L’Université Populaire de Perpignan (UPP) et la Librairie Torcatis vous invitent à la présentation du livre
LA REVOLUTION, ENTRE HASARD ET NECESSITÉ d’ Octavio Alberola,
avec la participation d’Henri Solans.
Ouvrage paru aux éditions Atelier de création libertaire
« Il n’y a pas d’autre alternative aujourd’hui que celle de se révolter ou d’être complice de ce que le monde peut advenir aux mains des obsédés par les richesses, le pouvoir et le développement technologique. » O. A.
Préambule de Carlos Taibo pour l’édition en espagnol :
Bien d’idées qu’Octavio Alberola défend dans les pages de ce livre font écho aux miennes. Premièrement, c’est le dessein d’octroyer un relief plus grand à la conduite des gens qu’à la doctrine à laquelle ils adhèrent. “Accomplir des rituels et se donner des noms différents aux communs, lire des œuvres d’auteurs anarchistes, assister de manière routinière aux réunions et meetings anarchistes et se prétendre anarchiste, ce n’est pas la preuve de l’être”, affirme avec raison son auteur. Deuxièmement, c’est la recherche de l’hétérodoxie face aux dogmes et aux vérités révélées, une recherche qu’Octavio Alberola a assumée – avant 1968, il est nécessaire de le souligner – et qu’il a réalisée avant tout dans l’action concrète, comme le montre son attitude durant les longues années d’exil, et de prison, face à la “tranquillité militante” – je cite les mots d’Alberola – d’une partie du mouvement libertaire. Troisièmement, c’est l’urgence, visible dans plusieurs des textes inclus dans ces pages, de combiner avec sagesse la mémoire et le présent, sans délaisser ni l’une ni l’autre. Quatrièmement, c’est le refus de tout sectarisme, une volonté expresse d’ouverture à d’autres courants de la pensée et à diverses formes de l’action. De plus, derrière cette ouverture il est aisé d’identifier le désir d’élaborer une praxis qui nous permette d’échapper au système et de repenser ce que signifie une violence révolutionnaire – laquelle sera peut être inévitable, au moins comme mécanisme vital d’autodéfense, dans le contexte d’un probable effondrement de ce système. J’ajouterai enfin que j’apprécie, dans ce livre et dans la vie d’Octavio Alberola, le ferme résolution de formuler les questions importantes et de fuir les vétilles et atermoiements, toujours depuis la conscience des énormes limites de ce que nous faisons et, très souvent, de son manque de charme. Car, c’est une grande évidence que ce que nous avons en tête paralyse très souvent notre désir de nous émanciper et, avec lui, notre talent pour le faire.
Je crois pas qu’Octavio Alberola me démentira si je me permets d’affirmer encore que, pour lui comme pour moi, les anarchistes les plus accomplis sont très fréquemment ceux qui ne savent pas qu’ils le sont. A ce sujet, je me suis souvent trouvé confronté à des interrogations sur les fortes limites qu’avait révélées, dans l’histoire et sur le papier, la mise en oeuvre de la proposition libertaire. Tel de mes interlocuteurs alléguait qu’elle n’avait brillé qu’à des moments bien précis et pendant des périodes très brèves : les soviets dans les révolutions russes du XXème siècle, les conseils ouvriers en Allemagne, en Italie ou en Hongrie, les collectivisations des terre et des usines durant la guerre civile espagnole… J’ai toujours répondu fermement à cet argument que, pour moi, les sociétés humaines, en majorité et durant la plus grande partie du temps de leur existence, se sont édifiées avec pour horizon l’auto-organisation, l’autogestion, la démocratie et l’action directe, et de l’entraide. Et cela jusqu’au point d’oser affirmer – avec un peu de provocation – que ce qui est exceptionnel c’est le monde du capital, de l’État et du patriarcat. Cet approche qui explique qu’il y a toujours eu beaucoup anarchistes et il continuera surement à y en avoir dans le futur, sans qu’il soit nécessaire d’avoir lu Bakunin, Kropotkin et Malatesta.
Dans les pages finales de ce livre il y a un argument intéressant et pertinent qui, pour des raisons évidentes, me touche singulièrement Je me réfère à la critique instante du progrès et de ses « avenants » technoscientifiques, de même que celle de la consommation et des illusions qui l’accompagnent. Une critique exercée depuis la conscience de la nécessité pressante de se libérer du mercantilisme dominant toutes les relations, tout en visant, dans l’arrière-boutique, ce capitalisme global qui se dirige à marche forcée vers un effondrement du système et devrait nous obliger à actionner le frein de secours, comme Walter Benjamin nous y invitait. J’ai soutenu souvent que la proposition libertaire se justifiait historiquement par elle-même, chaque moment apportant à son profit des sollicitations nouvelles, celui de l’effondrement du système me paraissant, à cet égard, singulièrement sérieux et concluant. C’est pourquoi je suis persuadé que, si la raison habite même un petit peu l’espèce humaine, l’unique riposte convaincante face à l’effondrement réside, précisément, dans la défense de l’auto-organisation, de la démocratie directe et de la solidarité. Même s’il est probable qu’une société d’orientation libertaire tente de s’ouvrir spontanément le passage dans l’ère qui suivra l’effondrement du système, il serait dangereux que, sur la base de cette conviction, nous renoncions aux luttes d’aujourd’hui, qui assument tantôt la forme d’un effort d’autogestion et socialisation des servicespublics, tantôt celle de la création d’espaces autonomes autogérés non soumis au mercantilisme, et, je l’espère, rompant avec le patriarcat. Dans une tentative de fondre le vieux avec le neuf, j’ai répondu, cela fait peu de temps, à un journaliste que, selon moi, nous, les libertaires, devions chercher la convergence avec tous ceux qui croient à l’autogestion, et la pratiquent, et ceux qui, en même temps, sont conscients des défis à relever au moment où le système s’effondrera.
La réflexion d’Octavio Alberola me paraît s’inscrire dans cet ordre des choses, et je finis sur ce point, il me paraît être lui-même un très bon lien entre les générations. Le légitime intérêt qu’il accorde depuis toujours au débat d’idées ne peut néanmoins occulter l’intérêt de son parcours personnel, qui suit des étapes aussi signifiantes que la lutte antifranquiste, la dénonciation des misères de la « démocratie », la faillite du mythe soviétique, la farce de la globalisation et, bien sûr, l’effondrement qui se profile… avec, à tout moment, un oeil en Espagne et un autre – il ne faut pas l’oublier – en Amérique latine. Ce parcours personnel devient si allusif que par moments le récit autobiographique qui fait partie du livre m’a laissé sur ma faim. Dans tous les cas, Il reste l’exemple d’Octavio Alberola comme volonté inébranlable de repenser l’anarchie confrontée au capital et à l’État.
Carlos Taibo, novembre 2016
Carlos Taïbo : Écrivain, éditeur et professeur de science politique à l’Université autonome de Madrid. Il est considéré comme un des penseurs majeurs du mouvement anti mondialiste, de la décroissance, de la démocratie directe et de l’anarchisme en Espagne. Membre actif du mouvement du 15 M (« Les indignés ») dès le départ, il ne se reconnait pas dans Podemos. Carlos Taïbo est l’auteur de nombreux ouvrages .Il a également fait de nombreuses conférences à travers l’Espagne sur différents thèmes comme « crise économique et décroissance », « État ou nationalisme espagnol », ou encore « repenser l’anarchisme ».
Commentaires récents