dimanche 22 novembre 2015, par ocl-lyon
Le 12 octobre 2015, six salariés du groupe Air France ont été arrêtés à leur domicile par les policiers de la police de l’air et des frontières (PAF), placés en garde à vue à Roissy puis relâchés. Ces six salariés sont poursuivis pour des faits commis après l’irruption de travailleurs au Comité central d’entreprise (CCE) d’Air France le 5 octobre. Ils sont passibles de cinq ans de prison.
Ces salariés sont coupables d’avoir laissé exploser leur colère parce que leur vie et celle de leur famille sont en danger. Coupables de dire NON aux 2 900 (nouveaux) licenciements secs annoncés par la direction. Coupables d’avoir entravé le « dialogue social ».
La violence ouvrière, un prétexte hypocrite pour la bourgeoisie
Ces arrestations ciblées étaient fondées, nous dit-on, sur des témoignages de cadres, de vigiles victimes de violences ou sur des bandes vidéo montrant l’irruption et l’action des grévistes d’Air France lors de la réunion du CCE. Réunion où direction et « partenaires sociaux » (syndicats) devaient négocier la suppression de 2 900 emplois, ainsi que de nouvelles dégradations des conditions de travail. De nouvelles mesures antisociales imposées par la direction dont les salariés du groupe avaient pris connaissance peu avant, par voie de presse. Ces travailleurs sont accusés de s’en être pris violemment aux représentants de la direction ce fameux 5 octobre. Les grévistes ainsi criminalisés, pour certains adhérents à la CGT, travaillent dans la branche Cargo du groupe. Une dizaine de plaintes ont été déposées, dont « violences volontaires en réunion » ou « entrave au déroulement d’un comité d’entreprise ». Selon BFM TV, les cinq employés déférés devant le parquet seraient mis à pied sans solde très rapidement, en attendant que la direction d’Air France les licencie quels que soient les charges ou les faits retenus contre eux.
Criminalisés pour l’exemple
Comme lors de la boucherie internationale de 14-18 où des soldats, las d’aller à l’abattoir pour les besoins du patronat et de la bourgeoisie, furent fusillés pour l’exemple, les salariés qui usent de violence d’autodéfense sont ainsi punis. Il faut que les rebelles qui enragent d’être humiliés et écrasés servent d’exemple. Il faut mater les travailleurs en révolte, annihiler toute velléité de révolte que pourraient susciter leur action. L’ambiance, le tempo sont établis. Des images « terribles » de cadres et DRH bousculés, certains perdant la chemise et escaladant les grilles pour fuir, ont été reprises en boucle sur les chaînes télé, puis dans la presse du lendemain. Ces images terribles qui font « honte à la France » ! Il est vrai que l’image de cadres en chemise sautant une barrière de protection est plus utile à la bourgeoisie pour discréditer et criminaliser des salariés que les multiples images de ces milliers de migrants se heurtant aux barrières étatiques dressées autour de et dans l’Europe. Le capital n’a en réalité que faire d’un patron qui perd sa chemise, car il sait qu’il peut compter sur ses chiens de garde pour assurer, garantir et pérenniser ses profits. Pour un patron qui perd sa chemise, combien partent avec des valises bien garnies ! Et pour ce DRH qui perd sa chemise, combien de travailleurs de salariés anonymes perdront en même temps que leur emploi leur dignité et leur santé ? Combien auront leur vie sociale brisée, délitée ? Le chômage tue 14 000 personnes par an.
L’arrestation de ces grévistes est un acte calculé d’intimidation sociale. Le message envoyé se veut un avertissement de plus contre la classe ouvrière : la criminalisation de ces salariés illustre avec arrogance la crainte d’un patronat qui compte sur ses alliés du gouvernement et sur les bureaucrates syndicaux pour circonscrire la colère qui gronde et qui monte contre cette politique antisociale. Politique qui permet à la bourgeoisie de se goinfrer sur le dos des travailleurs, de plus en plus paupérisés et précarisés : 14 % de la population obligée de vivre sous le seuil de pauvreté.
