18 septembre 2016 par Commission Journal (mensuel)
Tous les logements français vont bientôt être concernés par le remplacement – gratuit – de nos compteurs électriques classiques par des compteurs « intelligents ». Dispositifs polluants, les compteurs connectés sont surtout un accès direct à des données personnelles qui représentent un énorme marché.
Les compteurs « intelligents » vont bientôt envahir nos logements. Cela débutera avec les compteurs électriques, le bien connu Linky (EDF), dont la mise en place en France est estimée à 5 milliards d’euros à l’horizon 2020 ; ensuite viendront les compteurs à gaz Gazpar (GrDF-Engie) ; et à plus long terme ceux d’eau avec Consospy. Tous seront reliés à Internet par radio, c’est-à-dire sans fil, et donc interrogeables à distance en permanence, avec toutes les ondes additionnelles afférentes et des milliers d’antennes-relais nouvelles.
Parmi les risques induits par ces nouveaux compteurs connectés, il en est un peut-être moins connu mais plus dangereux à terme : il s’agit de leur capacité à « espionner » en permanence les habitudes de vie et de consommation de chacune et chacun, et l’accumulation de données personnelles qui en résulte. En effet, le marché mondial des données personnelles est en pleine expansion, c’est le nouvel « or noir » de l’économie numérique du XXIe siècle. Ces données sont la base du modèle économique des géants comme Google, Facebook, Twitter, Amazon, Apple, etc., car elles permettent de « cibler » au mieux tout consommateur, pour quelque produit ou activité que ce soit.
Données à vendre sur le marché du data
Ces données sont collectées en permanence dans d’immenses big data centers, et des sociétés spécialisées, les data brokers (actuellement 270 dans le monde), se chargent du commerce mondial des fichiers de données personnelles sur la base de la « valeur vie client » (VVC). Cette valeur correspond à la somme des profits attendus en moyenne sur la durée de vie d’un client type. Pour l’Union européenne, l’ensemble des données personnelles de toute sa population a été évalué à 315 milliards d’euros en 2011 par le Boston Consulting Group (BCG), et l’estimation pour 2020 atteint 1.000 milliards de dollars compte tenu de la croissance de l’économie numérique.
Si la « valeur » des données basiques d’un individu (âge, sexe, adresse) ne se situe qu’autour d’un euro sur le marché mondial, il n’en va pas de même des données plus fines concernant le profil des consommateurs et consommatrices. D’après une étude de 2013 du BCG, actuellement un individu vivant en Europe « vaut » en moyenne 600 euros sur le marché mondial des échanges de données personnelles. Parmi les données fines, on relève : les origines, le niveau d’éducation, la situation maritale, le nombre d’enfants, la profession, les revenus, les habitudes de vie quotidienne, la possession de smartphones, les consommations diverses (tabac, alcool, et donc eau, gaz et électricité), les centres d’intérêt, les problèmes de santé, les éventuelles insomnies…
Non à la société Big Brother
Et tout est bon pour assurer la collecte, à tel point que, aujourd’hui, tout un service semi-occulte de La Poste participe, par la revente de données, à la bonne santé financière de l’entreprise. Dans ce contexte, les compteurs connectés sont une véritable aubaine et ils précéderont de peu les futurs appareils électroménagers « intelligents » (c’est-à-dire eux aussi connectés) ainsi que les achats « intelligents » (c’est-à-dire pucés et interrogeables à distance, tel le paquet de café de votre marque préférée interrogé dans votre placard par un géant de la distribution).
Peut-on s’opposer à ces changements ? En théorie, non, pour la simple raison que ni nos compteurs électriques ni notre compteur à gaz ne nous appartiennent, ils sont la propriété de la commune ou de la communauté de communes. Pour les compteurs d’eau, ils nous sont loués, pour des tarifs lisibles sur nos factures et certes minimes, mais à des millions d’exemplaires.
Refus allemand et belge
Le bailleur en est soit la société (privée) délégataire du service public de l’eau (parmi les trois grands : Veolia, Engie-Suez, Saur), soit la commune en cas de régie municipale. Si bien que seule une délibération à l’échelle de la ville peut empêcher le remplacement de nos compteurs. À la fin juillet 2016, 230 communes ont voté une telle délibération (dont pour la plus grande, Caen, 110.000 habitants et habitantes). Une décision nationale de refus comme en Allemagne et en Belgique peut aussi faire l’affaire.
Certes, des voix comme celle de la Ligue des droits de l’homme se font entendre pour demander à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), autorité française de contrôle en matière de protection des données personnelles, de vérifier le respect du « pack de conformité » proposé par EDF en ce qui concerne le Linky ; et elles demandent un moratoire sur le déploiement actuel des Linky tant que des contre-feux concrets et efficaces ne sont pas mis en place. L’« intelligence service » est un piège malsain, refusons la surveillance et la marchandisation de nos vies.
Daniel Guerrier, abonné au gaz et à l’électricité
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