3 avril 2018 par Commission Journal (mensuel)
Alors que la SNCF a réalisé, pour ses 80 ans, 1,33 milliard d’euros de bénéfices, l’État veut achever la privatisation qui mettra le coup de grâce au service public, au détriment des usagères, usagers, cheminots et cheminotes. Pour s’y opposer, il faut une vraie grève bloquante, pas la grève à éclipses inventée par les fédérations CGT, Unsa et CFDT !
Le 1er juillet 2017, Macron s’adressait à quelques cheminotes et cheminots triés sur le volet : « Parlons-nous franchement : si on reprend la dette, quel nouveau pacte social la SNCF est-elle prête à avoir ? […] Nous demandons à la SNCF d’aller plus loin sur les réformes, le statut, la mobilité, le régime de retraite » [1]. Depuis, Jean-Cyril Spinetta, ancien PDG d’Air France – qu’il a privatisé –, a été chargé de pondre un rapport sur l’avenir de l’entreprise publique. Découlant de ses recommandations, reprises par le gouvernement et la Direction SNCF, le « pacte ferroviaire » est une véritable provocation tant pour les usagers et usagères du rail que pour les personnels SNCF.
Pas moins de 9 000 kilomètres de lignes secondaires sont jugées non rentables. Plutôt que de s’affronter aux collectivités territoriales, le gouvernement laisse le soin aux régions de décider de l’avenir de ces lignes. L’état de délabrement de ces infrastructures, le coût de leur rénovation, leur faible rentabilité et le peu d’intérêt qu’y porteront les opérateurs ferroviaires, SNCF ou privés rendent l’avenir de ces lignes bien sombre.
Le Pass Navigo londonien : 368 euros par mois
Le prix des billets grimpera encore, du fait de la suppression des dispositifs de régulation tarifaire de la SNCF et de la remise en cause du principe de la péréquation nationale en vigueur dans les services publics.
Dans la perspective de la loi Mobilités attendue ce mois-ci, il est prévu une réduction du parc TGV, la suppression de dessertes de villes moyennes et la remise en cause de trajets en train d’une durée supérieure à trois heures et trente minutes.
La privatisation du transport ferroviaire de voyageurs est prévue dès 2019 pour certains TER, et fin 2020 pour les TGV. L’arrivée de la concurrence dans le fret, en 2005, a été catastrophique pour la SNCF mais aussi pour les autres entreprises ferroviaires [2]. Le volume du fret ferroviaire a été divisé par deux et reporté sur la route. Le trafic voyageurs international, lui, a été « libéralisé » en 2010, mais seuls quelques trains privés circulent quotidiennement.
Les usagers et usagères du rail ne doivent pas s’attendre à une baisse des prix à la faveur de la concurrence. Dans les pays où le transport ferroviaire a été « libéralisé », les tarifs ont subi une hausse vertigineuse. Par exemple, le pass Navigo, qui permet des voyages illimités en bus, tramway, métro, RER et train dans presque toute l’Île-de-France, est à 75 euros par mois. Son équivalent à Londres est à 368 euros pour un réseau 8 fois moins étendu.
Cadeau pour les candidats privés à la reprise de trafics TER, le personnel qualifié de la SNCF sera transféré dans l’entreprise sélectionnée. Les cheminotes et les cheminots qui refuseraient le transfert devraient accepter les mutations proposées par la SNCF ou être considérés comme démissionnaires… un effet d’aubaine pour la SNCF qui pourra se débarrasser d’agents à statut à peu de frais.
Une loi qui interdit la privatisation, ben tiens…
Une nouvelle fois, le statut juridique de la SNCF devrait évoluer avec la création de deux sociétés anonymes à capitaux exclusivement publics. Le gouvernement promet que la loi interdira toute privatisation. Mais, déjà très nombreuses, celles-ci ont considérablement affaibli le service public ferroviaire. Et l’actualité montre que pour vendre la part de l’État dans les Aéroports de Paris, on a vite fait de modifier la loi !
