14 décembre 2017 / Nicolas de La Casinière (Reporterre)
La Zad reste prudente quant au rapport des médiateurs. On y prévoit une fête pour la victoire d’étape et une mobilisation quoi qu’il arrive. Mais le grand sujet, c’est de préparer l’avenir et les usages de la terre. Reportage.
Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), reportage
La Zad se mouille consciencieusement. Même pour répondre aux journalistes et même si le sujet du rapport des trois médiateurs ne les excite pas plus que ça. « Rien ne change. C’est vrai, l’abandon du projet d’aéroport ne va pas nous laisser indifférents, mais la seule question qu’on a envie de poser, c’est qu’est-ce qu’on fait après ? », dit une zadiste en remontant sa capuche, pluie en biais oblige.
« Dès qu’une mouche pète, on voit débouler les journalistes, mais c’est juste parce que le gouvernement est dans la merde, ajoute le fromager de la ferme de Bellevue. On ne les intéresse pas pour ce qu’on fait ici. Ca fait dix fois que je bouge mes camemberts devant des caméras, juste pour faire des images, alors que l’activité de fromager, c’est surtout du temps à laver et relaver des trucs… Nous, on continue à vivre, à produire, à habiter. » Pas sûr que beaucoup de zadistes épluchent en détail les 63 pages cosignées par Anne Boquet, Michel Badré et Gérard Feldzer.
À la ferme de Bellevue, discussion avec des journalistes.
Ce mercredi 13 décembre, loin de Matignon, la pluie est aussi grasse que grise, suintant d’un ciel bas que pique mollement le phare pointant au-dessus de La Rolandière, la longère qui accueille notamment le groupe presse de la Zad. « Les médiateurs apportent des éclairages techniques, mais la question de l’aéroport est avant tout politique, ça n’a jamais été un dossier technique, dit une des Camilles porte-parole. Comme on s’y attendait, il y a deux options. On attend donc la décision que prendra le gouvernement. Nous, ce qui nous importe, c’est l’avenir de la Zad. »
S’opposer à l’aéroport et à « son monde » n’est pas qu’une formule, l’abandon du projet ne peut être vu que comme une étape. « On est sur un territoire qui a toujours été défendu et qui garde intacte la détermination à promouvoir les usages vis-à-vis de la propriété. Il n’y a qu’à relire ce que disait déjà Michel Tarin [syndicaliste paysan, militant historique contre l’aéroport, décédé en 2015] dans les années 70. La force du mouvement, c’est sa détermination à construire ensemble l’avenir de la Zad. Plus généralement, on traverse un moment, une époque où on a conscience d’aller droit dans le mur. On a besoin d’espoir, pas de gesticulations ni de One Planet Summit. Ici, on incarne la construction de formes de vie autour de communs, dans la solidarité, avec un impact écologique plus léger, loin de la surconsommation. »
L’Assemblée des usages
Créée en septembre, l’« assemblée des usages » a tenu quatre grandes réunions avec de 50 à 120 personnes. « Les commissions, on peut en parler ? » (au journaliste). Rapide échange entre deux porte-parole pour éviter de fâcher des composantes. « Oui oui, pas de problème. » Des commissions, donc, analysent les scénarios vis-à-vis des terres, délégation de propriété de l’Etat ou autres hypothèses. Les propositions d’installations agricoles sont étudiées pour conseiller, aiguiller les postulant·es à une création de fermes vivrières, à vocation marchande, sans exploitation animale, voire sans motorisation, selon celles et ceux qui veulent s’y investir .
On y discute des conflits d’usage et des possibles règles de partage des terrains, voire du règlement des litiges sur les manières d’y cohabiter, d’accéder à des parcelles, de circuler. Tout s’y discute, se projetant un peu plus dans un autogouvernement durable de la zone, dans l’esprit du texte-charte dit des « Six points pour l’avenir de la Zad ».
Les paysans du collectif Copain ne sont pas très prolixes : « On avait décidé dès le départ de ne pas participer à la médiation. On a laissé la Confédération paysanne intervenir sur l’artificialisation des sols. Le volet technique, c’est pas trop notre logique. Bien sûr, c’est intéressant que, pour la première fois, l’aménagement de l’actuel aéroport soit pris en compte. Mais tant qu’on n’a pas la réponse du gouvernement… » dit Cyril Bouligand.
La fiesta de la victoire
Depuis l’été, le climat est plutôt à un étrange optimisme. La composition du trio de « médiateurs », qui sont plutôt apparus comme des consultants du gouvernement, et les retours des groupes qui ont joué le jeu des auditions, laissait présager une écoute plus sincère des arguments des opposants, notamment sur l’idée de faire avec l’existant en améliorant l’actuel aéroport au sud-ouest du centre-ville. « Mais on reste toujours prudents. C’est vrai les détails techniques relevés par le rapport des médiateurs, confortent la majorité des arguments des opposants mais tout peut être retourné comme une crêpe. On se souvient du point de vue contre le projet émis et argumenté par la rapporteure publique à la cour administrative d’appel de Nantes en novembre 2016 qui, à la surprise générale des juristes, n’avait pas du tout été suivi. »
Pour anticiper, certains évoquent depuis septembre l’éventualité d’une fête à improviser sur place en cas d’annonce de l’abandon du projet d’aéroport et d’afflux de militants voulant se retrouver pour marquer ça en réjouissances. « Oui, on s’accordera un moment de célébration de la victoire, chacun aura une joie d’avoir contribué, mais rien ne sera joué à ce moment-là, lors de l’annonce de la décision politique. Toutes les parties vont forcément montrer les muscles… »
L’idée de fiesta en cas de victoire sur le projet d’aéroport entend réaffirmer que le combat ne s’arrêterait pas là mais évoluerait sur la défense d’une zone d’expérimentation de pratiques agricoles, de production, d’échanges ou autres, hors des diktats de l’économie capitaliste.
Un bien commun des luttes
Au même moment, le message de mobilisation est réactivé auprès des comités de soutien dans toute la France : lors de l’annonce de la décision du gouvernement, rassemblement devant les préfectures partout en France. C’est un rappel des appels : « S’ils reviennent… Mobilisations, occupations, blocages » de fin 2016 quand l’expulsion de la Zad paraissait plausible et imminente.
Parallèlement, chacun a conscience sur le terrain que la machine à fantasmes est repartie à plein. Un journaliste de France Info parle ce 13 décembre de zadistes « prêts à faire couler le sang ». Quatre jours avant, Valeurs Actuelles croit savoir que le bocage est truffé de pièges à couper des pieds, copiés sur la guérilla vietnamienne. Son journaliste, ancien du ministère de l’Intérieur de l’ère Sarkozy, reprend les élucubrations les plus absurdes de la paranoïa policière, assurant aussi que les zadistes cachent un armurerie, et sont prêts à tuer, entraînés par des anciens commandos des forces spéciales devenus anarchistes…
« Ce n’est pas la première fois qu’on entend ce genre de fables, dit un zadiste. Il va falloir démonter ces fictions, redire que le mouvement est composé de beaucoup de gens différents, naturalistes, paysans, militants politiques qui ont su se forger un horizon commun. En stigmatiser une partie est un grand classique, jusqu’à inventer des proto-terroristes, pour nier tout ce qu’a d’inspirant ce mouvement, et bien au-delà de Notre Dame des Landes, au point que certains l’ont qualifié de « bien commun des luttes »… »
Les comités anti-aéroport se préparent aussi à une grande mobilisation sur la Zad pour la fin de la DUP (déclaration d’utilité publique) du 8 février 2018. Comme on le voit, le calendrier de l’avenir commence tout de suite.
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