Lettre ouverte de la Libre Pensée à monsieur Jean-Marc Todeschini,
secrétaire d’Etat auprès du ministère de la Défense Chargé des Anciens combattants et de la Mémoire :
Allez-vous interdire la Chanson de Craonne en France ?
Monsieur le Secrétaire d’État,
L’interdiction de la Chanson de Craonne, que vous avez décidée lors des cérémonies commémoratives de la bataille de la Somme le 1er juillet 2016, a scandalisé non seulement les libres penseurs pacifistes et internationalistes que nous sommes, mais, bien au-delà, elle a interrogé de très nombreux citoyens qui considèrent que ce chant appartient au patrimoine le plus populaire de notre pays et le plus digne de respect, parce qu’il est pour ainsi dire consubstantiel à la guerre de 1914-1918.
Faut-il rappeler que cette chanson a été en pleine guerre l’objet d’investigations policières, pour en découvrir alors le parolier et le châtier de façon à lui interdire la récidive, c’est-à-dire en vue de le traduire en Conseil de guerre et d’ obtenir si possible qu’il soit passé par les armes comme « Fusillé pour l’exemple ? »
Sommes-nous revenus au temps de la Guerre d’Algérie ?
Vous avez eu des prédécesseurs de triste renommée dans la censure sur le même sujet en pleine guerre d‘Algérie. Quand Stanley Kubrick réalisa son extraordinaire film Les Sentiers de la Gloire, il fut interdit en France pendant des décennies. Y aurait-il un lien inavouable entre l’amnistie des « généraux félons de l’OAS » et l’interdiction de la Chanson de Craonne ? Celui du refus que soit honoré le droit de dire NON à la boucherie ? Celui du refus de la réhabilitation collective des 639 Fusillés pour l’exemple de la Première Guerre mondiale ? Celui du refus de la guerre et des massacres ?
Faut-il rappeler que cette chanson a connu un immense succès dans les tranchées ? Cette chanson, vous le savez, n’a rien à voir avec une simple rengaine passée de mode et à laquelle nos contemporains seraient devenus indifférents. Non. Mille fois non. Tout au contraire. Il s’agit d’une chanson pleine d’un sens profond ayant su traduire l’état d’esprit des combattants de la Première guerre mondiale, tant elle est empreinte d’une nostalgie poignante et d’un esprit de révolte contre des ordres absurdes, dont la guerre de 1914-1918 n’a pas manqué, comme la majorité des historiens modernes s’accordent désormais à le dire.
Cette chanson a bravé le temps et l’oubli. Il n’est pas excessif de dire qu’elle a pris un caractère symbolique et qu’à elle seule, elle exprime l’immense désespoir et l’immense colère de ces centaines de milliers de jeunes hommes voués à sacrifier, qui leur vie, qui leur intégrité physique, qui leur santé mentale, pour des intérêts qui n’étaient pas les leurs.
La censure est toujours contre la vérité de l’Histoire
En conséquence, nous vous demandons si, lors des commémorations de la bataille du Chemin des dames, l’an prochain, vous oserez interdire que soit chantée cette Chanson de Craonne, dont le titre indique précisément un des lieux les plus mémorables de cette bataille calamiteuse, dite offensive Nivelle, moment effroyable où la chanson devint célèbre. Oserez-vous occulter la dimension la plus terrible de la condition humaine dans l’histoire de cette guerre atroce pour ne retenir que l’héroïsation de faits d’armes et d’assauts victorieux, loin de la réalité infiniment tragique et révoltante des tranchées où un gigantesque déploiement d’artillerie procédait à sa terrifiante boucherie de part et d’autre de la ligne de front ?
La Chanson de Craonne est une chanson qui appartient à l’Histoire avec une majuscule. On lui doit respect, voire déférence. Elle a marqué à jamais la période et le front où elle fut fredonnée par les « bonshommes », réduits à n’être que de la « chair à canon ». « On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels » disait Anatole France, comme en écho à ces fortes paroles de la Chanson de Craonne : « Ceux qu’ont l’pognon ceux-là r’viendront /Car c’est pour eux qu’on crève… »
Telle est la voix de la vérité. Allez-vous l’étouffer une nouvelle fois ou, faisant droit à la raison et au respect de nos aînés, autoriser cette voix à s’exprimer l’an prochain au Chemin des Dames ?
Dans l’attente de votre réponse, nous vous assurons, Monsieur le Secrétaire d’Etat de notre attachement indéfectible à ce que toute la vérité soit dite sur 1914-1918 et à ce que, notamment lors des cérémonies commémoratives de la bataille du Chemin des Dames, soit entendue enfin la voix authentique des combattants, si présente dans la Chanson de Craonne.
Paris, le 9 juillet 2016
Christian Eyschen, vice-Président de la Fédération nationale de la Libre Pensée
Pierre Roy, Président de la Fédération nationale laïque des Associations des amis des monuments pacifistes
On peut écouter la Chanson de Craonne sur le site de la Libre Pensée : http://www.fnlp.fr (rubrique : Emissions de France Culture) dans une version spécialement faite pour la Libre Pensée en hommage à son combat pour la réhabilitation collective des Fusillés pour l’exemple.
Ni dieu ni maître, à bas la calotte, vive la sociale !
Commentaires récents