Ce texte se veut une réflexion sur la forme particulière de répression du mouvement social actuel, sur la nécessité d’en cerner la forme et les enjeux et d’y apporter une réponse politique et collective
Aux premiers jours de la lutte contre la loi El Khomry, notre première réaction à l’annonce de militants blessés par les forces de l’ordre a été celle d’une indignation un peu formelle, comme une acceptation implicite de dommages collatéraux reçus, inhérents à tout mouvement social. Et puis, les choses se sont accélérées. Jour après jour, presque heure après heure, les réseaux sociaux nous informaient de nouveaux cas de manifestants atteints de blessures plus ou moins grave provoquées par différentes armes : flashball, LBDS, tonfa, grenades de désencerclement.
Les articles sur le web militant et dans la presse ont alors commencé à témoigner de l’ampleur d’une répression qui s’installait pour devoir durer. Dans ces articles étaient détaillés les exactions des forces de police, l’usage disproportionné de la force, les insultes, les pluies de coup reçus, les points de suture, les membres brisés, les crises de panique, les strangulations, le quotidien des street medics dépassés par le nombre de cas à soigner. Pour finir, nous nous sommes rendus compte que cette violence touchait nos proches, nos camarades. Un, puis deux, puis trois… à tel point qu’a un certain moment on ne put s’empêcher de penser que nos rangs allaient finir par être décimés. On commença même à se poser la question de notre présence aux actions de blocage, aux manifestations. On a jamais nié les risques, mais là on passait à un autre niveau.
Une violence policière
Au fur et à mesure que la contestation s’accroît, la répression augmente, sans cesse plus spectaculaire et violente. Faut-il rappeler les voitures de police qui chargent les manifestants à Rennes, l’éducateur de jeunes enfants à qui un policier shoote dans la face alors qu’il a les bras en l’air, Romain D., les journalistes intimidés, les enfants de 11 ans qui se font casser les bras ou les jambes alors qu’ils bloquent leur collège. Si l’ensemble des cortèges se retrouve parfois à entonner le fameux « Tout le monde déteste la police », ce n’est pas l’effet d’une mode. C’est parce qu’après la manifestation du 1er mai, lors de laquelle les CRS ont massivement gazé et tenté de séparer les cortèges, chacun a pu éprouver en son corps ce que signifiait être cible de violences policières. L’apparition quelques semaines plus tard du chiasme de ce slogan est significative « La police déteste tout le monde », compréhension partagée du fait que chacun et chacune d’entre nous est maintenant dans le viseur.
Une violence administrative
A cette violence physique, celle qui nous marque dans nos esprits et dans nos chairs, est venu s’adjoindre un autre dispositif, administratif et juridique cette fois ci. Il utilise le dispositif législatif spécifique à l’état d’urgence, permettant à la préfecture d’adresser à certains militants, manifestants, journalistes, dans différentes villes de France une interdiction de manifester délivrée à domicile, rédigée sous la foi de notes blanches des renseignements généraux. Un dispositif exceptionnel prévu pour combattre la menace terroriste, mais utilisé aujourd’hui contre le mouvement social.
La justice n’est pas en reste. L’examen des chefs d’inculpation, des peines de justices encourues et prononcées, (exemples multiples) lèvent le dernier doute sur l’instauration d’une justice d’exception.
A cela s’ajoute aussi la multiplications des plaintes, après chaque occupation, après chaque action de blocage, après chaque rassemblement non déclaré. Opération qui vise tout autant à justifier des inculpations individuelles de militants et militantes interpellés, qu’à faire peser un “risque financier” sur des organisations.
Une violence médiatique
Le troisième volet de cette répression est l’assignation, l’assignation médiatique. Avec une belle unanimité la plus part des médias ont repris la terminologie gouvernementale pour définir et assigner aux acteurs du mouvement social différents rôles, casseurs, terroristes, black-blocks, antifascistes, pacifistes. Autant de termes choisis avec attention, pour d’une part criminaliser les militants et participants aux différentes actions de blocage et mouvement de grève, d’autre part tenter de diviser l’unité qui se fait naturellement entre les militants, face à la répression dont ils sont l’objet.
Pour exemple, des quotidiens comme Le Figaro ou Le Monde, la totalité des journaux télévisés, reprennent sans les interroger les qualificatifs de « tentative d’homicide volontaire » sur agent de la force publique pour l’affaire de la voiture de police incendiée du 18 mai ; ou encore le terme « d’associations de malfaiteurs » pour des Rennais qui organisent une opération métro gratuit. Les grévistes de la cgt sont dits de leur côté « radicalisés », terme utilisé pour les djihadistes ; et les grévistes cheminots de sud « prennent en otage » les usagés.
