Par Jacques Fradin
Jacques Fradin – paru dans lundimatin#127, le 18 décembre 2017
Alors que les médiateurs nommés par Macron ont rendu leur pâle copie la semaine passée ; alors que le « One Planet Summit » a tenter de peindre Emmanuel en vert ; alors qu’on apprend que Nicolas Hulot a plus de voitures que de maisons ; considérant tout cela, Jacques Fradin livre ici une analyse percutante qui permet de relier et de dénouer cette actualité foisonnante.
Défendre la ZAD, c’est une question d’éthique.
Au-dessus de « la loi » et du droit.
Qui doit permettre de juger « la loi » et le droit.
Car ce qui est décisif et tranchant, du point de vue éthique, de la défense de la ZAD, est de se placer au-dessus de « la loi », pour la juger.
Si l’on aime les paradoxes, il faut dire :
Il existe une loi, éthique, au-dessus de « la loi », juridique.
Et cette loi supérieure, cette norme supérieure aux normes juridiques « légales », l’axiomatique éthique, permet de juger les combinaisons « légales » du fameux « État de droit ».
Posons alors que la norme supérieure, la méta-norme au-dessus des normes « légales », est l’Éthique Écologique.
Inutile ici d’énoncer cette norme supérieure ; car elle est, maintenant, bien connue.
Disons même que cette axiomatique éthique est de « sens commun » ; et que ceux qui ne la partagent pas sont « insensés » [1].
Arrivons directement à la question de l’éthique, à la question de la Résistance.
L’éthique est transversale à la réalité : elle implique une décision, une décision de coupure, un CHOIX.
Là où le terme CHOIX a un sens ; au-delà du sens corrompu par l’économie.
Un CHOIX engage la vie, sa vie.
Un CHOIX décide d’une direction de vie.
Là où il est impossible d’obéir, sans conscience, à « la loi » ou à l’État, parce qu’il en va de la survie ; les règles imposées par l’État, et
mettant en jeu la survie, ne permettant pas de garantir cette survie [2].
Quel est alors le CHOIX ? Qui donne puissance à l’éthique ?
Soit le choix de la vie, SURVIVRE et VIVRE, pour l’Éthique Écologique, le choix égalitariste de la liberté pour la défense des formes de vie communes, pour la défense de l’axiomatique de l’Éthique Écologique.
Le choix de la défense de la ZAD.
Soit le choix de la mort, dans la religion économique (et son idéologie « social-libérale »), le choix de l’oligarchie et de l’emprisonnement dans le désastre, pour la défense de l’emprise économique.
Le choix de l’anéantissement de la ZAD.
« Rétablir l’ordre économique ».
LE CHOIX : Éthique Écologique contre Religion Économique.
Résistance à l’État Intégriste (EI).
Résistance au fondamentalisme de l’économie (avec ses légions de macrons).
Résistance au fameux « capitalisme vert » ; et maintenant à la « finance verte ».
Résistance aux Ordres Noirs et aux milices religieuses.
Résistance à la police religieuse du fondamentalisme économique.
Quel est le grandiose projet de l’État Intégriste (EI) ?
Reprenons la piste des suicidés de Mitterrand.
Et celle de Pierre Bérégovoy, en particulier.
Qu’est-ce qui a rendu immortel le syndicaliste arrivé ?
Peut-être parce qu’il fût le premier des macrons ?
Avec l’immense projet de faire de Paris une « place financière » de poids international ; battre Francfort en maniant la trique de la « désinflation compétitive » ou de la « dévaluation interne », l’austérité illimitée.
« La finance n’est pas notre ennemie ! »
Reprendre ainsi le projet délirant de Maggie (Thatcher) de transformer toute une nation en une « place financière » (orgueilleusement nommée : The City – pourquoi pas The Civilisation !), de ramener tout un peuple entier à l’état de cireurs des chaussures des traders excités (British Psycho puis French Psycho !).
Le premier des macrons qui lance le projet « social-libéral » du fondamentalisme économique.
Intégrisme qui combine « la libération » des entreprises, puis leur érection au rang de force suprême de l’humanité, qui combine cette « libération » à « l’auto-régulation », à l’autonomie de la finance libéralisée, les banksters auto-organisant le monde par la piraterie financière ; dont la si fameuse HSBC est tout à la fois le symptôme et le symbole.
L’horreur économique.
Le désastre écologique.
Puisqu’il faut bien que les riches profitent de leurs richesses – et du gas-pillage.
(Comment les riches détruisent la planète.)
