Air France : « Bien le bonjour d’Alexandre ! »

Publié le 18 octobre 2015

Texte écrit peu après le 5 octobre à Air-France-KLM

10 octobre 2015
Bien le bonjour d’Alexandre !
Je me présente, je m’appelle Alexandre Marie Henry Begoügne de Juniac

Je suis doux, je suis intelligent, je suis noble, j’ai fait Polytechnique et aussi Harvard.
Je ne suis donc pas, à l’évidence, un être « stupide, isolé, extrêmement violent » (comme a su si bien dire notre ami Macron, à propos de mes salariés en colère ce 5 octobre).

Je suis encore moins un être de « contestations inacceptables et de violences inqualifiables » (ainsi qu’ont fort justement affirmé, à propos des agissements de certains de mes gens, nos amis socialistes Hollande et Valls, suite aux chemises violemment arrachées du corps de mes zélés sous-fifres hautement qualifiés et très rémunérés !). Tout cela en refus stérile et inconsidéré de mon super plan « Perform 2020 » !
Je me dois d’ailleurs de vous le confier, comme ça, juste en passant (question de franchise !) : il est bien heureux que nos ouvriers ne décident à aucun degré de ce qu’ils produisent, car on peut se demander ce qu’ils décideraient de produire, étant ce qu’ils sont ! commettant de tels actes !

Je me reconnais par contre très proche de cette chère Christine Lagarde, si honnête et vertueuse, ainsi que de ce très franc Sarkozy si intègre – l’anti-chie-en-lit personnifié – ce qui en soit n’a rien de très original (c’est le cas du patronat en général). Quant à Le Pen, elle m’a défendu aussi lors de ce mauvais moment ; je peux compter sur elle en cas de besoin ultime.
J’aime la liberté vraie, celle du commerce, celle d’entreprendre. Je me sens « très proche » aussi des députés. D’ailleurs, je suis pour le choix : nous devons, en cette démocratie bien organisée où notre règne est installé, pouvoir choisir entre deux députés, puisque nous devons pouvoir choisir en toute liberté entre deux marchandises équivalentes.

Comme Sarkozy et Cie, comme Macron, Valls, Hollande et Cie et Cie encore, et autres décideurs locaux ou F.M.I., j’aime ce monde capitaliste qui n’est pas fait pour les ouvriers ni pour les autres couches de salariés pauvres (en somme les prolétaires) mais qui doit être fait, chaque jour, par eux, sous nos ordres. Donc, il ne sert de discuter avec les partenaires que pour l’apparent « dialogue social ».

Je ne renâcle pas, entre bien d’autres satisfactions plus chatoyantes pour moi dans ma vie courante, à toucher – en plus de mes jetons de présence au Conseil de Surveillance de Vivendi – ces quelques 54 000 euros chaque mois pour mes belles et douces œuvres à la tête du holding Air-France-KLM. Cela dit, je ne saurais oublier – je suis tellement humain – que je suis aussi un homme et que, en tant que tel, je ne peux admettre la dégradation incontrôlée de tous les hommes et, en conséquence finale, des conditions personnelles de vie dont chaque membre de ma classe jouit en propre.
C’est là mon côté … capitaliste-écologiste … j’ose le dire ; nous aimons les bonnes nourritures terrestres saines, sans chimie, non falsifiées, et même respirer un bon air pur, voyez-vous. En même temps, nous adorons les supermarchés pour ces « couilles en or » qu’ils nous font.

Je suis être pétri de dialogue. D’ailleurs ma bonne conversation fut appréciée au Conseil d’Etat, mes amours furent Thomson, Thales, Areva, et sont aujourd’hui Vivendi, Air-France-KLM (évidemment !). L’avenir m’appartient, là où bien d’autres, indéniablement dégénérés, ne voient que « No Futur » et Zad en tous genres !

Je suis un homme pétri de progrès. Je suis pour les réformes et contre la sclérose de notre belle société. Je soutiens donc Macron dans ses valeureux efforts pour l’allègement du bien trop lourd, bien trop encombrant, bien trop embarrassant Code du Travail en France. J’aime la légèreté. Homme de réflexion avancée, j’ai déjà su poser fin 2014 de bonnes questions progressistes : « Faut-il vraiment interdire le travail aux enfants ? Ne faut-il pas rallonger le temps de travail ? Est-il vraiment censé de fixer l’âge de la retraite ?  » Sache-le bien, salarié, sue et tu seras sauvé !

Homme de dialogue social, j’ai eu l’intelligence de faire signer mon plan (social, lui aussi) « Transform 2015 » par tous les syndicats dès mon arrivée à la tête d’Air-France-KLM (d’où un gain de compétitivité de 20% grâce à tous ces efforts finalement consentis par mes salariés). Et pas besoin de CRS en ce cas.
Aujourd’hui, ces syndicats finassent, renâclent à jouer ouvertement leur vrai rôle, peinant à faire accepter à mes pilotes et à mes autres gens de maintenance de travailler plus (et d’être licenciés pour 2900 d’entre eux, pour commencer) ainsi que je le prévois dans mon excellent plan inévitable, judicieusement intitulé « Perform 2020 ».
Cette indécision passagère est insensée : il s’agit du bien et de la pérennité de l’entreprise que, d’ordinaire, je mène si bien à la baguette !

Heureusement, dès ce 5 octobre des chemises déchirées, Hollande, Valls, Macron, me soutiennent aussi vigoureusement que possible face aux inévitables débordements qu’ont subi nos partenaires sociaux s’acquittant ordinairement très bien de prévenir les salariés de tous leurs mauvais penchants et d’éviter ainsi de soudains « passages à l’acte ». (Je garde tout de même en mémoire que, sans faillir, la fort responsable CGT a su rappeler aussitôt que « Toutes les violences se condamnent ! »).
Je suis certain que tous sauront rejoindre bientôt la voie pacificatrice de la responsabilité et du dialogue social dont je suis un champion reconnu. C’est que, tout comme moi et mes soutiens presque partout , ils le savent : il n’existe aujourd’hui qu’un péril au monde, du point de vue de la défense de notre société, c’est que les travailleurs parviennent à se parler de leur condition et de leurs aspirations sans intermédiaires. Faut-il vraiment rappeler cette simple réalité au risible Mélenchon, lui qui a déjà eu à en pâtir en quelques Zad ?

Soyez-en sûrs, vous entendrez encore parler de moi et de mes bons commandements :
mes médias aux ordres m’aiment, l’État m’aime, les institutions m’aiment,
et nous nous employons tous à juguler la révolution sociale.

Je m’appelle Alexandre Marie Henry Begoügne de Juniac,
52 ans Chevalier de la Légion d’Horreur

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