Publié le 4 août 2017 | Mise à jour le 6 août
En cet été 2017, la France se résigne. Le nouveau gouvernement met en place la casse méticuleuse des acquis sociaux. En cet été 2017, le silence est grand : ni cri de liesse de la part des vainqueurs, ni cri de rage de la part des vaincus. Tentative d’analyse. Chapitre 1 : où en sommes nous ?
En cet été 2017, la France se trouve dans une situation bien paradoxale. Elle a placé à sa tête un président qui, bien qu’élu avec plus de 65 % des suffrages, n’a pas été choisi pour ses idées (quoiqu’il puisse en penser). Le gouvernement se lance dans des réformes sans précédent pour liquider un modèle social vieux de plus de 70 ans et qui a montré ses preuves. Le tout dans un contexte sécuritaire institutionnalisé et sur lequel tout le monde s’accorde pour dire que ce n’est pas la solution.
Si quelques manifestations et rassemblements ont accompagné les résultats électoraux, si quelques personnes ont tenté de tenir des discours dans les médias pour rappeler les conditions de cette élection (abstention d’un quart de la population votante, plus de 10 % de bulletins blancs et nuls dans les bureaux… soit 35 % de personnes qui se taisent), si l’absence de liesse des « vainqueurs » politiques est aussi significative du peu d’enthousiasme, où sont passés aujourd’hui les revendications, les Français qui au printemps 2016 contestaient majoritairement la Loi travail et ses conséquences ?
Cet espace dépressif qui apparaît au lendemain des échéances électorales semble correspondre au soulagement d’avoir évité le pire. Sans doute, mais pas seulement. Cette victoire sans adhésion est une bien étrange défaite pour la majorité des électeurs.
En cet été 2017, nous voilà face à une étrange défaite de la démocratie
Depuis 2002 et le face-à-face Chirac/Le Pen, une frange des électeurs se trouve, à chaque second tour, confrontée à une situation qui les contraint à faire des choix en contre. Ils ne votent plus pour un candidat et ses idées, mais votent en contre, pour le « moins pire », le « moins dangereux », le « moins nauséabond ».
2017 a poussé la situation à son paroxysme : après avoir voté contre Sarkozy au premier tour de la primaire de droite, les voilà qui votent contre Juppé au second, puis contre Valls au second tour de la primaire de gauche puis contre Fillon ou Hamon au premier tour des présidentielles et enfin contre Marine Le Pen au second ! Que s’est-il passé pour que le vote en contre devienne un fait démocratique, un pis-aller accepté voire nécessaire et suffisant ? Sans doute les discours médiatiques ont réussi à faire croire que l’abstention ferait le lit du Front National et des « extrêmes ». Ils valident ainsi l’idée que se taire n’est pas s’opposer, mais favoriser le pire, et que voter utile dès le premier tour est absolument nécessaire.
On ne peut alors que s’interroger sur l’objet de cette démocratie. Comment la définir autrement que par une ploutocratie qui prendrait des allures de démocratie ? On pourrait en débattre longtemps et s’écharper sur les termes. Toujours est-il qu’elle peine de plus en plus à créer des choix positifs, des choix d’adhésion.
En cet été 2017, nous voici face à une étrange défaite des idéaux
De plus en plus de personnes votent FN et paradoxalement de moins en moins de personnes semblent scandalisées. En dehors même de la question du « front républicain » et des consignes des appareils politiques, les manifestations citoyennes (républicaines nous disait-on en 2002) ont réuni bien moins de monde aux lendemains de ces dernières élections. C’est une banalisation d’un vote dit de colère, de révolte, de ras-le-bol. Explications dont usent abondamment les médias et qui occultent tout de même que ce parti est surtout raciste, sexiste, homophobe, antisémite, et que voter pour lui signifie adhérer à ses idées. Il devient ainsi aussi banal de voter en contre que de voter pour le Front National.