Puisqu’il faut bien que les pauvres (en situation d’austérité ou de décroissance peu conviviale) reçoivent « pain & jeux » – le système Walmart et l’hypocrisie abyssale du transfert des désastres écologiques en Chine ou dans un ailleurs rendu invisible ! Et le surendettement et les emprunts pourris pour maintenir l’illusion de l’american way of life (5 planètes pour continuer !). Comment maintenir le fantôme de la société de consommation ?
Le premier des macrons propageant l’idéologie de « l’environnementalisme de marché » ou de « l’écologie libérale économiste » !
Mais un engagement véritable pour le climat (ce climat n’étant que la métonymie de la question du désastre écologique) implique une mise en cause de l’ordre libéral économique, de la croissance salvatrice par exemple, ou de la consommation apaisante.
Au moins un engagement écosocialiste.
Engagement pour la vie contre lequel s’arcboutent toutes les puissances économiques, privées d’abord, qui préfèrent imaginer une « décroissance sélective » : enrichir les riches et abandonner, voire euthanasier, les pauvres (la métaphore ou le conte philosophique du « Transperceneige », la BD, pas le film !).
Tenir l’austérité la plus rigoureuse, mettre en œuvre l’élimination de tous les biens communs et de tous les services collectifs (la santé et la vie comme nouvelles colonies) et, « en même temps », foncer sur la nouvelle frontière verte – les techniques polluantes du renouvelable comme les éoliennes chinoises financées par HSBC, la banque criminelle (du blanchiment au verdissement) des capitalistes « communistes » chinois.
Bien entendu le dessein « d’abandonner les pauvres » (dont le traitement des « réfugiés » donne une idée exacte), un tel dessein doit être camouflé, recouvert par des logorrhées pissant les « bonnes intentions », et cachant le véritable mépris.
Un problème écologique ? Quel problème ? La bombe P ?
Les désastres écologiques ne sont des problèmes que pour les pauvres !
Une simple modification du climat ou même un bouleversement catastrophique n’impliquent nullement de rompre avec la logique économique ; bien au contraire, pourquoi ne pas voir dans la catastrophe une nouvelle source de croissance (le début d’un nouveau cycle Kondratieff !), avec de nouvelles innovations technologiques, avec l’ouverture de nouveaux néo-marchés, etc., bref un nouveau bonheur économique (le capitalisme du désastre).
Voilà l’économie verte, la croissance verte, le pactole vert, en place du pétrole noir !
Et le « One Planet Summit » (pour parler globish).
Toujours le projet Bérégovoy !
Pour que la France accède, enfin, au rang de puissance financière, en se plaçant comme élément « durable » de la finance verte (et de sa prédation).
Finance verte, green bonds, ou verdir la finance : greenwashing !
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Avec de nouvelles normes comptables incorporant quelques questions écologiques [3].
Tous les macrons et leurs patrons, présents au grand cirque du « One Planet Summit », n’ont parlé que de l’importance de la finance pour obtenir des solutions à la question climatique.
Mais ils ont tous, patrons et factotums, été absolument muets sur les autres aspects, glauques et noirs, de la question.
Comme celle de l’inégalité fondamentale devant le désastre (inégalité qui fait que ce fameux désastre n’est pas considéré comme tel par les riches ou les financiers, bien au contraire).
Comme celle des financements en cours ou lancés pour les infrastructures gigantesques des centrales au charbon ou au gaz – et le nucléaire : toujours HSBC et la Chine : Hinkley point ou le transfert technologique caché !
Pas un mot sur notre dépendance maladive aux énergies fossiles, charbon, gaz, pétrole.
Pas un mot sur la nécessité de développer des modes de transport alternatifs au tout automobile (des transports communs) ; ou sur la nécessité d’abandonner l’avion (et voilà NDDL).
Pas un mot sur des actions fortes et ambitieuses pour arrêter l’exploration et l’exploitation des combustibles fossiles.
La France s’engage-t-elle à ne pas importer de gaz de schiste (des États-Unis par exemple) lors même qu’elle décide d’en interrompre l’exploitation sur son territoire si réduit ?
Soit donc le capitalisme vert – l’impossible capitalisme vert [4] – et la poursuite infernale pour la catastrophe rentable.
Soit la sortie de l’économie, que cela soit nommé « écosocialisme » (Gorz, Münster) ou communalisme écologique.
Pourquoi pas un choix référendaire ?
Dont l’importance tiendrait à sa préparation, par une année entière de débats approfondis.
Comme le référendum de 2005.
Le choix gouvernemental, imposé par défaut, de la poursuite de l’austérité inégalitaire pour une finance verdie, cette décision sans discussion n’a aucune assise valable.
