Plus de 1 200 perquisitions administratives ont été effectuées depuis le 13 novembre. Des associations dénoncent des « excès » des forces de l’ordre.
Par Baudouin Eschapasse et Nicolas Guégan
Publié le 25/11/2015 à 13:06 – Modifié le 26/11/2015 à 07:32 | Le Point.fr
Plusieurs centaines de perquistions ont été menées en France depuis le début de l’état d’urgence. Photo d’illustration. © AFP/ KENZO TRIBOUILLARD
Sur le Web, les initiatives se multiplient pour permettre de « contrôler » la mise en application de l’état d’urgence, décrété en conseil des ministres au lendemain des attentats de Paris, et prorogé pour 3 mois par le Parlement le 20 novembre. Cette loi, dont la durée initiale d’application est de douze jours, facilite les perquisitions, permet d’assigner à résidence des individus et autorise l’instauration d’un couvre-feu. Plusieurs observatoires ont ainsi été créés pour recenser les « bavures » commises par les forces de l’ordre dans le cadre de ce régime d’exception.
Parmi eux, des associations telles que le comité contre l’islamophobie, ou des individus comme Fateh Kimouche, alias @Al Kanz (« le trésor » en arabe) très actif sur Twitter. Mais aussi les sites de médias comme Le Monde ou la Quadrature du Net. Au niveau institutionnel, la commission des Lois du Sénat a créé mercredi un comité de suivi de l’état d’urgence dont le rapporteur spécial est l’ancien garde des Sceaux Michel Mercier. Toutes les couleurs politiques du Sénat y seront représentées. Et début décembre, cette commission recevra le procureur de Paris François Molins.
L’objet de ces initiatives ? Répertorier les violences et les abus commis par la police et la gendarmerie. Depuis dix jours, ce sont 1 233 perquisitions administratives qui ont été menées partout en France, s’est félicité le ministre de l’Intérieur devant les députés. Ces opérations ont conduit à 165 interpellations, dont 142 ont abouti à une garde à vue. Par ailleurs, 230 armes ont été saisies et 266 personnes assignées à résidence au motif qu’existent « des raisons sérieuses de penser que (leur) comportement constitue une menace ».
Des abus rares, mais préoccupants
Même si les « abus » des forces de l’ordre restent rares, les récits de fouilles ayant mal tourné se multiplient. Telle cette intervention, dans la nuit du mercredi 18 novembre, dans un petit hameau proche d’Alès (Gard). Intervenant sur ordre du préfet, des gendarmes débarquent de nuit dans une maison où vit une famille musulmane soupçonnée de « radicalisation ». Il est une heure du matin quand on frappe violemment au portail. Le père de famille de 56 ans croit d’abord à un chahut de jeunes. Il ouvre les volets donnant sur la rue et découvre une trentaine d’individus casqués et armés en train de défoncer sa porte.
Ces derniers pénètrent dans la maison. Ils vont fouiller son domicile pendant deux heures. En vain. Peu avant 4 heures du matin, les gendarmes repartent bredouilles en s’excusant. « Mais le mal était fait. Ils ont horrifié les enfants [12 et 16 ans, NDLR], qui ne sont pas allés à l’école aujourd’hui. Ce qui s’est passé, c’est pire qu’un amalgame. Est-ce que c’est ma barbe qui les a amenés ici ? La barbe ne fait pas le musulman. Et le musulman ne fait pas le terroriste. Ça fait très mal au cœur », proteste ce musulman sur le site d’information numérique Objectif Gard, en montrant des traces sur la façade de sa maison qui seraient, selon lui, des impacts de balles.
« C’était juste du cinéma »
Un cas isolé ? Visiblement pas. Comme l’atteste la descente musclée de policiers dans un restaurant de Saint-Ouen-l’Aumône (Val-d’Oise) samedi 21 novembre. Une intervention rapportée par Le Monde qui a d’ailleurs publié des extraits des films tournés par les caméras de surveillance de l’établissement. « En plein service », s’insurge Ivan Agac, 28 ans, propriétaire du Pepper Grill, lorsque des dizaines d’hommes entrent dans la salle en hurlant « Mains sur la table ! » Ils enfoncent plusieurs portes et fouillent hâtivement des rayonnages avant de sortir sans avoir procédé à aucun contrôle d’identité, selon les témoins présents. « C’était juste du cinéma », s’énerve un client présent ce soir-là.
Autre histoire édifiante, à Nice (Alpes-Maritimes), jeudi 19 novembre. Révélée par Nice-Matin, l’affaire aurait pu virer au drame. Il est 4 h 30 du matin lorsqu’une fillette de 6 ans est blessée au cou par des policiers du Raid qui enfoncent la porte de l’appartement où elle vit avec ses parents. Des voisins évoquent des tirs. La police dément. Mais des éclats de bois ont bien touché l’enfant qui dormait dans une chambre voisine. Les forces de l’ordre reconnaîtront une « erreur rare ». Ils se sont trompés de porte !
