Siam, verbalisée sur une plage de Cannes pour port d’un simple voile

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La plage de la Bocca à Cannes (photo d’illustration). (plb06/Flickr)

La police municipale a demandé à une femme portant un simple hijab de quitter une plage cannoise ou de payer une contravention. Le maire estime que les policiers peuvent verbaliser toutes les tenues « ostentatoires ».

Laura ThounyPublié le 23 août 2016 à 11h12

Siam est toujours sous le choc, une semaine après. Mardi 16 août, cette mère au foyer de 34 ans, ancienne hôtesse de l’air, est installée sur la plage de la Bocca, à Cannes (Alpes-Maritimes), avec ses proches. Originaire de Toulouse, la famille est en vacances sur la Côte-d’Azur pour quelques jours. Les enfants sont en train de goûter après s’être baignés, il est environ 16 heures. La jeune femme porte un legging, une tunique Kiabi, et, comme à son habitude, son voile, c’est-à-dire un hijab qui ne couvre que ses cheveux. « Je ne comptais pas me baigner, juste tremper les pieds », précise-t-elle. Pas de « burkini » à l’horizon, du nom de cette tenue de plage couvrante qui crée la polémique en ce moment, plusieurs villes ayant pris des arrêtés pour l’interdire, dont Cannes.

Elle aperçoit soudain trois policiers municipaux qui se dirigent droit sur elle. Mathilde Cusin, journaliste à France 4, est témoin par hasard de ce qui se passe depuis le boulevard du Midi, le long de la plage. Puis elle s’est approchée et a assisté à toute la scène. Notre consœur raconte : « J’ai vu trois policiers en train de regarder la plage. Deux d’entre eux avaient le doigt sur la gâchette de leur bombe lacrymo, sans doute au poivre. Ça m’a interpellée. Puis je les ai vus traverser la plage vers une femme voilée, elle portait un simple hijab sur les cheveux. »

Une policière se baisse à la hauteur de Siam. « Elle m’a dit : ‘Vous êtes au courant qu’il y a un arrêté sur la ville de Cannes ?’ J’ai dit que non, je ne savais pas exactement de quoi il en retournait, je n’avais pas trop suivi la polémique », explique alors la mère de famille.
« Elle m’a lu la moitié de l’arrêté, l’air un peu gêné, me disant que les personnes présentes sur la plage devaient porter une ‘tenue correcte’. »

Siam, sa sœur, sa mère et une amie de cette dernière sont stupéfaites, même si elles commencent à entrevoir que c’est le voile qui est visé : « Qu’est-ce qu’une tenue correcte pour vous ? » demande la jeune femme. Les deux autres policiers, qui ont rejoint leur collègue, lui rétorquent :
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« Si vous mettez votre foulard sous forme de bandeau autour de la tête, vous pouvez rester sur la plage. »

Siam refuse toutefois de se dévêtir ou de quitter la plage.

« Ici, on est catholiques ! »

« Mes enfants étaient en pleurs, témoins de mon humiliation, ainsi que ma famille », raconte Siam. « Moi-même je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer. Ils nous ont humiliées. » Autour d’elle s’est créé un attroupement. Si certains prennent sa défense, arguant qu’elle ne cause de tort à personne et ne porte pas de « burkini », d’autres se lâchent, les insultent fusent.
« La parole raciste s’est totalement libérée. J’étais abasourdie », raconte-t-elle. « J’ai entendu des choses que l’on ne m’avait jamais dites en face, comme ‘rentrez chez vous !’ ‘Madame, la loi c’est la loi, on en a marre de ces histoires’, ‘Ici, on est catholiques !' »

« Certains ont carrément applaudi les policiers. D’autres ont traversé la route pour se joindre à la mêlée sur la plage. »

« Les gens lui demandaient de partir ou d’enlever son voile, c’était assez violent », appuie Mathilde Cusin, « J’ai eu l’impression de voir une meute s’acharner sur une femme assise au sol en pleurs avec sa fillette. Ce qui m’a choquée, c’est que c’était surtout des trentenaires, pas des personnes âgées comme on pourrait l’imaginer. »

Les proches de Siam demandent aux policiers : « Si ce sont les signes religieux ostentatoires qui sont visés, comme vous dites, pourquoi n’allez-vous pas chasser les croix ? » « On ne va pas faire la chasse aux croix », leur répond-on. « Allez sur la route, madame, on vous demande de quitter la plage. »

Elle tente de comprendre :

« Vous me mettez une contravention parce que je suis musulmane ! »

« ‘Dans le climat actuel, vous comprenez, on est obligés de verbaliser’, m’ont-il dit. »

« Parce que des gens qui n’ont rien à voir avec ma religion tuent, je n’ai plus le droit d’aller à la plage ! Parce qu’ils commettent des attentats, on me prive de mes droits. On est en France, je peux tout de même circuler où je le souhaite ! C’est aberrant. »

Crier à l’amalgame et à la stigmatisation n’y fera rien : les policiers lui remettent alors une amende de 11 euros, qu’elle accepte à contrecœur de payer pour rester sur la plage.
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Capture d’écran de l’amende payée par Siam. (« L’Obs »)

« Aujourd’hui, on nous interdit la plage. Demain, la rue ? Après-demain, on nous interdira de pratiquer notre culte chez nous ? » s’insurge la Toulousaine. « Dans le pays des droits de l’homme, je ne vois pas de trace des principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Je suis révoltée que cela puisse se passer en France. » A sa fille qui pleure et lui demande pourquoi on « l’embête », Siam explique qu’elle a été victime d’une injustice et qu’elle va « se battre pour rétablir les valeurs que prône la France ». « Mal à l’aise », la personne qui les logeait leur a demandé de ne pas prolonger leur séjour à Cannes, comme prévu, un peu par « honte » du scandale, aussi.