Le macron 30% avance par la force, « le coup d’état permanent » [5].
Car notre Macron, juvénile, à moitié souriant, avec son faux air de Kennedy, mais au fond méprisant et autoritaire, a été élu CONTRE une menace fictive (du « fascisme ») et non pas POUR la perpétuation de la plus vieille politique thatchérienne (reaganienne), des années 1980, la poursuite de l’austérité verdie.
Mais la transformation cynique habituelle du CONTRE un autoritarisme fantôme en POUR l’autoritarisme actif de la gouvernementalité économique est simplement un signe des combines despotiques [6].
Bien sûr, l’idée de choix référendaire est ironique ; car nous ne sommes pas en démocratie !
Le CHOIX éthique, l’objection de conscience ou la défense de la vie, implique un engagement plus rude.
Implique la RÉSISTANCE.
Le soutien, par tous les moyens, spirituels ou matériels, apporté aux défenseurs courageux de l’éthique de la vie.
Honneur aux défenseurs de la ZAD.
Indécence des milices religieuses du fondamentalisme économique.
Annexe : Quand les riches détruisent la planète.
On découvre, sans stupéfaction aucune, qu’un « super ministre de l’écologie », par ailleurs millionnaire, et donc « super méritant », est également un super pollueur, très satisfait de lui.
Mais il y a bien longtemps que l’hypocrisie, le cynisme et l’indécence de cet arriviste sans vergogne ont été démontrés (relire la collection entière du mensuel La Décroissance, Casseurs de Pub).
La prétention abjecte de ces fanatiques de l’économie (et pour leur fric) atteint un sommet vertigineux en la personne du soi-disant « ministre de l’éducation », un bureaucrate de l’ordre économique, un apparatchik de la nouvelle restauration (il faut toujours relire Balzac).
Un bureaucrate qui ose jeter à la figure des gens matraqués : si vous n’êtes pas millionnaire, c’est que vous êtes un raté ! Où l’on retrouve l’horreur sarkozyste déguisée en jeunesse dynamique à la Kennedy !
La morgue insupportable des nouveaux nobles nouveaux riches (ou l’inverse), « la fortune est le signe de la réussite » – mais quelle réussite ? – fait croire que « l’innovation », mot fétiche, que l’innovation économique ou dans un cadre économique, comme fermer les écoles et développer les transports scolaires, c’est-à-dire favoriser le crime économique, que cette « innovation » est la seule voie possible, la seule « invention » possible, alors que ces « innovations », dans un cadre techno-économique, ne peuvent jamais être des « inventions » de formes de vie libres et égalitaires et sensibles, sensibles écologiquement. Ces « innovations » ne sont que des affaires juteuses pour les fonctionnaires du capital (dont « le ministre de l’éducation » est une figure repoussante), les apparatchiks du nouvel ancien régime, les sbires du patronat revanchard.
Nous avons parlé de crime économique.
Le crime économique et écologique ; le crime de l’austérité.
Soit un accident d’autobus, de transport scolaire, autobus coupé en deux à un passage à niveau : plusieurs enfants tués.
Alors que la propagande massive pour le fondamentalisme économique dirige tous les regards sur les « responsabilités », qui de la SNCF, « il existe encore des passages à niveau » ! – nouvelle hypocrisie : c’est une question économique, de crédits – qui de la société de transports scolaires, voire du chauffeur (le lampiste habituel), aucun « journaliste », journaleux ou chien de garde, ne soulève la pierre tombale « des économies », des restrictions budgétaires, de l’équilibre financier (de la SNCF par exemple).
Pourquoi a-t-on fermé les écoles, déplacé puis concentré les enfants, puis organisé des transports destructeurs, destructeurs de la santé des enfants (combien de temps dans les bus ?), destructeurs de l’éducation (la fatigue de se lever tôt), destructeurs de la vie ?
Ces enfants assassinés par les politiques d’austérité, enrichir les riches, appauvrir les pauvres, voilà ce dont il est interdit de parler.
Évidemment, ce crime économique, avec ses dégâts « collatéraux » (qui n’entrent pas « en compte »), pour « les ratés périphériques », est également un crime écologique.
Le transport routier n’est-il pas polluant ?
Autant qu’il est le symptôme d’un désastre moral, comme l’abandon du principe de l’éducation égale pour tous (un principe fondamental des droits universels).
Car il vaut mieux vivre en centre-ville, près du Panthéon et d’Henri IV de préférence !
La concurrence qui détruit les campagnes au profit des concentrations urbaines (et financières), qui accroît l’inégalité dans ces concentrations malsaines
(centres bobos « innovants » contre banlieues des « ratés »), voilà un élément du désastre écologique.