De Nice à Toulouse
À Toulouse, c’est une perquisition administrative dans le quartier de Bellefontaine, une zone sensible, qui provoque des remous jusque dans la presse locale. L’appartement visé est celui de Taoufik Mhamdi, un père de famille, absent au moment de l’arrivée des forces de l’ordre. Dans une interview à La Dépêche du Midi , il décrit la scène : « Ma femme et mon fils de 2 ans étaient à la maison. Je n’étais pas là. Ils ont tapé à la porte et crié Police ! Quand, elle a regardé par la fenêtre, ma femme a vu des hommes armés. Elle a cru que c’était des terroristes. » Il poursuit : « Ils étaient une cinquantaine, comme des robots. Il y avait des chiens. Ils ont tout fouillé, retourné les chambres, les livres, le débarras. »
Mais que recherchaient donc les policiers ? Des armes. « Je n’ai jamais tiré de ma vie. Au contraire, les armes, c’est moi qui dois les trouver. Je travaille dans la sécurité à l’aéroport » , se défend Taoufik Mhmadi. Ce dernier assure avoir un casier judiciaire vierge, avoir fait des études et être quelqu’un d’humain. Il promet de ne pas en rester là : « J’ai peur maintenant que des gens viennent cacher des armes chez moi. Je vais aussi aller voir un avocat pour lancer une procédure. Je ne veux pas en rester là », assure ce père de famille dont la femme est ressortie « traumatisée » par cette « perquisition brutale ».
Des tracts contre Daech
Un imposant déploiement de policiers. La scène se passe mardi après-midi dans le quartier de Saint-Michel à Bordeaux. Des officiers de police judiciaire se dirigent vers une épicerie musulmane pour mener à bien une perquisition administrative. La raison de ce déploiement ? Au mois de juin dernier, la boutique avait défrayé la chronique. Les propriétaires, présentés comme des convertis par Sud Ouest , avaient placardé sur leur vitrine une affichette qui demandait aux hommes de venir certains jours et aux femmes, d’autres. Résultat des courses ? « La perquisition ne semble pas s’être soldée par un quelconque résultat », écrit Sud Ouest, qui précise que la préfecture s’est refusée à tout commentaire.
Dans le Doubs, à Pontarlier, c’est le patron d’un kebab, Bicer Tekin, qui a été la cible d’une perquisition administrative. Les policiers n’ont pourtant pas fait chou blanc, témoigne L’Est républicain. « Le butin final : quelques grammes de résine de cannabis, une petite arme de poing dont la catégorie reste à définir, 6 000 euros d’argent liquide [ma recette et mes économies, explique le commerçant], et de vieilles munitions ne correspondant pas à ce mini-pistolet », détaille la presse locale. Mais Bicer Tekin assure ne pas être un terroriste : « Je suis né à Pontarlier, je tiens mon commerce depuis quinze ans, j’enseigne le full contact dans un club de boxe […]. » Et de souligner : « Ce qui me fait rire, c’est que dans mon kebab, je distribue des tracts anti-Daech et anti-Al-Qaïda depuis bientôt trois ans. » La perquisition nocturne aurait traumatisé ses enfants : « Les policiers n’ont pas réussi à ouvrir ma porte d’entrée, alors ils ont défoncé ma porte de garage. On se serait cru sur BFM TV. Mon aîné a cru que c’était une attaque terroriste ! Les policiers ont braqué mes enfants avec leurs mitraillettes », s’émeut-il. Bicer Tekin reconnaît que son casier judiciaire n’est pas vierge. Dans le passé, il a également été placé seize mois en détention provisoire, avant de bénéficier d’un non-lieu et d’être dédommagé par l’État.
Un aveugle assigné à résidence
Si certaines interpellations semblent justifiées, d’autres laissent pantois. Telle celle de Mickaël, dans le TGV Marseille-Rennes, où il avait pris place le 20 décembre. Rapportée par le journal Sud Ouest, l’histoire de ce jeune homme de 27 ans est édifiante. Parce qu’il porte la barbe, a gardé des gants aux mains et regarde un film d’action un peu violent sur sa tablette, des passagers le trouvent suspect et le signalent aux contrôleurs qui préviennent la police. Le train s’arrête en gare de Massy (Essonne). Il est interpellé. Interrogé pendant quatre heures, le jeune homme est finalement libéré. En état de choc.
L’arrestation et l’assignation à résidence de Daoud, 21 ans, émeuvent également les réseaux sociaux. Ce non-voyant, « dénoncé calomnieusement », selon l’ONG BarakaCity, serait une « victime de l’état d’urgence ». Contraint de se présenter trois fois par jour au commissariat de son quartier, le jeune homme a vu son appartement mis sens dessus dessous au point de ne pas pouvoir remettre la main sur sa canne blanche.
Ancien président de SOS Racisme, Julien Dray, aujourd’hui vice-président socialiste de l’Ile-de-France, a mis en garde le Premier ministre contre ces excès. « L’état d’urgence, il faut le manier avec une extrême prudence, si j’avais été encore parlementaire, j’aurais voté, là, en l’occurrence, l’état d’urgence, mais […] avec une main tremblante », a-t-il confié. « On sait qu’à chaque fois qu’il y a des états d’exception, il y a forcément après des dérapages. »
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