« C’est vraiment du racisme pur et dur »

« C’est la première fois que je subis une discrimination », souffle Siam avec son accent toulousain. Au départ, elle a beaucoup hésité à parler de ce qui s’est passé, par peur de se mettre en avant.
« J’ai bien réfléchi. Je me suis dit que l’on ne pouvait pas laisser passer ça dans notre pays. Le pire, c’est que je suis un peu ‘Française de souche’ ! Mes parents sont français, mes grands-parents sont français… Quand on me dit ‘rentre chez toi’, ça me fait doucement rigoler, c’est vraiment du racisme pur et dur… »

Passé le choc, elle décide de réagir et contacte le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), dont elle a découvert l’existence en même temps que celle de la polémique sur le « burkini » à son retour. Soutenue par une juriste pour monter son dossier, elle pense porter plainte contre la mairie de Cannes et l’Etat français.

Quant au « burkini », « je ne le porte pas personnellement », dit-elle, « mais je ne suis pas pour les arrêtés. Je pense que l’on devrait pouvoir s’habiller comme on veut dans l’espace public, de la kippa au turban ! Les Anglo-Saxons sont bien plus ouverts que la France à ce niveau. »

Des personnes présentes sur la plage ont-elles appelé la police, qui a foncé sur la famille sans hésiter ? Siam le pense même si elle n’en est pas certaine – le glacier d’un petit cabanon de la plage lui a toutefois confirmé la même impression, à savoir que les policiers s’étaient dirigés droit sur elle sans hésitation. Depuis, elle se sent beaucoup moins à l’aise avec son voile :
« Maintenant, je suis davantage sur la défensive. Malgré celles qui ont pris ma défense, les trois quarts des personnes présentes sur cette plage étaient des ‘fachos’. Du coup, je me méfie de tout le monde ! C’est vraiment le contrecoup. »

« Je soutiens les policiers », déclare le maire de Cannes

L’arrêté municipal interdisant le « burkini » sur les plages de Cannes a été pris par David Lisnard, maire Les Républicains. D’après l’AFP, qui a pu le consulter, il stipule :
« Une tenue de plage manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse, alors que la France et les lieux de culte religieux sont actuellement la cible d’attaques terroristes, est de nature à créer des risques de troubles à l’ordre public (attroupements, échauffourées, etc.) qu’il est nécessaire de prévenir. »
« L’accès aux plages et à la baignade est interdit à compter de la signature du présent arrêté jusqu’au 31 août 2016 à toute personne n’ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité, respectant les règles d’hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public maritime. »
« Le port de vêtements pendant la baignade ayant une connotation contraire à ces principes est également interdit. […] Toute infraction fera l’objet d’un procès-verbal et sera punie de l’amende de première catégorie, soit 38 euros. »

Le maire de Cannes, lui, est droit dans ses bottes et « soutien[t] les policiers municipaux qui ont pris cette décision. Je n’ai aucune raison de douter de leur jugement » : « L’arrêté municipal dispose que l’accès aux plages et à la baignade est interdit à toute personne n’ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité, respectant les règles d’hygiène et de sécurité », explique-t-il à « l’Obs ».

« Donc les policiers municipaux font leur travail. Ils ont estimé que la tenue de cette femme n’était pas conforme à l’arrêté. Celui-ci ne désigne pas une tenue en particulier mais toutes celles qui sont ostentatoires. L’arrêté est très simple, je ne vais pas commenter un cas particulier. Si cette femme estime qu’elle est victime d’une erreur, qu’elle conteste la contravention auprès du ministère public ! » Contactée à plusieurs reprises, la police municipale de Cannes n’était pas joignable ce mardi matin.

La plage de Cannes est-elle dorénavant interdite aux musulmanes ? « C’est contraire à toutes mes valeurs », assure le premier magistrat de la ville. « Qu’une femme soit musulmane, catholique, juive ou bouddhiste, elle peut bien sûr venir se baigner ! Vous me faites un procès à charge. Il y a d’ailleurs beaucoup de femmes musulmanes sur les plages de Cannes. Mais elles ne peuvent pas porter de tenue ostentatoire. »

« Il ne s’agit pas d’interdire le port de signes religieux à la plage », expliquait pourtant Thierry Migoule, directeur général des services de la Ville de Cannes à l’AFP, jeudi 11 août. Il évoquait alors « les tenues ostentatoires qui font référence à une allégeance à des mouvements terroristes qui nous font la guerre ». Est-ce à dire que le hijab en fait désormais partie ?

Laura Thouny

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