[1] Plutôt que de déployer les articles de cette éthique, nous nous contenterons de proposer une bibliographie élémentaire. Ce qui aura, également, le mérite de faire sentir l’aura de cette éthique.
Nous avons donc choisi, pour respecter « les limites », de présenter les normes de l’éthique écologique sous forme de renvois à quelques ouvrages : ce que nous nommons « sens commun ».
Bruno LATOUR, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, La Découverte, 2017.
Naomi KLEIN, Tout peut changer, Capitalisme et changement climatique, Actes Sud, 2015 ;
La Stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre, Actes Sud, 2008, édition de poche 2013.
(Les deux ouvrages cités de N. Klein devant être lus ensemble).
Sandrine FEYDEL et Christophe BONNEUIL, Prédation, Nature le Nouvel Eldorado de la Finance, La Découverte, 2015.
(L’ouvrage essentiel sur la « finance verdie » et la compréhension de cette « finance verte » comme agent du pillage économique – que la « finance verte » soit un opérateur de désastre est pour nous de « sens commun ».)
Aurélien BERNIER, Le climat otage de la finance, Mille et Une Nuits, 2008.
Et un excellent article de Blog, MORVAN56, Climat, la grande illusion de la finance verte, Médiapart blog, 12 décembre 2017,
Noël MAMÈRE et Patrick FARBIAZ, Changer le système, pas le climat, Manifeste pour un autre monde, Flammarion, 2015.
Arno MUNSTER, Pour un socialisme vert, Vers la société écologique par la justice sociale, Lignes, 2012 ;
Utopie, Écologie, Écosocialisme, L’Harmattan, 2013.
Manifeste Utopia, Avant-propos d’André GORZ, Parangon, 2008.
Hervé KEMPF, Comment les riches détruisent la planète, Points, 2007.
[2] Ici deux éléments sont mis en liaison.
D’abord les attendus du Tribunal de Nuremberg qui amènent à la notion de « complicité » de destruction (ou « d’holocauste total »), à partir du moment où l’on ne se soulève pas contre des décisions « légales », visiblement désastreuses, générant l’anéantissement (cette fois-ci l’extinction totale de la vie).
Nous ne serons pas complices de la destruction de la vie (et des « holocaustes tropicaux ») ; destruction qui va bien plus loin que le simple crime d’État.
Et, dans la trace des attendus de ce Tribunal, ce qui autorise à constituer de nouveaux Tribunaux pour juger les actes criminels « légaux ».
Ainsi le mouvement SURVIVRE (impulsé par l’immense mathématicien Alexandre GROTHENDIECK), à l’origine de l’écologie politique, a t’il partie liée au Tribunal RUSSELL pour juger les crimes de guerre américains.
Sur ce sujet lire SURVIVRE et VIVRE, Critique de la science, naissance de l’écologie, L’Échappée, 2014.
Nous devons considérer la ZAD comme un Tribunal, en session permanente, un tribunal pour juger les désastres économiques, crimes contre la vie, organisés par des criminels internationaux (personnes (peu) morales ou physiques) avec la complicité active des gouvernements.
[3] Sur cette question des nouvelles normes comptables « écologiques » consulter le site fsb.org (financial stability board – pas le « service fédéral de sécurité » russe !) et son appendice tcfd, Task Force on Climate related Financial Disclosures, fsb-tcfd.org. Les financial disclosure standards sont des normes comptables qui permettent la communication financière, à défaut de promouvoir la transparence financière.
[4] Tel est le titre du très important ouvrage de Daniel TANURO, L’impossible capitalisme vert, Les Empêcheurs de Penser en Rond, 2010.
[5] Sans même parler des résultats du premier tour, seuls significatifs, 60% des votants avec 50% d’abstentions donne bien 30% « d’adhésion », de plus manipulée – où ceux qui votent « contre » (le FN) sont convertis en « pour » (le social-libéralisme).
Où le système électoral parlementariste se présente comme une machinerie d’écrasement des « différences » et des différends.
[6] Alors que le gouvernement des macrons se présente comme « nouveau », ce sont les plus anciens tics « sociaux-libéraux » (qui renvoient à Mitterrand Bérégovoy) ou les plus anciennes manipulations (qui renvoient aux duettistes Chirac & DSK) qui se poursuivent, sans aucune nouveauté. Les mobilisations absurdes fomentées par le social libéralisme, DSK appelant à voter « sans états d’âme » pour Chirac, le PS appelant à une grande manifestation « contre le fascisme », tout cela, et le reste, est repris sans « innovation ».
Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l’évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
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