5 août 2015 par Commission Journal (mensuel)
La montée de la crise écologique appelle à une remise en cause de la place de l’industrie. La rupture nécessaire à l’endiguement de cette crise conduira-t-elle pour autant à l’élimination de toute forme de production industrielle et à la renaissance d’une société fondée sur l’artisanat ?
L’industrialisation de la production se caractérise par une productivité élevée, l’usage de machines, l’organisation centralisée de la production et parfois du travail à la chaîne. Elle utilise des techniques résultant du développement de la recherche et de la science, mais parmi elles ne sont choisies que celles qui servent les intérêts des capitalistes.
Elle incarne une économie du gaspillage et de la destruction du vivant. Elle ne fournit même pas les moyens de subvenir aux besoins élémentaires de chacun et la production est souvent de mauvaise qualité. Les conditions de vie au travail sont destructrices pour la santé des travailleurs, l’organisation du travail est déshumanisée, et la dichotomie producteur/consommateur est un des moteurs de l’aliénation.
Vivre et travailler autrement
Face aux « dégâts du progrès », plus qu’à une alternative entre industrialisme aveugle et abandon de toute forme d’industrialisation et de science, nous sommes confrontés à deux questions posées depuis l’émergence du capitalisme : Que produire ? Comment produire ? Que produire ? Pour éviter la saturation des marchés, les produits sont programmés pour tomber rapidement en panne ; il en résulte un gaspillage et une production de mauvaise qualité. L’explosion de l’industrie de luxe se réalise au détriment des besoins élémentaires de tous, ce qui n’est qu’une manifestation du mépris de classe. Les pollutions sont la conjugaison du choix des techniques mises en œuvres et des économies réalisées au détriment de la sécurité industrielle.
En bref, les « décideurs », la classe capitaliste, imposent leurs choix pour éviter la chute des profits et maintenir leur position dominante. La pression à la rentabilité exercée par la concurrence bride la science, la technique et l’industrie, rendues incapables de mettre en œuvre les solutions nécessaires.
Un abandon des processus industriels n’apporterait aucune réponse réelle à ces questions. Au contraire d’autres problèmes émergeraient : régressions sur le plan matériel, social et sanitaire ; gâchis de travail humain, de ressources naturelles et d’énergie ; difficultés techniques dans le contrôle des pollutions ; impossibilité technique de fabriquer des biens complexes, pourtant nécessaires socialement, etc.
Autolimiter démocratiquement les besoins de consommation
Des pistes existent pour s’attaquer à la crise écologique :
remettre en cause l’organisation mondialisée de la production et en relocaliser la plus grande part, avec l’utilisation de ressources locales et la fabrication de produits adaptées aux conditions naturelles et sociales ;
choisir les productions nécessaires aux besoins des populations au détriment des produits de luxe réservés à la bourgeoisie ;
fabriquer des biens d’équipement durables, facilement réparables et conçus pour être recyclés ; donner la priorité aux équipements collectifs ; réduire drastiquement, voire abandonner certains secteurs productifs : emballage, usage unique, publicité, armements, matériaux non durables, industrie automobile, etc. ; mettre en œuvre des économies d’énergie et de matières premières et un recyclage généralisé ; etc.
autolimiter démocratiquement les besoins de consommation pour maintenir l’activité humaine en deçà du seuil de soutenabilité ; etc.
Des secteurs industriels comme l’agroalimentaire seraient sans doute appelés à très fortement régresser au profit d’une multitude de petits établissements productifs locaux, tandis que d’autres industries seraient appelées à se développer : celles qui représenteront un avantage en terme de gain de travail humain, de qualité des produits, de nécessité technique, de limitation des dépenses énergétiques et de matières premières et/ou de contrôle des pollutions à l’environnement.
Bien sûr il est possible d’agir dès aujourd’hui en convainquant des franges de la population de vivre et de travailler autrement, voire en popularisant les recherches sur l’écologie industrielle [1], c’est-à-dire l’ensemble des pratiques destinées à réduire la pollution industrielle.
Mais une solution globale est incompatible avec le maintien d’une économie de marché. Elle nécessitera d’attaquer le capitalisme au cœur, de remettre en cause les modalités de production de la valeur et des rapports d’échanges, d’abolir la propriété privée des moyens de production et d’instaurer une égalité économique entre toutes et tous.
Participation collective, solidaire, égalitaire
Et comment produire ? L’autoritarisme, la hiérarchisation, la séparation entre commandement et exécution, entre production et consommation font aujourd’hui partie intégrante de ce qu’est l’industrie. Mais ces phénomènes sociaux sont antérieurs à l’industrialisation, la société industrielle n’a fait que les amplifier.
Imaginer une société où l’industrie serait remplacée par une multitude d’ateliers artisanaux n’apporterait aucune solution aux conditions sanitaires et à l’insatisfaction dans le travail qui prévalent dans la société d’aujourd’hui. Face à la concurrence, l’artisan propriétaire qui ne pousserait pas à l’intensification du travail serait menacé de faillite et ses salariés n’y seraient pas moins aliénés que dans l’industrie. Notre dénonciation de la forme d’organisation sociale où le sujet n’est plus acteur de sa production sociale, et n’a plus de prise sur le monde qui l’entoure, nous renvoie là encore à la société de classes.
Dès les premiers jours de la révolution, l’organisation du travail pourra être métamorphosée. Personne ne doit plus être en situation d’être un simple exécutant. Tous se verront confier pour partie des tâches d’exécution, pour partie des fonctions de responsabilité. La spécialisation au travail sera réduite ne serait-ce que parce qu’il sera indispensable que toutes et tous soient formé-e-s pour participer aux grandes décisions de l’entreprise.
La possibilité d’une autre société industrielle
Le contrôle des travailleurs sur les conditions de travail changera la vie dans l’entreprise. La participation à l’autogestion généralisée de la société – dans la cité pour décider des besoins, dans « l’atelier » pour gérer les conditions de travail – fera disparaître les mécanismes d’aliénation à l’œuvre aujourd’hui.
La fin du capitalisme ouvrira la possibilité d’une autre société industrielle : la production serait organisée à partir des besoins de tous et non pour permettre l’accumulation capitaliste ; le gaspillage matériel et énergétique sera abandonné.
Une telle société sera fondée sur une participation collective, solidaire, égalitaire. Elle sera une véritable démocratie permettant aux hommes et aux femmes de gérer la contradiction entre diminution nécessaire de l’empreinte écologique de l’humanité et satisfaction des besoins de tous les humains, permettant également de privilégier la dimension collective des besoins et de respecter les aspirations de chacun. La solidarité retrouvée créera une société conviviale, débarrassée du consumérisme, et où il fera bon vivre.
Jacques Dubart (AL Agen)
[1] Arnaud Diemer et Sylvère Labrune, L’Ecologie industrielle : quand l’écosystème industriel devient un vecteur du développement durable, Développement durable et territoires, 2007.
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