réduite au choix du produit politique le plus séduisant, les pouvoirs organisant de fausses alternances. Le système managériale, mettant à profit les travaux des chercheurs en psychologie sociale pour remplacer la violence objective et ses contraintes visibles par la violence subjective et ses contraintes invisibles, a réussi mieux qu’aucun régime autoritaire à subvertir les subjectivités aux fins d’arracher aux individus un « consentement volontaire » aux règles qu’il impose.
L’acceptation d’un système économique et social injuste et inégalitaire est assurée par l’intériorisation des bonnes raisons que le plus riches font miroiter pour faire valoir leurs intérêts au nom de l’intérêt général. Cette « servitude involontaire » repose sur le droit, perçu comme naturel, tout comme le capitalisme, alors qu’il s’agit d’une construction sociale. « Si la mystification inaugurale de la loi présentée comme émanant de la volonté du peuple, alors qu’elle reflète avant tout celle des princes, était dévoilée, elle pourrait remettre en cause le respect des lois et le principe même de l’obéissance civile. »
Les auteurs montrent comment « les rapports sociaux sont toujours des rapports de domination. La confrontation à l’autre social révèle l’intériorisation profonde de la place occupée par chacun dans la société. » « Le pauvre a toujours les stigmates négatifs non enviables, décharné au XIXe siècle, obèse au XXIe. » La violence symbolique s’établit par l’intimidation émanant des lieux de pouvoirs, des lieux « réservés aux riches ».
Les bâtiments de la bourgeoisie bénéficient de mesure de sauvegarde tandis que les habitats des classes populaires sont stigmatisés puis rasés pour faire disparaître de la ville la mémoire ouvrière. Les usines, quand elles ne sont pas détruites pour faire place à des hôtels internationaux haut de gamme comme sur l’île Seguin, sont transformées en lieux de culture par exemple, tout aussi porteurs de violence symbolique. La gentrification désigne l’appropriation de valeurs d’usage urbaine destinées aux familles ouvrières par une population en phase avec la mondialisation et ses nouvelles technologies. La ségrégation sociale, territorialisation de la pauvreté et du chômage d’un côté, de ceux qui s’insèrent dans les mutations économiques et technologiques de l’autre, dissimule la réalité du conflit entre le capital et le travail. Les auteurs analysent la « politique de la ville » mise en place depuis 1983 qui dilua les responsabilité sous le masque de la décentralisation.
« Avec la phase du néolibéralisme, la classe dominante tente par tous les moyens, idéologiques, politiques et médiatiques, de transformer en ennemis les agents sociaux les plus pauvres, les plus déstabilisés par la précarisation du travail. Pas en adversaire de classe, dans un combat au grand jour, comme dans la phase paternaliste du capitalisme industriel des XIXe et XXe siècles, mais en surnuméraires, parasites néfastes au fonctionnement de la belle machine capitaliste. » Avec cette « fabrication de l’ennemi », la « guerre des classes » apparaît comme légitime.
Après avoir dévoiler les « subterfuges économiques, politiques et idéologiques », les mécanismes de la violence des riches, classe sociale déterminés à mettre en péril les autres classes, voire la planète, pour défendre ses intérêts, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot concluent à la nécessité de rompre avec « un capitalisme devenu irresponsable ». Si l’idée d’un changement radical peut faire peur, il souligne que « le chaos c’est maintenant et qu’il s’est installé dans une spirale infernale ». Enquête pour le moins édifiante !
LA VIOLENCE DES RICHES
Chronique d’une immense casse sociale
Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot
256 pages – 13 euros
Éditions de La Découverte – Collection « Zones » – Paris – Septembre 2013
256 pages – 11 euros
Éditions de La Découverte – Collection « Poche essais » – Paris – Septembre 2014
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