Ce cadre dirigeant d’une grande organisation patronale, qui souhaite rester anonyme, avait attiré notre attention en marge d’un forum économique alors qu’il souhaitait, à mots couverts, la réélection de François Hollande. Sa logique est simple : ce qu’a fait la gauche, la droite ne le ferait pas aussi facilement. Il tire pour nous le bilan du socialisme au pouvoir, désignant on ne peut mieux nos ennemis de classe. Propos (presque) imaginés par TomJo.
Par Etienne Savoye.
Vous souhaitez la réélection de François Hollande. Comment êtes-vous certain qu’il s’agit de votre meilleur poulain ?
Nous le savions avant même son élection en 2012. Dans la semaine suivant le discours du Bourget sur la finance, Karine Berger, conseillère économique de François Hollande, rencontrait plus de la moitié des détenteurs de la dette française pour les rassurer : le fonds d’investissement BlackRock, la banque JP Morgan ou encore la Deutsche Bank. La hache de guerre contre la finance était enterrée avant même la prise de fonctions du président. Idem pour le pacte de stabilité européen qui prévoit de limiter le déficit à 3 % du PIB. Il n’aura fallu qu’un mois et demi à Hollande pour revenir sur sa promesse de le renégocier auprès de Bruxelles. Je vous rappelle que dix ministres du nouveau gouvernement étaient présents à l’université d’été du Medef de 2012.
Dès lors, la fin de l’année vous a-t-elle été profitable ?
Oui, d’autant plus que les projecteurs étaient braqués sur le mariage pour tous. La réforme bancaire promise par Hollande, qui prévoyait de séparer les activités de crédit des activités spéculatives – telle que les États-Unis l’avaient faite après la crise de 1929 –, était enterrée en décembre.
En fait, vous n’avez jamais été inquiets ?
C’est mieux que ça. Nous travaillons ensemble. Nos collaborateurs sont connectés à Bercy en permanence, connaissent les projets de loi avant tout le monde, préparent argumentaires et contre-argumentaires qu’ils transmettent aux hauts fonctionnaires et aux députés. On travaille, on est offensifs sur nos dossiers, on a des résultats.
Ça a été le cas à propos de la loi « transparence fiscale » de décembre 2015 ?
Suivant les recommandations de l’Organisation du commerce et du développement économique [OCDE], et après les affaires Swissleaks [1] et Cahuzac [2], le gouvernement a annoncé une loi de transparence fiscale par la publication, pays par pays, du nombre de filiales, du bénéfice réalisé ou encore du nombre de salariés que détient chaque multinationale. Nos concurrents se seraient régalés d’obtenir les résultats de nos entreprises. Surtout si eux-mêmes n’ont pas à livrer ce genre d’informations. Mais les choses sont rentrées dans l’ordre grâce au travail du secrétaire d’État au Budget Christian Eckert et de la députée Karine Berger. Tant que la transparence n’est pas généralisée à l’Europe, les informations ne seront pas publiques.
Avec la « Loi Macron » d’août 2015, ça a été un festival ! le ministre de l’Économie ne vous refuse donc rien ?
Presque rien. Travail le dimanche et la nuit. Libéralisation des transports, le tout en procédure accélérée. Pour ce qui est du plafonnement des indemnités de licenciement, le Conseil constitutionnel s’y était opposé. Mais on peut compter sur le passage en force de Myriam El Khomri, ministre du Travail, avec le 49-3 [Hollande s’y est ensuite opposé]. Quant aux 35 heures, l’assouplissement des heures supplémentaires entaillera suffisamment la chose pour qu’on n’ait pas à braquer le débat sur un seuil symbolique.
Votre meilleure réussite pendant ce quinquennat ?
Peut-être le « Pacte de compétitivité ». Avant leur publication, on sait que le gouvernement n’adhère pas aux propositions du « Rapport sur la compétitivité française » de Louis Gallois [3]. En moins d’une semaine de tractations, on obtient gain de cause. C’est l’époque du mouvement des « pigeons », souvenez-vous, le gouvernement est fébrile. Le rapport est finalement publié le 5 novembre 2012, et Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, annonce dès le lendemain une baisse des charges via le « Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ». On réclamait 60 milliards d’euros sur cinq ans, il nous en offre 20 milliards par an. À quoi il faut ajouter, à partir de 2014, les 10 milliards du « Pacte de responsabilité ». Une belle réussite.
