Publié le 3 mars 2017 |
La tambouille électorale qui dure déjà depuis de nombreux mois nous entraîne d’indigestions en dégouts. Mais la configuration Macron – Hamon – Mélenchon n’est pas sans rappeler les élections législatives de 1902, où les Sieurs Drake, Pic-Paris et Restiaux se disputaient la 1ère circonscription de Tours.
En Indre-et-Loire, aux élections législatives de 1902, arrondissement de Tours (1ère circonscription), trois hommes se disputent la vedette : Jacques Drake del Castillo dit « Drake », propriétaire du château de Candé et ami des banquiers, sensément Républicain Progressiste ; Eugène Pic-Paris, maire radical de Tours, héritier d’une vieille tradition politique, et plutôt marqué vers une gauche molle ; et Restiaux, l’outsider, candidat des socialistes révolutionnaires.
Pour cette occasion, nous avons retrouvé un tract d’époque du groupe anarchiste de Tours :
Camarades,
Les luttes stériles et incohérentes de la politique vont à nouveau se dérouler sous vos yeux ; la chasse aux mandats [législatifs] va donner lieu à toutes espèces de compromissions, dont vous, peuple souverain d’un jour, vous allez faire tous les frais ; la mi-carême [1] électorale va commencer, et tous les candidats vont s’affubler du masque qui convient le mieux pour duper, une fois de plus, les électeurs par des programmes mensongers parce qu’irréalisables, et seraient-ils réalisables et réalistes, qu’il n’y aurait pour le peuple aucune amélioration, parce que les programmes sont d’origine politique, et que les maux sociaux sont et ne peuvent être que la conséquence de faits économiques.
On dit au peuple que le bulletin de vote est une arme d’émancipation, cela est faux, puisque le bulletin de vote ne peut que constituer l’autorité des hommes sur d’autres hommes, ou maintenir l’autorité établie. Or, partout où il y a autorité, la liberté est un leurre, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas être.
Si nous examinons les candidats à Tours, nous voyons en première ligne le parasite Drake prendre le masque de républicain, alors que tous savent que le veau d’or [incapable] Drake est le porte-drapeau de tous les exploiteurs, de toute la prêtraille, de tous les vautours de la bourgeoisie. Ce roi fainéant n’a même pas le courage d’affronter une réunion publique, il préfère soudoyer de son or malhonnêtement acquis tous les maquereaux de la ville pour imposer sa célèbre nullité.
Les radicaux portent en deuxième ligne M. Pic-Paris comme candidat. Au point de vue politique, les radicaux semblent supérieurs aux autres partis politiques, au fond, ce sont les mêmes erreurs : les radicaux se sont déclarés les défenseurs à outrance de la propriété individuelle, source de tous les maux sociaux ; donc quel que soit le programme des radicaux, il est frappé par avance de stérilité. Ce parti politique a trompé les travailleurs pendant 25 ans, avec la séparation de l’église de l’État. Arrivé au pouvoir, à maintes reprises les champions du radicalisme ont soutenu le budget des cultes. Que M. Pic-Paris fasse un pas en avant et laisse derrière lui les fantoches du radicalisme, ou nous serons autorisés à accoler son nom aux Brisson [2] et aux Bourgeois [3] ; et nous crions bien haut que le parti radical est un parti d’incapables et d’exploiteurs de la crédulité publique.
Reste le camarade Restiaux, candidat des révolutionnaires. Celui-là nous intéresserait davantage s’il n’avait lui aussi formulé un programme aussi stérile que les autres : car que les partis bourgeois trompent le peuple nous le comprenons, ils sont dans leur rôle ; mais les travailleurs trompant d’autres travailleurs, nous refusons de l’admettre. Or qui dit programme dit Parlement, qui implique gouvernement, et gouvernement implique société autoritaire. Or où donc sont les principes révolutionnaires politiques, où donc est la lutte des classes ? Tout cela disparaît, pour faire place à toutes les duperies politiques dont le peuple est et sera toujours victime.
Donc, place à la raison, à bas la politique !
Place à la liberté, à bas l’autorité !
Que tous les opprimés se persuadent que seule une reprise de possession du sol, du sous-sol, des moyens de production, et enfin de toutes les richesses sociales pour les mettre au profit de tous, pourra assurer à tous la liberté intégrale et le bonheur par l’anarchie.
Groupe libertaire de Tours, 1902
En 1902, le mouvement libertaire est implanté à Tours depuis déjà une dizaine d’années. Un grand nombre d’anarchistes de Paris et d’ailleurs sont amenés à y intervenir régulièrement, de Louise Michel à Albert Libertad, en passant par Sébastien Faure et André Lorulot. L’année où paraît ce tract, le « Groupe Libertaire de Tours » se compose d’une vingtaine de compagnons, et parmi eux : Auguste Delalé, ancien gérant du Père Peinard [4] et du Révolté [5]. C’est aussi cette année-là que les anarchistes de Tours prendront une part active à la dénonciation de « l’affaire du Refuge ». C’est finalement Drake, « le porte-drapeau de tous les exploiteurs », qui avait remporté l’élection.
Carte postale représentant le Carnaval de Manthelanais, 1928 © Archives Départementales d’Indre-et-Loire, 10Fi143-0017.
Notes
[1] La Mi-Carême est une fête carnavalesque traditionnelle.
[2] Henri Brisson, radical, plusieurs fois ministres et président du Conseil des Ministres sous la IIIe République.
[3] Léon Bourgeois, théoricien du radicalisme, ancien président du Conseil des ministres et un des rares hommes politiques à avoir présidé les deux chambres du Parlement que sont la Chambre des députés et le Sénat.
[4] Journal créé par le militant anarchiste et syndicaliste Emile Pouget, futur fondateur du premier organe de la CGT : La Voix du Peuple en 1900.
[5] Journal fondé, entre autres, par Pierre Kropotkine et Elisée Reclus, deux des penseurs anarchistes les plus écoutés.
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