Publié par Alencontre le 27 – juillet – 2015
Par Jacques Chastaing
Depuis la victoire de François Hollande en 2012, un profond climat de morosité afflige la majorité des militants ouvriers, syndicaux ou politiques: jamais le pays n’aurait connu autant de reculs sociaux d’une telle ampleur et il n’y aurait pourtant – à leurs yeux – aucun mouvement de riposte populaire, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays voisins.
Il est vrai qu’avec les différentes mesures gouvernementales prises en trois ans, – ANI (Accord national interprofessionnel), CICE (Crédit, d’impôt pour la compétitivité et l’emploi), Pacte de Responsabilité ou en train d’être prises, loi Macron (Emmanuel Macron, ministre de l’Economie depuis août 2014), Dialogue social, plan Hirsch (Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris) – et d’autres envisagées dans un avenir proche contre le Code du travail ou les retraites complémentaires, jamais il n’y avait eu un tel recul social.
Par contre, il est faux de penser qu’il n’y a pas de mouvement de contestation de ce décrochage social. Il y en a un, assez important même, mais pourtant invisible, y compris aux yeux de la plupart des militants qui souhaiteraient pourtant sincèrement un tel mouvement, qu’ils soient de gauche, de gauche de la gauche ou d’extrême gauche.
Ce serait d’ailleurs étonnant qu’il n’y ait pas de résistance en France si on peut en voir, à des degrés certes divers, en Grèce, Espagne, Portugal, Belgique, Grande Bretagne, Irlande, Allemagne ou Italie.
Un niveau de conflictualité élevé
A partir de ce que donnent les journaux sur Internet, j’ai recensé assez rapidement un peu plus de 750 grèves en France pour les six semaines couvrant le mois de juin et les deux premières semaines de juillet 2015. Vous trouverez le tableau des luttes du 1er juin au 15 juillet 2015, sous forme PDF en cilquant ici: grevesJuin2015.
Ce qui témoigne d’une conflictualité élevée et plus que d’une simple résistance, mais d’un véritable «mouvement».
Nous allons donc essayer de décrire ces grèves, ce qu’elles ont comme limites, portent comme possibilités et comprendre aussi pourquoi elles sont si peu perceptibles, même aux yeux de ceux qui les souhaitent.
C’est une enquête bien sûr non exhaustive. Bien des grèves m’ont assurément échappé; bien d’autres ne figurent pas dans les parutions numériques des journaux que j’ai épluchées par rapport aux éditions papier plus complètes. Enfin et surtout, un nombre certain de grèves n’est pas relevé par la presse locale, papier ou numérique.
On peut donc penser sans risques de se tromper que le nombre de grèves réelles est bien au-delà de ce chiffre de 750.
Des études estimaient, il y a quelques années, que ce que relève la presse ne couvre qu’entre 50% et 75% des grèves réelles – sans parler des débrayages, qui ne donnent quasiment pas lieu à des reportages. On peut de plus estimer qu’à l’heure actuelle la presse n’est guère encline à mettre en avant les reportages sur des grèves.
Par ailleurs, ce chiffre de 750 est lui-même minoré par mes relevés parce que pour les journées nationales de grève – 28 dans le mois (plus deux régionales et de nombreuses départementales) ce qui doit être pas loin d’un record! – je n’ai compté qu’une seule grève alors que bien sûr de nombreux établissements ou entreprises sont en mouvement ces jours-là.
Enfin, je n’ai souvent compté qu’une seule grève pour plusieurs bureaux de postes en lutte quand l’information donnée par les journaux était confuse. J’ai par contre, quelques fois, relevé plusieurs fois le même établissement lorsque les grèves étaient longues, mais cela ne compense pas ce qui précède. Loin de là.
J’avais déjà relevé en décembre 2014, janvier, février et mars 2015, un nombre important de grèves sur les salaires en quantité, durée, participation et par leurs succès relatifs, dépassant largement l’habitude à l’occasion des Négociations Annuelles Obligatoires (NAO) sur les salaires à cette période. Ce qui signifie très probablement que ce «mouvement» ne date pas du mois de juin, mais a commencé bien avant. Peut-être lorsqu’on a senti un basculement d’ambiance avec les grèves des cheminots et intermittents l’été dernier. Enfin, la tendance relevée en ce début juillet est la même qu’en juin malgré les premiers départs en vacances et témoigne assurément qu’il ne s’agit pas d’un «accident» conjoncturel, mais qu’il dure et va durer dans le temps.
Avec la question de savoir ce que cette vague de conflits porte comme conscience et quel est son message.
Le chiffre de 750 est important et, même sans être un «tsunami social», situe la conflictualité en France à peu près au niveau de celle de la Belgique dont il est dit qu’elle est la plus importante depuis 20 ans et bien au-delà de celle de l’Allemagne pourtant présentée par la presse comme exceptionnelle.
Par ailleurs, si on tente une comparaison dans le temps – avec toutes les précautions d’usage – ce niveau est bien supérieur en moyenne à ce qui s’est passé de 1986 à 2008 et correspond aux plus fortes années de cet intervalle de temps (auparavant il est difficile de comparer parce qu’il n’existe pas de statistiques dans la fonction publique), soit les années 1989 (lutte au ministère des Finances); 1991 (lutte des infirmières); 2000 ( luttes au ministère des Finances et dans l’Education nationale); 2003 (lutte contre la réforme Fillon des retraites) et seulement inférieur à 1995. Mais ce sont des années où il y avait eu un ou deux grands mouvements, alors qu’actuellement il s’agit plutôt – à part le conflit récent à Radio France – d’un ensemble de petites luttes ou plutôt de plusieurs séries longues de conflits courts et émiettés bien que majoritairement dans les mêmes secteurs: Poste, hôpitaux et paramédical, commerce, bus et agents territoriaux.
On a donc un niveau de conflictualité sociale assez élevé malgré tout ce qui se pense et se dit à ce sujet. On savait et voyait que l’impression de recul était une très grosse erreur à l’échelon international, on sait maintenant que c’est aussi une erreur pour la France.
En même temps ce mouvement est quasi invisible et inaudible dans les médias, les partis, les directions syndicales et même le plus souvent à l’extrême gauche.
Ça ne signifie pas pour autant que cette conflictualité s’accompagne automatiquement d’une politisation, tout au moins d’une politisation telle qu’on pouvait la concevoir auparavant: adhésion à un syndicat, au PS, au PCF, à l’extrême gauche, ou au vote en leur faveur ou encore une adhésion à leurs appels à la mobilisation.
La question de l’invisibilité de ces conflits se conjugue avec celle de la nature de leur politisation qui ne passe pas par des structures traditionnelles.
De quelle politisation s’agit-il donc ?
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