paru dans CQFD n°137 (novembre 2015), rubrique Actualités, par Sébastien Navarro, illustré par L.L. de Mars
Contenir le réchauffement climatique sous la barre des 2°, tel est le défi. Face aux appétits des industriels de l’éolien et du solaire, les promoteurs du nucléaire entendent bien jouer fortissimo leur partition bas-carbonée. Florilège recueilli à l’ombre du panache d’un champignon atomique.
Simple. Doux. Enfantin. Une pédagogie qui aligne des évidences et convoque un bon sens auquel même un élève de CP ne pourrait que souscrire. Le site Internet est celui de la World Nuclear Association, un lobby sans but lucratif (sic !) adoubé par l’Onu. La vidéo s’appelle « Défi de l’énergie nucléaire et du changement climatique » et dure moins de deux minutes. Quelques notes cristallines de piano, une infographie aussi anxiogène qu’un dessin animé de Babar et la voix-off, forcément féminine, forcément maternelle, qui explique pourquoi le climat ne pourra être sauvé sans le renfort des cheminées atomiques. Le constat is very simple : l’éolien et le solaire ne sont pas suffisamment développés, les énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) sont les principales sources émettrices de CO2, quelle autre option énergétique avons-nous pour préserver le climat ? A cet instant, une charmante bicoque apparaît sur l’écran. La leçon se poursuit : pour couvrir ses besoins en énergie sur une année, un ménage a besoin, au choix, de sept grammes d’uranium contre 890 kg de pétrole, ou encore 1 100 kg de charbon, ou bien 1 000 m3 de gaz. Sept petits grammes d’uranium, soit le poids d’un morceau de sucre, contre une tonne de charbon bien dégueulasse. Besoin d’un autre dessin ?
Depuis que le lien a été fait entre émission des gaz à effet de serre (GES) et réchauffement climatique, l’industrie nucléaire tient bon l’embuscade et ne cesse de brandir la carte de sa faible empreinte carbone face à la surchauffe planétaire. Un temps ébranlés par la catastrophe de Fukushima – 1 600 morts, 80 000 déplacés, 50 milliards d’euros d’ardoise, les villes de Tutaba et Okuma inhabitées et transformées en décharge radioactive –, les lobbyistes de l’uranium sont à pied d’œuvre pour continuer à chanter d’éternelles promesses d’avenir radieux grâce à l’atome. Un tour de passe-passe repris à son compte par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) qui met dans le même sac énergies peu carbonées, renouvelables et nucléaires. Le deal se présente ainsi : si l’humanité ne veut pas finir dans la rôtissoire, il faut absolument contenir l’augmentation du réchauffement planétaire sous la barre des 2°. Seule solution : quadrupler le recours aux énergies peu carbonées d’ici 2050. Un crédo que défend le climatologue Jean Jouzel, vice-président du Giec et accessoirement directeur de recherche au CEA [1] : « Il faut quitter notre mode de développement, construit autour des combustibles fossiles, pour aller vers une société sobre en carbone. Il existe des solutions – l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, le nucléaire pour les pays qui l’acceptent – qu’il faut mettre en œuvre tout de suite. [2] »
Sur le grill ou irradié
Le 9 janvier 2015, Michel Alberganti, journaliste scientifique sur France Culture, organise dans son émission « Science publique » une table ronde autour du thème : « 2015, année climatique ? ». Parmi ses invités figure un certain Michel Petit, présenté comme « correspondant de l’Académie des sciences, membre de l’association Sauvons le climat et ancien membre du bureau du Giec ». La bouche pleine de ronds de jambe, Petit précise : « Sauvons le climat est convaincu qu’il ne faut pas, pour des raisons idéologiques et d’a priori, se priver de l’énergie nucléaire qui nous semble être effectivement l’une des rares façons bien éprouvées de produire de grandes quantités d’énergie. » Avant de marteler avec un flegme déconcertant que le nucléaire est : « l’une des possibilités de continuer à pouvoir assurer un développement normal de l’économie et du bien-être de chacun de nous, et en même temps de réduire ces fameuses émissions de GES. »
On pense à Tchernobyl, au saccage écologique et humain dû à l’extraction de l’uranium au Niger, aux 22 000 ouvriers de la sous-traitance se mangeant 80 % des doses collectives annuelles d’irradiation en France, aux 15 000 m3/an de déchets radioactifs et on se dit que « le bien-être de chacun de nous » est un concept tout relatif. Incidemment on apprend que l’association Sauvons le climat à laquelle appartient Petit est fille d’un obscur Groupe argumentaire sur le nucléaire, lui-même émanation d’une certaine Association des Retraités du groupe CEA (Arcea). La devise d’Arcea ? Dynamisme, solidarité, ouverture. « Dynamisme, en termes de défense du Nucléaire », précise Jacques Penneroux, président de la structure [3].