Oui, et pendant ces cadeaux fiscaux, les minima sociaux sont gelés ainsi que les salaires des fonctionnaires…
On appelle ça un « choc de compétitivité », il faut ce qu’il faut. Du côté de l’Unedic, on a bien travaillé également, avec l’instauration en 2014 des droits rechargeables et l’allongement du différé d’indemnisation. Ça nous a fait gagner 400 millions d’euros par an. Mais il reste beaucoup à faire du côté de la durée d’affiliation et d’indemnisation et du régime des intermittents que nous devrons raboter. Mais nous sommes confiants là-dessus. Peut-être pour le prochain mandat. Peut-être avant…
En fait, vous vous êtes régalés pendant quatre ans ?
On a bien travaillé. Dans un autre registre, on doit aussi rappeler quelques grandes orientations stratégiques apportées par le PS. Je veux parler des « Investissements d’Avenir », du soutien au Crédit-Impôts-Recherche, du programme « French Tech » de Fleur Pellerin, avec qui on a très bien travaillé également, ou encore de la « Nouvelle France Industrielle » lancée par Arnaud Montebourg et poursuivie par Emmanuel Macron. Le gouvernement nous a soutenus pour lancer de nouveaux secteurs aux marges prometteuses comme la robotique, la cybersécurité, le Big Data ou encore la ville et les objets intelligents. Nous espérons à ce propos un assouplissement du Code du travail correspondant aux nouvelles organisations liées aux activités numériques. Ça viendra.
Par Berth. Mais votre situation confortable peut ne pas durer, même avec le PS au gouvernement ?
On avait bien travaillé avec Nicolas Sarkozy et François Fillon. Rappelez-vous le Plan de sauvetage des banques [97 milliards d’euros prêtés en 2008] ou encore la Réforme des retraites de 2010. Mais quand un Fillon annonce qu’il va reculer l’âge de la retraite de 60 à 62 ans, vous avez les huit principaux syndicats dans la rue. Quand Jean-Marc Ayrault augmente la durée légale de cotisation de 41 à 43 ans, il ne se passe rien. Alors quel est notre intérêt objectif ? Réformer la France et risquer un mouvement social ? Ou réformer sans risques ? Quand le PS est au gouvernement, on peut compter sur la CFDT pour avoir un dialogue constructif.
Stratégiquement, il vaut mieux miser sur le PS. Certes, Valls fronce les sourcils sur la question des contreparties aux baisses de charges. Mais il ne peut pas se mettre à dos le patronat, les détenteurs de la dette souveraine et l’Union européenne. Même un Alexis Tsipras, pourtant bien plus inquiétant à la base, n’y est pas parvenu.
Et le Front national, qu’en pense le patronat ?
Pour paraphraser Philippe Hourdain ou Bruno Bonduelle de la Chambre de commerce du Nord-Pas-de-Calais [4] : fermer les frontières serait un très mauvais signal lancé aux investisseurs étrangers, aux cadres et aux diplômés qui voudraient s’installer chez nous, et une catastrophe pour nos importations. Non, pour 2017, il nous faut un gouvernement socialiste, voire avec des écologistes et des communistes. Souvenez-vous du gouvernement Jospin : n’a-t-on jamais autant privatisé sans inquiétudes ?
Notes
[1] Fin janvier 2015, Le Monde révèle un vaste système d’évasion fiscale entretenu par la banque suisse HSBC. L’affaire concerne 3 000 ressortissants français pour un montant de 5,7 milliards d’euros.
[2] Fin décembre 2012, Mediapart révèle que le ministre du Budget Jérôme Cahuzac planquerait une partie de son argent en Suisse et à Singapour pour échapper à l’impôt. Montant présumé de la fraude : entre 600 000 et 15 millions d’euros.
[3] Rapport inspiré de celui publié en juillet 2012 par le think tank Terra Nova « Investir dans l’avenir » auquel a participé Louis Gallois en qualité de président d’EADS.
[4] Cf « Régionales 2015 : le “No pasaran” des gens du Nord face au FN », Le Monde, 2 novembre 2015.
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