Intelligence artificielle : qui sera maître du monde ?

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Illustration. (ZHANG CHENLIN/XINHUA)

MONDOVISION. L’intelligence artificielle pourrait devenir un outil de domination dans la géopolitique mondiale. Une perspective qui n’est pas sans danger.
Pierre Haski Publié le 17 septembre 2017

Vladimir Poutine a au moins une qualité : il parle cash. La semaine dernière, il a dit tout haut ce que la plupart des dirigeants du monde pensent tout bas :
« Le pays qui sera leader dans le domaine de l’intelligence artificielle dominera le monde. »

Généralement, l’intelligence artificielle (IA) est évoquée dans le contexte d’évolutions positives, sur la santé ou la régulation de la circulation par exemple, ou négatives comme son impact sur l’emploi ou encore la possibilité – pour l’instant du domaine de la science-fiction – qu’une « IA » développe un jour une « conscience » et s’impose à ses créateurs, les humains.

Mais il est rare qu’on en parle en termes géopolitiques comme vient de le faire très crûment le président russe. Le plus étrange est le contexte de cette sortie : pas une grande conférence stratégique comme celle de Munich où, en 2007, il avait dénoncé l' »unilatéralisme américain » mais une téléconférence suivie par plus d’un million… d’écoliers russes, à l’occasion de la rentrée scolaire !

Faisant écho à cette sortie, Elon Musk, le patron de Tesla et de SpaceX, a aussitôt tweeté : « Ça commence… », en lien avec la déclaration de Vladimir Poutine. Avant de poursuivre :
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« La compétition pour la supériorité nationale en matière d’IA sera la cause la plus vraisemblable de la troisième guerre mondiale. »

Rien que ça.

Lire aussi: [Pour Elon Musk, l’intelligence artificielle peut mener à la troisième guerre mondiale
Dominer le monde->http://tempsreel.nouvelobs.com/tech/20170905.OBS4253/pour-elon-musk-l-intelligence-artificielle-peut-mener-a-la-troisieme-guerre-mondiale.html]

Et s’il était nécessaire d’en rajouter dans cette surenchère, il suffirait de se tourner vers Yuval Noah Harari, l’historien israélien et auteur à succès, qui se trouvait cette semaine à Paris pour le lancement de l’édition française de son livre fulgurant, « Homo Deus, une brève histoire de l’avenir » (Albin Michel).

Harari prédit que les développements de l’intelligence artificielle et des biotechnologies risquent de produire une couche de « surhommes augmentés » qui vont dominer le monde, et transformer le reste de l’humanité en « classe inutile ». Une démonstration étayée par de nombreux exemples tirés des avancées technologiques et des changements de monde qu’elles impliquent.

Lors d’une présentation de son livre devant un parterre d’invités, dont la commissaire européenne Margrethe Vestager – la femme qui défie les Gafa (Google-Amazon-Facebook-Apple) – Yuval Harari a prédit que ces avancées scientifiques allaient générer des inégalités sans précédent dans l’histoire de l’humanité, à l’intérieur des sociétés, mais aussi entre les nations. Le fossé entre ceux qui maîtrisent ces technologies et ceux qui n’y auront pas accès sera non seulement plus grand qu’entre les pays industriels et les autres au XIXe et XXe siècles mais surtout, il ne pourra plus jamais être comblé, a-t-il dit.

En particulier, comme il l’expliquait à « l’Obs » la semaine dernière, la matière première de l’avenir, c’est la donnée, « nos » données personnelles, captées allègrement par ceux qui en ont la capacité. Les maîtres du jeu seront les grands prêtres de la nouvelle religion, le « dataïsme »…

Lire aussi: L’auteur de « Sapiens » est de retour, et il nous alerte sur l’avenir de l’humanité

Le propos de cet auteur, qui avait connu un succès mondial avec son livre précédent « Sapiens », a suffisamment attiré l’attention pour que le président Emmanuel Macron le reçoive à l’Elysée, quelques jours après avoir confié au mathématicien (et député LREM) Cédric Villani une mission sur l’intelligence artificielle.