Copains et coquins contre les salariés
En criminalisant ces grévistes, le patronat, le gouvernement et leurs partenaires syndicaux –désavoués pour l’occasion – font savoir qu’ils ne toléreront pas ces attaques d’autodéfense légitimes des travailleurs. Ces agissements du 5 octobre au CCE d’Air France sont pour euxinadmissibles car ils remettent en cause le sacro-saint bien fondé du dialogue social et de la démocratie participative dans l’entreprise (voir l’encadré 1). Pensez donc ! Alors qu’allaient se négocier de nouveaux licenciements entre partenaires sociaux « responsables », des salariés grévistes ont osé s’inviter et voulu prendre en main leur futur. Inadmissible ! D’ailleurs, à l’unisson, les réactions ne se sont pas fait attendre : du Figaro qui parle de lynchage à N. Sarkozy qui, en référence à de Gaulle, dénonce la « chienlit ». Au PS, où l’on aime bien les patrons, le Premier ministre M. Valls s’est dit scandalisé par « ces voyous qui font mal à l’image de la France ». Son ministre des Transports, lui, insistait pour que les grévistes soient sanctionnés. Quand aux « syndicalistes responsables », bureaucrates plus habitués aux conciliabules avec les patrons qu’aux assemblées générales de salariés, ils n’ont pas été en reste : ils ont dénoncé les « violences » indignes et inadmissibles des employés qui ont envahi le CCE et contraint le DRH à fuir. Ensemble, puis par boutique, ils ont signé des communiqués qui dénonçaient les violences commises et ne soutenaient nullement les salariés en colère. Ils n’étaient venus que pour dialoguer et souhaitaient que reprennent les discussions. Dans ce but, ils demandaient à l’Etat, détenteur de 17 % de parts d’actions dans le groupe, et au gouvernement de « s’impliquer davantage dans le conflit ». Comme si, dans cette affaire, ce dernier n’avait pas déjà prouvé qu’il était complètement du côté du patron. Les grévistes d’Air France nous montrent une fois encore quels intérêts défendent ces syndicalistes repus qui se démarquent d’ouvriers exaspérés. Condamnent-ils avec la même force et la même indignation la violence faite aux travailleurs par le patronat, la violence faite aux manifestants estropiés par les tirs de flashball ou les violences policières contre les jeunes des quartiers populaires ? Force est de constater que, pour un DRH sorti sans chemise par des manifestants en colère, tous ces « outragés de la République » ne se sont pas bousculés dans les médias pour dénoncer l’ignoble mort de Rémi Fraysse, abattu par les gendarmes de la République à Sivens en octobre 2014.
54 % des Français comprennent l’action menée à Air France
Pourtant, loin de ce tonitruant vacarme politico-médiatique où copains et coquins se prêtaient les micros pour dénoncer, non pas la violence sociale des plans de licenciement mais l’action des grévistes, ailleurs, sur les lieux de travail, dans la rue ou les quartiers, où la précarité est de règle, des sourires exprimaient une sympathie et une solidarité enjouée envers ces salariés qui ont osé agir. Selon un sondage IFOP, 54 % des Français comprennent l’action des grévistes d’Air France. N’oublions pas que le dialogue social cher à notre bourgeoisie a permis aux patrons de cette compagnie de dégraisser ses effectifs de 15 000 salariés sur les 63 000 comptés en 2012. Et qu’aux 2 900 suppressions de poste annoncées Le Canard enchaîné ajoute 5 000 suppressions d’emplois à venir dans le groupe. Tous ces plans, rappelons-le, sont concoctés puis adoptés dans le feutré qu’est le socialement correct des réunions entre « partenaires responsables ». Criminaliser les grévistes permet de masquer les agissements de ces voyous en col blanc et la violence de leurs décisions. Bien sûr, médias, personnel politique, syndicalistes « réalistes » parlent de la nécessité de sauver Air France face à la concurrence, de combler son déficit, etc. Cette rengaine devient chaque jour plus insupportable, quand le gouvernement trouve des milliards pour sauver les banques, donne des milliards au patronat jamais rassasié, et demande en contrepartie aux salariés d’Air France mais aussi de la SNCF, des hôpitaux, de la Poste entre autres de se serrer toujours plus la ceinture. C’est cette situation « insupportable », que dénonce cette employée d’Air France sur les vidéos, qui a légitimement guidé la colère des salariés et leur décision, après quatre ans de sacrifices, d’aller se faire entendre au CCE.