Il faudrait habiter Mars pour ne pas être informé : le mois prochain se tiendra à Paris la 21e conférence sur le changement climatique (Cop21). Voilà plus de vingt piges, depuis le sommet de Rio de 1992, que les dirigeants de ce monde se réunissent régulièrement pour s’entendre sur un sérieux coup de frein aux émissions de GES. Bilan des parlottes : « Malgré des négociations dont la durée totale cumulée dépasse une année complète, les émissions de [GES] ont augmenté de plus de 60% sur la période. [4] » Un tel fiasco prêterait à rire si le destin de l’humanité ne reposait pas tout entier dans un plateau de la balance. Dans l’autre : les zélateurs de l’atome et leurs relais politiques. Lors de sa dernière convention annuelle en mars 2015, la Société française d’énergie nucléaire (Sfen) invitait Sir Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni et Christian Masset, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères et du Développement international. Dans la ligne de mire de la Sfen : le projet franco-britannique Hinkley Point C prévoyant la construction de deux réacteurs nucléaires de type EPR dans l’Ouest anglais et la fameuse Cop21. Tout à sa mobilisation climatique derrière un pupitre en Plexiglas, Masset répéta l’antienne : « Parce qu’il est évident que le nucléaire fait partie des solutions. Et c’est tout le sens du partenariat du Royaume-Uni et de la France. Parce que nous sommes deux pays à l’avant-garde de la lutte contre le dérèglement climatique. Parce que nous sommes deux pays mobilisés pour la société à bas carbone. »
Sous le tapis, les poussières radioactives
S’il paraît bien évident qu’une centrale nucléaire ne produit pas de GES lors de son fonctionnement, la quantification des émissions de CO2 du cycle nucléaire, de l’extraction à la fission du minerai, est beaucoup moins reluisante. « La filière nucléaire prise dans son ensemble induit des émissions notables de [GES] liées au cycle de vie de la centrale, depuis sa construction jusqu’à son démantèlement, et au cycle de vie du combustible, importé en France du Niger ou du Canada. Au final, le bilan carbone de la filière nucléaire, s’il est difficile à chiffrer, n’est pas du tout négligeable ! », précisait le Réseau Action Climat dans sa plaquette Face à la menace climatique, l’illusion du nucléaire. Le 10 septembre dernier, le tribunal correctionnel de Narbonne condamnait l’usine de Malvési (Aude) à verser 7 000 euros à deux associations écologiques. Site tout en discrétion et classé Seveso seuil II, Malvési reçoit un quart de l’uranium mondial sous forme de « yellow cake » afin de le purifier et de le débarrasser de son azote. Depuis 2009, les juges ont retenu une vingtaine d’infractions au code de l’environnement. Rejet de monoxyde et dioxyde d’azote dans l’air, pollution des sols via des non-respects de règle de stockage de produits radioactifs. En 2011 déjà, le site avait été condamné pour des faits similaires. Le nucléaire et la planète, une histoire d’amour fusionnel.
Notes
[1] En 2010, l’acronyme CEA a subi un lifting digne d’une vraie ruse de nucléocrate pour devenir le Commissariat à l’énergie atomique… et aux énergies alternatives.
[2] www.lesechos.fr/05/11/2014.
[3] www.arcea-national.org/qui-sommes-nous.
[4] Crime climatique STOP ! : L’appel de la société civile, Collectif, Seuil, 2015.
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