Cette nouvelle contre-réforme du ferroviaire ne permettra pas de résoudre les difficultés que vivent quotidiennement les usagers et usagères : pannes, retards, trains supprimés… Le sujet de la reprise de la « dette » de 46,6 milliards d’euros par l’État a été éludé par le Premier ministre. Or cette dette (qui n’est pas celle de la SNCF, et encore moins celle des cheminots et cheminotes) vient de la politique pharaonique du tout-TGV voulue par divers gouvernements, menée au détriment de la régénération du réseau ferroviaire classique, avec une réduction drastique du nombre de cheminot.es (à laquelle va s’ajouter une nouvelle vague de 5 000 départs volontaires), et ce malgré une hausse du prix des billets.
Déborder la stratégie de la grève à éclipses
Les cheminotes et cheminots devront mener un combat très dur pour faire face à ce nouveau défi. Les derniers conflits ont été perdus notamment à cause du manque d’unité syndicale et de stratégies de lutte perdantes basées sur de démobilisateurs temps forts à répétition.
S’il y a unanimité pour débuter la grève le 3 avril, les fédérations CGT, Unsa et CFDT-Cheminots appellent à des grèves de deux jours tous les cinq jours, alors que SUD-Rail a mandat pour une grève reconductible décidée en assemblées générales. Les 36 journées de grève carrée qui sont programmées ne bloquent pas l’économie et confisquent aux grévistes la conduite du mouvement. Les équipes syndicales de base devront, plus que jamais, dépasser leur entre-soi et s’unir pour imposer les modalités de la grève.
Enfin, les attaques menées contre les cheminot.es étant de même nature que celles visant les autres salarié.es, les retraité.es, les jeunes ainsi que les usagers et usagères des services publics, la convergence des luttes sera un atout indéniable. En ce sens, l’agrégation de diverses mobilisations le 22 mars est un signal positif.
Martial (AL Nantes)
Le statut cheminot, épouvantail à libéraux
Le statut cheminot disparaîtrait pour les futur.es embauché.es. Autant dire que les futurs métiers de la SNCF et des entreprises privées seront basés sur la précarité. Le statut cheminot, c’est la boîte à fantasme agitée pour manipuler l’opinion. Le statut permet d’assimiler les cheminot.es à des fonctionnaires, car il ne prévoit pas de licenciements économiques et définit des conditions de déroulement de carrière – qui par ailleurs n’ont rien d’automatique. En réalité, les cheminot.es sont soumis.es aux mêmes durées de cotisations que les autres salarié.es pour bénéficier d’une retraite à taux plein. La grille salariale statutaire n’a rien de mirobolant. Le traitement brut d’une ou un cheminot débutant, au plus bas de l’échelle, est inférieur au Smic ; le traitement du plus haut cadre avec le maximum d’ancienneté, est 3,6 fois supérieur.
Ceux qui voient leur rémunération exploser, en revanche, ce sont les cadres supérieurs « hors statut », à l’image de la ministre des Armées Florence Parly qui, auparavant, percevait l’équivalent de 35 Smic par mois à SNCF Voyages. Les pourfendeurs du statut cheminot oublient aussi de rappeler les contraintes liées à la continuité d’un service public qui doit fonctionner 24h/24 et 7 jours sur 7. D’ailleurs, si la vie de cheminot.e était si avantageuse, pourquoi la SNCF a-t-elle tant de mal à recruter des conducteurs et conductrices de trains ou des agents pour les postes d’aiguillage, par exemple, et pourquoi 1 400 agents ont-ils quitté volontairement l’entreprise en 2016 ?
[1] Les Échos, 6 septembre 2017.
[2] Lire « Fret ferroviaire : Une escroquerie sociale et écologique », Alternative libertaire, novembre 2009.
Commentaires récents