Publié le 12 avril 2017
Premier texte d’Antonin depuis sa libération après 10 mois passés en prison suite à l’affaire de la voiture de flic brûlée durant le mouvement contre la loi travail.
Liberté !
Deux semaines se sont écoulées depuis ma libération, après dix longs mois d’enfermement derrière les murs de la maison d’arrêt de Fleury Mérogis. Je m’excuse d’avoir tant tardé à m’exprimer, mais la « sortie » et le « retour à la normale » m’ont demandé un certain temps d’adaptation.
A travers ce texte je souhaiterais tout d’abord exprimer mes remerciements et ma reconnaissance envers toutes les personnes qui se sont mobilisées pour exiger ma libération, et toutes celles qui m’ont soutenu au quotidien sur toute la durée de ma détention. Je pense avant tout aux membres de ma famille, les plus touchés par l’épreuve qui leur a été imposée, victimes collatérales du système judiciaire et victimes à part entière du monde carcéral, mais qui ont fait face à mes côtés à chaque instant, tout en se mobilisant pour faire connaître ma situation afin de créer des liens de solidarité . A mon frère, qui a lui aussi subi la prison et la vengeance d’État, et qu’il m’est encore interdit de voir et de serrer dans mes bras. A tout mes proches, qui ont été présents depuis le début, et qui m’ont soutenu jusqu’au bout.
Je remercie une fois encore les professeurs de sociologie de la fac de Nanterre, qui m’ont permis de poursuivre mes études, de sortir l’espace de quelques heures de ma seule condition de détenu tout en me donnant les armes pour affronter la prison avec un regard critique. Je remercie également toutes les structures et toutes les personnes qui se sont mobilisées pendant ces dix mois à travers des actes concrets, ou qui se sont simplement exprimées par quelques mots écrits sur une lettre, pour me rappeler que, même loin de tout, je n’étais pas seul. Enfin, je voudrais remercier les camarades, d’ici et d’ailleurs, qui font face à la répression par la continuité des luttes, partout et toujours.
Je souhaiterais également adresser toutes mes pensées à tous les hommes et à toutes les femmes qui sont enfermés, et qui perdent inutilement leur vie dans les geôles de la république. A toutes ces familles qui sont plongées contre leur gré dans les méandres du monde carcéral, mais qui restent dignes et présentes pour leur proches incarcérés. A toutes celles et ceux qui, derrière les murs, s’efforcent de rendre la détention plus humaine, et aux autres qui, de l’autre côté, luttent contre l’injustice de cette institution.
Ma libération est une première victoire. Victoire de mes proches qui sont restés fiers et dignes malgré la souffrance et l’attente. Victoire de toutes celles et ceux qui se sont mobilisés pour exiger ma libération et qui ont su contrer la machine judiciaire, qui avait la ferme intention de me maintenir en prison jusqu’au procès, malgré un dossier mené à charge et sans preuve, pour rendre la peine inévitable. Victoire sur la prison, dont j’ai franchi les portes la tête haute et le regard fixé vers l’avenir, fort des rencontres que j’y ai faites et des expériences que j’y ai vécues, plus révolté et plus déterminé que jamais à lutter contre ce système écœurant et la violence de ses institutions.
Mais le combat est loin d’être terminé. Il y a urgence à s’organiser collectivement pour exiger la libération des trois personnes encore incarcérées dans cette affaire, et l’abandon des poursuites pour tous les mis en examen. La fin de l’information, annoncée par la juge d’instruction en charge du dossier il y a quelques jours, doit marquer le début d’une vraie mobilisation pour arriver à ces fins, pour faire tomber les chefs d’inculpations abjectes de « tentative d’homicide volontaire », « de bande organisée » ou « d’association de malfaiteurs », faire sortir les derniers incarcérés, maintenus en détention provisoire alors que celle ci n’est même plus justifiée juridiquement, et exiger l’abandon des charges, en replaçant cette affaire et le jugement qui doit suivre pour ce qu’ils sont : le procès du mouvement social, et de toutes celles et ceux qui se sont mobilisés contre la loi travail et son monde, inscrits dans une stratégie de criminalisation des luttes engagées depuis longtemps.
L’affaire du « quai de Valmy » ne peut se comprendre que dans la continuité des politiques sécuritaires et de la répression généralisée qui s’accentuent d’année en année : Justice de classe, licenciements et condamnations des travailleurs et syndicalistes en luttes, avec l’exemple des salariés d’Air France ou des Goodyear. Protection d’un ordre social sécuritaire et répression des mouvements sociaux, arrestations, assignations à résidence et incarcérations de militants révolutionnaires. Islamophobie institutionnalisée sous couvert d’état d’urgence, traduite par des centaines de perquisitions administratives, de fichages généralisés et d’arrestations arbitraires. Racisme d’Etat et domination policière dans les quartiers populaires, multiplication des contrôles au faciès et des violences quotidiennes, incarcération systématique pour les jeunes racisés, allant jusqu’au viol dont à été victime Théo, ou aux meurtres d’Adama Traoré et plus récemment de Shaoyo Liu. Les victimes de la répression sont toujours plus nombreuses, et toujours plus isolées. Il est plus que temps aujourd’hui de construire de vrais liens de solidarité et de faire converger nos luttes vers des victoires communes.
Avec l’espoir que des temps de discussions et d’organisations naissent dès cette réflexion, je réitère mon soutien à tous les prisonniers du mouvement et à toutes celles et ceux qui payent le prix de leur révolte par l’enfermement et la violence d’Etat.
Liberté pour tous les prisonniers du mouvement, Kara, Nico, Krème et Damien
Liberté pour Bagui Traoré
Liberté pour tou-te-s
Antonin
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