Ils sèment la colère…
Le capitalisme s’est instauré par la violence et ne peut perdurer que par la violence. Sa dynamique d’exploitation, son mode de production engendrent les pires exactions à l’encontre des travailleurs et des peuples. Dans cette guerre de classe, il est légitime que la classe ouvrière relève la tête pour s’opposer avec détermination à l’exploitation féroce dont elle est l’objet. A la violente arrogance de la classe patronale (voir l’encadré 2) répond la violence de classe des travailleurs. Peut-il en être autrement ? Doit-on rappeler, dans un contexte d’amnésie collective entretenue sciemment par la bourgeoisie, que l’histoire du mouvement ouvrier et de ses conquêtes a toujours été ponctuée de violences légitimes et de répressions féroces, menées par les gestionnaires du Capital – comme la Commune de Paris en 1871 ; Fourmies, en 1891, où le pouvoir chargeait l’armée de tirer sur les mineurs grévistes, les femmes et les enfants ; ou encore l’année 1948, où dockers, sidérurgistes, pêcheurs sans oublier les mineurs, bref, toute la classe ouvrière s’est soulevée face à un gouvernement qui demandait des sacrifices pour rebâtir la France d’après-guerre ? Gouvernement et presse de l’époque se répandaient contre cette grève insurrectionnelle. Jules Moch, ministre socialiste de l’Intérieur, envoya les CRS et les blindés avec autorisation de tirer sur les grévistes. La répression fut sauvage : des dizaines de morts, des milliers de blessés, plusieurs centaines de mineurs emprisonnés et 3 000 d’entre eux licenciés. Et, plus près de nous, les journées chaudes de Mai 68 et la grève générale qui s’ensuivit, où le pouvoir gaulliste vacillait. Contre la « chienlit », de Gaulle alla consulter son état-major à Baden Baden, en Allemagne, tandis que les staliniens du Parti communiste français dénonçaient les « provocateurs » de la rue et que leurs camarades de la CGT traquaient les « gauchistes » établis dans les usines ou infiltrés dans les syndicats. Aujourd’hui, ces syndicats si préoccupés de la chemise et de la sécurité du DRH d’Air France le sont beaucoup moins quand il s’agit d’unir les travailleurs en lutte. Bien au contraire, les redoutant, les bureaucrates veillent absolument à ne pas les faire converger, même quand les conditions s’y prêtent – comme récemment pour les personnels hospitaliers. Alors que depuis des années ces personnels de la santé sont meurtris par les plans d’économies et que les luttes isolées se succèdent, quand les hospitaliers invitent à une « convergence des luttes contre l’hôstérité », les directions syndicales prennent soin de freiner et verrouiller leurs initiatives. Même lorsque le rapport de forces est favorable, comme récemment à l’APHP (Assistance publique des hôpitaux de Paris) où les personnels se sont mobilisés massivement contre R. Hirsch. La colère des personnels d’Air France, et que ressentent bien d’autres travailleurs, provient de cette impasse des luttes, impasse qui n’est pas une fatalité mais le résultat des politiques menées par les directions syndicales.
… qu’ils récoltent la tempête !
Le coup de colère des salariés d’Air France est salutaire parce qu’il met en relief et illustre l’hypocrite complicité des appareils syndicaux avec nos adversaires de la bourgeoisie. Il est nécessaire que l’exemple d’autodéfense des salariés d’Air France se répande et se collectivise en arme « consciente » de classe. Ce coup de colère doit nous faire réfléchir sur : comment, et tous ensemble, dépasser, neutraliser ou nous débarrasser des entraves que représentent ces appareils syndicaux. Ce cri de colère devra aussi guider nos réflexions sur l’auto-organisation des salariés, pour arrêter eux-mêmes leurs objectifs, et des moyens d’agir pour en finir avec l’exploitation salariale. Seule la prise de conscience de cette auto-organisation peut conduire à l’émancipation sociale. Par leur action, les salariés d’Air France ont démontré que la peur pouvait changer de camp, que les patrons et leurs sbires patronaux ou syndicaux pouvaient y laisser leur chemise. Pour cela également, notre solidarité doit être sans faille !
MZ, Caen, le 15/10/15
Encadré 1
Exemple de dialogue social et de démocratie participative dans l’entreprise
A l’usine automobile Smart, en Moselle, sous la menace de suppressions d’emplois, les salariés ont été consultés pour travailler 39 heures payées 37, accepter une baisse du nombre de leurs RTT… Au final de ce référendum, ou plutôt de ce chantage, la proposition de la direction n’a été acceptée que par 39 % des 367 ouvriers et par 74 % des 385 cadres, qui sont eux sont payés au forfait journalier. Dans la catégorie des cadres figurent de simples techniciens, des agents de maîtrise et… les directeurs.
Les médias ont salué les 56,1 % de l’ensemble des salariés ayant approuvé la plan patronal. La direction s’est servie de cette « démocratie participative », de la division entre ouvriers et encadrement pour faire passer ses mesures.
Le « dialogue social » n’est qu’un slogan mystificateur avancé pour semer la confusion chez les salariés. C’est le refrain qui masque et accompagne les politiques d’austérité de Hollande, et donne une importance aux appareils syndicaux pour perpétuer leur propre survie.
Encadré 2
De la violence feutrée du patronat
« (…) Le patronat n’a pas besoin, lui, pour exercer une action violente, de gestes désordonnés et de paroles tumultueuses ! Quelques hommes se rassemblent, à huis clos, dans la sécurité, dans l’intimité d’un conseil d’administration, et à quelques-uns, sans violence, sans gestes désordonnés, sans éclat de voix, comme des diplomates causant autour du tapis vert, ils décident que le salaire raisonnable sera refusé aux ouvriers ; ils décident que les ouvriers qui continueront la lutte seront exclus, seront chassés, seront désignés par des marques imperceptibles, mais connues des autres patrons, à l’universelle vindicte patronale. Cela ne fait pas de bruit. »
Jean Jaurès devant l’Assemblée nationale, le 19 juin 1906
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