La déclaration de Vladimir Poutine sur l’intelligence artificielle a au moins le mérite de donner à ce débat – dont le grand public pourrait penser, à tort, qu’il ne le concerne pas ou qu’il est trop complexe –, une simplicité originelle : le chef du Kremlin raisonne en matière de domination et de soumission, sur l’intelligence artificielle comme sur le reste.

Lire aussi:[ L’intelligence artificielle ? Même pas peur !

 >http://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20170321.OBS6896/l-intelligence-artificielle-meme-pas-peur.html]

Chine, Israël…

L’IA n’est donc pas seulement un enjeu économique majeur qui prend la forme – pas si anodine que ça d’ailleurs – d’Alexa, le robot intelligent d’Amazon qui répond à tous vos besoins domestiques et fait même réviser les tables de multiplication à vos enfants. L’IA peut aussi être un moyen de domination.

Pas de hasard de ce côté-là : les plus grands investissements en intelligence artificielle se trouvent chez les deux géants rivaux du XXIe siècle, les Etats-Unis et la Chine avec, vraisemblablement, un avantage aux Chinois en matière de de budgets investis.

Tout le monde connaît Google, Microsoft ou Amazon, les immenses entreprises américaines auxquelles nous avons recours presque quotidiennement. Certains connaissent Alibaba, le géant du e-commerce chinois fondé par le très médiatique Jack Ma, mais peu d’Européens connaissent Baidu ou Tencent, deux entreprises chinoises aussi importantes que leurs homologues américaines, qui investissent massivement dans l’intelligence artificielle.

Sans compter les centres de recherche liés aux systèmes de défense, qui, dans les principaux pays au monde, sont aujourd’hui choyés, budgétés, et valorisés. Israël, par exemple, au-delà de la « start-up nation » qui a produit l’appli de guidage Waze et quelques autres produits grand public, a créé un écosystème de recherche qui part d’abord de ses besoins militaires.

Lire aussi: [Jack Ma, le d’Alibaba : « J’ai toujours été l’objet de fantasmes »
>http://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20170124.OBS4274/jack-ma-le-roi-d-alibaba-j-ai-toujours-ete-l-objet-de-fantasmes.html]

Et la Russie ?-

Dans une tribune sur le site de CNN, le chercheur américain Gregory C. Allen, auteur d’une étude sur « l’intelligence artificielle et l’enjeu de sécurité nationale », fait valoir que la Russie de Poutine n’est pas aujourd’hui dans le peloton de tête de la recherche en IA, sauf dans le domaine de l’armement :
« Malgré les grandes ambitions de Poutine, écrit-il, la quête russe de domination de l’IA ne viendra pas par le biais de percées technologiques. Les Etats-Unis et la Chine ont des industries numériques bien plus importantes, plus sophistiquées et à plus forte croissance que la Russie. »

Avant de poursuivre : « En revanche, la Russie pourrait bien devenir leader dans la militarisation de l’IA dans la poursuite de son objectif stratégique qui est de mettre fin à l’hégémonie américaine dans le système international et rétablir l’influence russe dans l’ancienne sphère soviétique. La Russie n’a jamais été non plus un leader dans les technologies internet, et pourtant a développé une force importante de hackers qui ont pu faire tomber une grande partie du réseau électrique ukrainien, infiltrer les installations nucléaires américaines, et semer le chaos dans l’élection américaine de 2016″.

Peut-on encore empêcher cette militarisation de l’intelligence artificielle, et cette concurrence nationale à des fins de domination qui inquiète Elon Musk, décidément de plus en plus alarmiste sur l’IA ? Ça paraît difficile dans le climat international actuel aux allures de nouvelle guerre froide, qui fait tomber les réserves éthiques comme il y a un demi-siècle lors de la rivalité Est-Ouest.

L
journaliste

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