Dans le même temps les médias, globalement, minimisent systématiquement le nombre des blessés par les violences policières.
Une répression hors norme
Ces trois volets verrouillent une stratégie de répression hors norme dans le cas d’un mouvement social. Cette stratégie déclare comme « ennemi » une partie du corps social. La partie qui lutte, qui a recours à la grève et à la manifestation pour défendre ses droits sociaux, ses conditions de travail et d’existence. Et qui se voit des lors opposer par principe, une répression sans précédent. Dans laquelle les techniques de maintien de l’ordre ont été revues et adaptées pour maintenir une pression permanente sur les cortèges ; dans laquelle la police n’a presque plus de compte à rendre ; où elle arrache son numéro de matricule pour pouvoir bénéficier de la plus grande impunité ; dans laquelle l’inspection des services menace de poursuivre en justice ceux qui osent porter plainte pour violence. La militarisation du maintien de l’ordre est à cours. La tentative de criminalisation du mouvement social est en marche.
Une répression ciblée que nous devons rendre visible
La cible de cette répression c’est nous tous et toutes, syndicalistes, militants, manifestants lambda, activistes, nuitdeboutistes, sympathisants, étudiants, lycéens, collégiens, intermittents, antifascistes, écologistes, street-medics, journalistes, citoyens. Cette répression installe et légitime une nouvelle forme de gestion des mouvements sociaux. Si on la laisse s’installer comme norme, nous en payerons un prix encore plus élevé à l’avenir. Dans 5 ans, qui sait quelle peines seront encourues pour un blocage, une manifestation sauvage, un rassemblement non autorisé ? Qui sait avec quelles types de balles nous nous ferons tirer dessus ? puisque nous nous faisons déjà tirer dessus ! Cette répression nous devons la dénoncer aujourd’hui, globalement car nous sommes tous concernés, nous sommes tous des cibles potentielles.
Nous devons la rendre visible, par tous ses aspects, violence policière, juridique et médiatique, nous devons la documenter. mettre nos ressources en commun, pour permettre à d’autres, chercheurs, militants, journalistes de l’analyser. Nous devons affirmer qu’aucun gouvernement ne peut se prévaloir de se dire démocratique s’il tente de faire disparaitre un mouvement social en utilisant un arsenal militaire et des mesures antiterroristes à l’encontre de sa population civile.
Un enjeu de société
Il y’a dix ans, en octobre 2005, éclataient les révoltes dites « de banlieues », mouvement social des quartiers populaires, déclenché par un contrôle de police à Clichy-Sous-Bois qui avait couté la vie à deux jeunes, Zyed et Bouna. Cette révolte avait été réprimée, déjà, par une justice d’exception, une violence policière débridée et un acharnement médiatique et politique hors du commun. L’état d’urgence avait été rétabli, une première depuis la guerre d’Algérie, et de là – faut-il le rappeler ? – date l’apparition des premiers flashball. Le terme de gestion coloniale des quartiers était alors apparu. Cette méthode de répression à l’œuvre dans certains territoires de la République s’est étendue pour mater les luttes de Notre-Dame-des-Landes, ou du Testet. Elles s’appliquent aujourd’hui à l’ensemble de la société et du mouvement social. À nous de faire en sorte qu’elles en disparaissent définitivement.
Une nécessaire réponse collective
Combien de cas de répression passent inaperçus quand les militants organisés bénéficient d’un appui logistique et de réseaux militants ? L’enjeu est de ne laisser personne isolé. De même, en manifestation, lorsque la peur nous gagne ou que la pression se fait trop violente, gardons en tête de maintenir les cortèges unis, d’empêcher les arrestations policières autant que faire se peu, de répondre aux tentatives d’initimidations, de témoigner et de filmer les agissements policiers. Plus généralement, tentons de ne pas céder aux tentatives de division et à l’assignation de rôles dans le mouvement social.
La répression dont nous sommes l’objet est politique, elle n’est pas technique. Elle est globale, elle n’est pas anecdotique. Elle est le produit cohérent et réfléchi d’une volonté gouvernementale de faire taire par la violence, symbolique ou physique, toute population qui s’oppose à sa loi. En tant qu’objet politique nous devons lui apporter une réponse politique, nous doter d’objectifs et de revendications collectives. Nous devons unir nos ressources, soutenir les initiatives locales, initier des débats, des ateliers, organiser des concerts de soutien, des rassemblements, des collectes pour soutenir les inculpés et condamnés, les aider à cantiner, à payer leurs avocats. Les solidarités que nous mettons en place aujourd’hui, changent notre quotidien et rendent possibles les victoires de demain.
La rédaction d’antiREP
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