Telle est la somme des situations qui fait l’essence du vote utile et qui aboutit au passage à ne plus croire en quelque chose, en un idéal politique, mais à adopter la posture la moins grave, la posture la plus adaptable à la majorité (molle de fait). Situation qui n’est pas sans lien avec la culture du risque qu’on nous inflige : ne plus prendre de risque à l’image de la répétition incessante des médias et des institutions (et ce dans tous les domaines de la vie civile). On nous éduque à la politique de la prévention du risque. On nous éduque à jeter efficace (en triant), à consommer efficace (en un clic), à voter efficace (sans conviction). Et cette éducation réussit même, au fil des décennies, à nous faire intégrer l’idée qu’une politique radicale (qu’elle soit de droite ou de gauche) n’est pas applicable, voire serait une mise en danger irréfléchie et suicidaire de notre nation. Un pays ne se gouvernerait qu’au centre et dans la mollesse.
Poussée à l’extrême cela fait de la lutte, du conflit, un système improductif, sinon dangereux. Cela génère des tensions, de la violence. Il en découle un discours banalisé qui décrédibilise toute expression politique et plus encore les engagements des militants, des syndicalistes, et même des simples indignés, et qui finit par enterrer l’idée même de la lutte. Ce faisant la classe dirigeante (cette même bourgeoisie votante et élue) entérine l’existence de sa seule caste et l’écrasement des autres. Elle n’est pas sans relation aussi avec le discours néo-libéral d’individualisation (des parcours, des accords d’entreprises…) qui cherche à gommer tout recours au collectif, à la solidarité. Cette dernière devenant même un danger face à l’intérêt individuel.
En cet été 2017, que nous est-il possible d’espérer ?
Marx est vieux, les syndicats sont ringards, les politiques peu crédibles, et les quelques-uns auxquels on peut encore se raccrocher finissent régulièrement par se brûler les ailes en jouant le jeu des postes à pouvoir, ou pire des postures de pouvoir.
C’est en parallèle à cette brusque disparition des autorités de pensée, à l’effacement de références, que se fait un recours à l’homme providentiel. Quand la peur, le doute ou l’absence de valeurs paralysent les volontés individuelles et collectives, il est plus aisé d’espérer qu’arrive celui qui prendra en charge l’idéologie, et sa mise en actes. Quitte à ce qu’il ne se réclame de rien, ou de tout, à l’image d’E. Macron.
Finalement, cette situation semble satisfaire tout le monde, la majorité des électeurs en tout cas, et peut-être même une partie des opposants politiques à Emmanuel Macron. Après avoir élu le moins pire, le moins radical, le moins connu, le moins vieux, tout le monde peut grogner, tout le monde peut dire que ce n’est pas la panacée, tout le monde peut continuer à penser que lui aurait mieux fait, mais personne n’ose plus agir, ni même proposer une véritable alternative à cette démocratie fuyante.
Et pour écraser toute velléité contraire (comme s’il le fallait d’ailleurs), tout cela s’opère dans un contexte de sécurisation absolu : ordre policier, voisins vigilants, état d’urgence permanent, criminalisation de la revendication sociale, hypertrophie des interventions policières… mais aussi sécurisation (affichée, mais peu convaincante) des parcours de carrière (nous dit-on), des apprentissages et de la formation, des dossiers médicaux… Le tout avec une menace insidieuse relevant de la pénalisation sociale différenciée. Si vous êtes fichés S pour toute déviance (même pas radicale), vous êtes rayés des listes, si vous refusez trois propositions d’embauche, vous perdez le chômage.
Entre ostracisation sociale par la violence (policière ou pas) et intériorisation des formes d’auto-soumission et d’auto-contrôle, voici ce qui caractérise aujourd’hui le moule social en France (et sans doute pas qu’en France, dans le monde occidental dans son ensemble) après la victoire d’Emmanuel Macron. Une victoire qui marque une étrange défaite pour tous ceux qui ne se résignent pas au libéralisme comme horizon indépassable. Tout l’enjeu est de savoir aujourd’hui s’il y aura une résilience de la contestation sociale, ou peut-être même seulement de savoir s’il est possible qu’il y en ait une. Rien de moins sûr. Mais continuons à faire façade en jouant des idées, des postures, en faisant semblant de réfléchir, en éduquant à la consommation à outrance pour sauver le marché…
K.D. – D.R.
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